Comment protéger la population des lobbys? Actu
L’avocate et ancienne ministre Corinne Lepage a animé une conférence sur la l’occasion de l’assemblée générale du comité maralpin de la Ligue contre le cancer question à
Des scandales sanitaires éclatent régulièrement. On ne compte plus les affaires dans lesquelles on découvre que nous, consommateurs, avons été floués ou, pire, empoisonnés par des produits impropres ou polluants. Et c’est des années voire des décennies plus tard que l’on apprend qu’en fait, les industriels savaient ou que des scientifiques avaient prévenu. C’est ainsi que dès la fin du XIXe siècle, des Anglais avaient la présomption que l’amiante pouvait engendrer des maladies ; que dans les années 1950 les fabricants de tabac disposaient de données prouvant la dangerosité de leurs produits… Corinne Lepage, avocate et ministre de l’environnement de 1995 à 1997, était l’invitée du comité départemental 06 de la Ligue contre le cancer pour son assemblée générale annuelle. Elle a animé une conférence sur le thème « comment contenir les pressions des lobbys et des industriels pour protéger les populations ». Un sujet brûlant d’actualité.
Êtes-vous opposée aux lobbys ? Non ! Il est naturel que des intérêts divers puissent s’exprimer lorsqu’une décision ou une loi va être prise ou votée. C’est normal : lorsqu’on touche à la vie des gens, il faut que Corinne Lepage met en garde la population contre les méthodes utilisées par les lobbys et certains industriels. (Photo Ligue contre le cancer )
les différents intérêts en présence puissent s’exprimer. S’il est naturel que des intérêts économiques se fassent entendre, il est tout aussi normal que d’autres types d’intérêts puissent se manifester : ceux des consommateurs, des malades, de l’environnement, des différentes catégories socioprofessionnelles, etc. Je ne suis pas contre le principe des lobbys, mais contre les méthodes qu’ils utilisent.
Quel est l’objectif de ces lobbys ? Ils cherchent à influencer la prise d’une décision ou
l’adoption d’une mesure dans le but qu’elle soit favorable aux intérêts qu’ils défendent. Pour cela, ils ont besoin d’obtenir un maximum d’informations le plus en amont possible, avant même qu’elles ne soient officielles.
Comment font-ils pour se procurer ces informations si précieuses ? Ils disposent de réseaux. Beaucoup de personnes, bien placées, travaillent discrètement pour eux et leur divulguent les informations dont ils ont connaissance. Une autre méthode consiste en l’utilisation de ce qu’on appelle les « portes
tournantes». C’est très américain : c’est le fait, pour un individu, de passer d’un poste stratégique à un autre, puis à un suivant, etc. Pour résumer : il travaille dans une entreprise, puis dans un service public, puis dans une autre entité, etc., alors que depuis le début, ce sont les intérêts de la première qu’il sert. Monsanto est un grand spécialiste de ce système.
Quid des conflits d’intérêts ? On a imaginé qu’un individu pouvait défendre quelque chose le matin et son contraire l’après-midi… Évidemment, ça ne fonctionne pas. Quant aux experts, il faut regarder la manière dont ils sont rémunérés, ou pas, et par qui. Dans le même ordre d’idées, on se rend compte que c’est souvent l’industrie elle-même qui a édicté les protocoles et cahiers des charges, au moment où les autres ne s’en préoccupaient pas. C’est un inconvénient majeur ! Les armes ne sont absolument pas égales. Les lobbys et gros industriels utilisent des techniques pour déstabiliser ceux qui viennent remettre en cause leurs activités. Par exemple, l’une de ces stratégies est de nier. Ça a été utilisé pour l’amiante. Les premières alertes datent de . Fin , un certain nombre d’alertes ont été lancées. Les producteurs d’amiante ont dit que tout était faux. L’autre type de stratégie, appliquée ensuite, est la déstabilisation et la décrédibilisation des scientifiques qui écrivent les études montrant la dangerosité des produits. Le résultat, c’est qu’il a fallu attendre pour que sorte une réglementation en France.
Ces stratégies sont-elles souvent utilisées ? Oui, on a remarqué que les producteurs de tabac ont systématisé et industrialisé la méthode que les producteurs d’amiante avaient inventée : c’est la « création du doute ». Dès les années , ils disposaient d’études révélant la dangerosité du tabac. D’abord ils ont joué sur la négation puis sur la perpétuation du doute.
Que peut-on faire alors pour les contenir ? Nous disposons aussi d’armes. La première est de partager nos connaissances. Le procès Monsanto m’a donné l’idée de créer une plate-forme internet – www.justicepesticides.org – de partage de toutes les décisions rendues dans le monde (il y en a à ce jour). Une autre arme, c’est la mobilisation de la société civile et ça commence à payer. Il y a également une réflexion à mener pour voir si on ne peut pas faire dans ce domaine ce qu’on a fait dans le domaine climatique : on attaque. Il y a aujourd’hui dans le monde plus de procès qui s’appellent les « procès de justice climatique ». Il y a ceux qui sont lancés pour demander aux États d’agir. Les associations comme la Ligue contre le cancer peuvent elles aussi jouer un rôle important en mobilisant l’opinion ! Il ne faut jamais baisser les bras.