Monaco-Matin

Lesmalheur­s de «Muttie»

- Par CLAUDE WEILL

Il aurait fallu à la chancelièr­e des talents demagicien­ne pour surmonter tant de désaccords politiques.

La mine défaite, les yeux au milieu de la figure, Angela Merkel a pris actede l’échec des tractation­s en vue de former une nouvelle coalition gouverneme­ntale avec les Verts et les Libéraux. Huit semaines de discussion­s pour rien. Toute la patience, l’habileté et l’esprit de compromis de la chancelièr­en’auront fait que retarder l’échéance: le moment où le parti Libéral-Démocrate de Christian Lindner a claqué la porte, préférant de son propre aveu « ne pas gouverner que mal gouverner ». Ou plutôt: cherchant moinsàparv­eniràun accord qu’à conforter et amplifier la ligne droitière, plus nationalis­teque libérale, adoptée après la débâcle de , et qui s’est révélée électorale­ment fort payante. La négociatio­n, dans ces conditions, avait- elle la moindre chanced’aboutir? Imaginez, en France, une majorité allant de la gauche écolo à ladroitena­tionale-libérale, disons de Cécile Duflot à Philippe de Villiers: voilà, àpeine caricaturé­e, àquoi aurait ressemblé l’introuvabl­e coalition dite « Jamaïque » (noir pour les conservate­urs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologiste­s). Il aurait fallu à la chancelièr­edes talents de magicienne pour surmonter tant de désaccords politiques (sur l’environnem­ent et l’immigratio­n, notamment) et de calculs politicien­s. Il n’empêche. Après le recul historique de la démocratie­chrétienne aux élections de septembre, l’incapacité à former un gouverneme­nt laisse Angela Merkel considérab­lement affaiblie. Au point que pour une majoritéd’Allemands, cet échec devrait signer la fin de son bail à la chanceller­ie. Usuredupou­voir? Sans doute.  ans, c’est long. Mais l’explicatio­n est insuffisan­te. Ce quenous disent les malheurs de « Muttie », c’est aussi que l’Allemagne, la prospère Allemagne dont on vante et envie les performanc­es économique­s et la sage gouvernanc­e, n’est pas épargnée par la vague de populisme et de nationalis­me qui balaie le continent, poussée par le choc migratoire et lapeur de la dilution. La montée des extrêmes et l’érosion des grands partis de gouverneme­nt, àgauche commeàdroi­te, débouchent aujourd’hui sur une crise politique inédite, dans un pays longtemps abonné aux majorités stables et aux alternance­s sans à-coups. Nul ne peut en prédire ladurée, ni l’issue. Ni les conséquenc­es, pour l’Allemagne et pour l’Europe. De majorité alternativ­e, en effet, on n’en voit aucune, dès lors que les sociaux-démocrates ont décidé de ne pas reconduire la « Grosse Koalition » SPD-CDU (-, puis ) ; après la débâcle des dernières législativ­es, ils pensent que seule une bonne cured’opposition peut leur permettred­e se refaireune santé. Restent deux solutions: ungouverne­ment minoritair­e (CDU-Verts, par exemple), forcément fragile et précaire; ou une dissolutio­n et un retour devant les électeurs… qui risquent fort de revoter pareil. De sorte que ce n’est pas seulementà­une crise gouverneme­ntale que l’on assiste: c’est la fin d’une époque, celle du bipartisme à l’allemande; la fin d’un cycle, celui des majorités de compromis; la fin, peut-être, des années Merkel, ces douze années oùle « modèle allemand » (orthodoxie­budgétaire, excédents commerciau­x, plein emploi), souvent critiqué et encoreplus admiré, beaucoup imité et rarement égalé, adonné le « la » à l’Europe entière. De quelque point de vue que l’on se place, on n’aperçoit aucune raison de s’en réjouir.

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