Lesmalheurs de «Muttie»
Il aurait fallu à la chancelière des talents demagicienne pour surmonter tant de désaccords politiques.
La mine défaite, les yeux au milieu de la figure, Angela Merkel a pris actede l’échec des tractations en vue de former une nouvelle coalition gouvernementale avec les Verts et les Libéraux. Huit semaines de discussions pour rien. Toute la patience, l’habileté et l’esprit de compromis de la chancelièren’auront fait que retarder l’échéance: le moment où le parti Libéral-Démocrate de Christian Lindner a claqué la porte, préférant de son propre aveu « ne pas gouverner que mal gouverner ». Ou plutôt: cherchant moinsàparveniràun accord qu’à conforter et amplifier la ligne droitière, plus nationalisteque libérale, adoptée après la débâcle de , et qui s’est révélée électoralement fort payante. La négociation, dans ces conditions, avait- elle la moindre chanced’aboutir? Imaginez, en France, une majorité allant de la gauche écolo à ladroitenationale-libérale, disons de Cécile Duflot à Philippe de Villiers: voilà, àpeine caricaturée, àquoi aurait ressemblé l’introuvable coalition dite « Jamaïque » (noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes). Il aurait fallu à la chancelièredes talents de magicienne pour surmonter tant de désaccords politiques (sur l’environnement et l’immigration, notamment) et de calculs politiciens. Il n’empêche. Après le recul historique de la démocratiechrétienne aux élections de septembre, l’incapacité à former un gouvernement laisse Angela Merkel considérablement affaiblie. Au point que pour une majoritéd’Allemands, cet échec devrait signer la fin de son bail à la chancellerie. Usuredupouvoir? Sans doute. ans, c’est long. Mais l’explication est insuffisante. Ce quenous disent les malheurs de « Muttie », c’est aussi que l’Allemagne, la prospère Allemagne dont on vante et envie les performances économiques et la sage gouvernance, n’est pas épargnée par la vague de populisme et de nationalisme qui balaie le continent, poussée par le choc migratoire et lapeur de la dilution. La montée des extrêmes et l’érosion des grands partis de gouvernement, àgauche commeàdroite, débouchent aujourd’hui sur une crise politique inédite, dans un pays longtemps abonné aux majorités stables et aux alternances sans à-coups. Nul ne peut en prédire ladurée, ni l’issue. Ni les conséquences, pour l’Allemagne et pour l’Europe. De majorité alternative, en effet, on n’en voit aucune, dès lors que les sociaux-démocrates ont décidé de ne pas reconduire la « Grosse Koalition » SPD-CDU (-, puis ) ; après la débâcle des dernières législatives, ils pensent que seule une bonne cured’opposition peut leur permettrede se refaireune santé. Restent deux solutions: ungouvernement minoritaire (CDU-Verts, par exemple), forcément fragile et précaire; ou une dissolution et un retour devant les électeurs… qui risquent fort de revoter pareil. De sorte que ce n’est pas seulementàune crise gouvernementale que l’on assiste: c’est la fin d’une époque, celle du bipartisme à l’allemande; la fin d’un cycle, celui des majorités de compromis; la fin, peut-être, des années Merkel, ces douze années oùle « modèle allemand » (orthodoxiebudgétaire, excédents commerciaux, plein emploi), souvent critiqué et encoreplus admiré, beaucoup imité et rarement égalé, adonné le « la » à l’Europe entière. De quelque point de vue que l’on se place, on n’aperçoit aucune raison de s’en réjouir.