Monaco-Matin

Les confidence­s de Guillaume Musso

La Jeune Fille et la Nuit, le seizième livre du romancier, sort aujourd’hui. Pour la première fois, l’histoire se passe dans la région, et surtout à Antibes, sa ville natale. Rencontre

- PROPOS RECUEILLIS PAR NATHALIE RICCI nricci@nicematin.fr

Trente-deux millions de livres vendus à travers le monde. Écrivain le plus lu en France en 2017, pour la septième année consécutiv­e. Le romancier antibois Guillaume Musso affiche des chiffres qui pourraient faire tourner plus d’une tête. Et c’est pourtant en toute simplicité que nous l’avons rencontré vendredi dernier, au Figuier Saint-Esprit, un restaurant du Vieil-Antibes. À quelques jours de la sortie de son seizième roman, il s’est dit «excité, très impatient d’avoir les premiers retours. Je pense, comme Paul Auster, que tout roman est une contributi­on, à parts égales, entre l’auteur et le lecteur. J’ai fait ma part du chemin, mais ce n’est qu’au moment où les lecteurs s’emparent du roman que l’histoire prend sa véritable ampleur. » L’histoire de La Jeune Fille et la Nuit, c’est celle de Vinca Rockwell, qui était, en 1992, une brillante élève de classe prépa dans un campus de Sophia Antipolis, jusqu’à ce qu’elle disparaiss­e subitement et sans laisser de trace… « Vinca est une Laura Palmer [l’héroïne de Twin Peaks, Ndlr] azuréenne», souligne Guillaume Musso. Vingt-cinq ans plus tard, en 2017, le campus organise une grande réunion des anciens. Le cas Vinca est dans tous les esprits, surtout celui du narrateur Thomas, devenu depuis écrivain à succès. Il va replonger dans ce passé qui le poursuit, s’appuyant aussi sur les souvenirs des autres personnage­s. Mais chacun a sa vérité, ses conviction­s et ses secrets… « Le livre a déjà été lu par plusieurs personnes, et pour l’instant, personne n’a vu venir l’ultime rebondisse­ment. » C’est vrai qu’il est inattendu. De quoi vous faire passer des nuits blanches…

C’est le premier de vos livres qui se déroule intégralem­ent dans la région, essentiell­ement à Antibes et Sophia Antipolis ? C’est la grande nouveauté. C’est le premier de mes romans qui se passe uniquement en France et, effectivem­ent, sur la Côte d’Azur. Ça faisait très longtemps que j’en avais envie. Souvent, mes romans se sont passés à New York, parce que c’est une ville que je connais bien, la ville dans laquelle tout peut arriver : la plus belle des histoires d’amour, le mystère le plus dense, l’attentat le plus atroce. Mon imaginaire se déclenchai­t facilement. Et chaque fois que je venais à Antibes, on me demandait : « Mais quand est-ce que tu nous fais un roman qui se passe ici ? » et je disais : « Ben, bientôt ! ». J’en avais très envie, mais en littératur­e, le désir ne suffit pas. Alors, j’ai attendu d’avoir la bonne histoire, celle qui ne pourrait se passer qu’ici.

La bonne histoire, c’est celle-ci… J’avais en tête depuis longtemps d’écrire un campus novel, c’est-àdire une histoire sur un campus. J’avais déjà cette histoire en tête mais elle se situait tantôt à Harvard, tantôt à Berkeley ou dans une université fictive du Maine. Et d’un seul coup, je me suis dit que cette histoire avait besoin pour exister des couleurs de la Méditerran­ée, du vent dans les pins, des odeurs… Ça a été un déclencheu­r formidable. L’envie de me replonger dans les lieux de mon enfance, de mon adolescenc­e, les lieux que j’aime.

Le livre se déroule à deux époques différente­s… L’hiver , où la vie des personnage­s a basculé, et . C’est un roman personnel, dans la mesure où j’avais aussi  ans en . C’est nourri avec des détails, notamment culturels, comme la musique, les films, la télé… que regardaien­t ou écoutaient les gens qui ont aujourd’hui entre  et  ans. Il y a un côté génération­nel assez fort, et ce livre est personnel pour cela. Pour les lieux, aussi. Mais il n’est pas autobiogra­phique pour un sou. J’ai mélangé une veine personnell­e, en la greffant à une histoire policière et à des tourments de personnage­s qui ne sont pas les miens.

Vous avez tout de même des points communs avec Thomas, le narrateur ? La similitude, c’est que le narrateur est romancier. Mais moi, je suis père de famille, j’ai deux enfants, je me suis épanoui complèteme­nt dans des choses que lui n’a pas. Lui, finalement, sa vie s’est arrêtée un certain jour de . Et c’est en cela que ses tourments me sont étrangers. L’histoire de ce livre c’est la rencontre, la confrontat­ion et la collision de personnage­s avec des destins assez forts, qui vont au bout de leurs conviction­s.

La fin, sans la dévoiler, n’est pas très « morale »… Ce livre est porté par des personnage­s qui ne sont pas binaires. Il n’y a pas les bons et les méchants. Tout le monde a des zones grises. Aujourd’hui, les gens sont familiers des codes de la fiction, on ne peut plus leur faire avaler n’importe quoi. Et finalement, ce qui est fascinant dans une histoire, ce sont les personnage­s. Ceux qui sont intéressan­ts, pour moi, sont ceux qui sont fouillés, compliqués, qui ont une vie intérieure assez riche. J’écris des thrillers intimes. Il n’y a pas de cascade, pas de scène de violence. La violence est intérieure, les bouleverse­ments intimes. Ça implique des personnage­s nuancés. Cette histoire a un dénouement qui est ce qu’il est, et il ne pouvait pas en être autrement, vu la complexité des personnage­s. Chacun défend son point de vue jusqu’au bout.

En littératur­e le désir ne suffit pas ”

Il y a des thèmes sous-jacents à l’histoire : le poids du passé… J’écris toujours mes romans à deux niveaux de lecture. Le premier, celui du simple plaisir de tourner les pages, de progresser dans l’enquête. Et un second niveau, avec la déclinaiso­n de plusieurs thèmes. Celui du poids du passé, notamment. Le passé qui ne passe pas… Faut-il régler son passé pour pouvoir continuer à avancer, à vivre ? Au début du livre, tous les personnage­s sont malheureux, ils ne vivent pas comme ils devraient, parce qu’il y a quelque chose qui les bloque. L’idée, c’était de les amener dans un lieu, le campus pour la réunion des anciens élèves, un lieu qui peut les perdre, les brûler, mais qui peut paradoxale­ment les sauver, s’ils arrivent à trouver une solution à la bombe qui a explosé en .

L’amour filial, aussi… Effectivem­ent. Jusqu’où peut-on aller pour protéger ses enfants ? C’est un thème qui m’est devenu très personnel depuis que je suis père. Autre thème : l’amour qui vous élève ou qui vous détruit. C’est la différence entre l’amour et la passion. Et enfin, le dernier thème, c’est la vérité. Peut-on approcher la vérité ? Pour traiter ce thème, j’ai créé le personnage de Vinca. Cette fille que tout le monde croyait connaître, chacun en donne une version, chacun donne sa vérité, mais le tout n’est pas égal à la somme des parties. Le mystère reste presque entier.

Quand vous écrivez un livre, vous avez la fin dès le début ? Oui. Je fais toujours un gros travail de préparatio­n en amont. J’aime partir en écriture avec un squelette, en sachant où je vais. C’est plus sécurisant. Parce que c’est toujours difficile d’écrire un roman, même si vous en avez déjà écrit avant. Après, pendant l’écriture, il peut se passer plein de choses, et je suis très ouvert à faire évoluer ma feuille de route à l’endroit où me diront d’aller

les personnage­s. Avant de commencer à écrire, j’ai fait des mini-biographie­s de tous mes personnage­s. C’est une partie très agréable, qui peut paraître une perte de temps, mais qui ne l’est pas ; ça vous familiaris­e avec eux.

Il n’y a pas de dimension fantastiqu­e dans ce livre… Non. Mais ce n’est pas un adieu définitif. Mes livres d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux d’il y a dix ans. Ils sont plus intérieurs, on est davantage dans les tourments des personnage­s. Mais je ne fais pas une croix sur le fantastiqu­e, je n’ai pas fait le tour de ce genre-là, et j’ai plein d’idées.

Le collège Saint-Exupéry de votre roman est-il inspiré du Centre internatio­nal de Valbonne (CIV) où vous avez enseigné pendant cinq ans ? Le lycée de mon roman est légèrement inspiré du CIV, puisque c’est aussi un campus à Sophia. Ça a été l’étincelle première, ensuite le romanesque s’en est emparé. Et le CIV est mieux que le lycée de mon livre !

Les références dans votre livre vont parler aux Azuréens, comme le feu de La Siesta, « le plus long du monde »… Ça m’aurait embêté que mon roman, qui se passe ici, soit superficie­l. Et s’il ne l’est pas, ce que j’espère, c’est parce qu’il est nourri de petits détails de quelqu’un qui a vécu longtemps ici, et qui y revient souvent.

Nice-Matin est très largement cité, l’un des personnage­s principaux y est journalist­e… Oui, je trouvais ça complèteme­nt débile de créer un faux journal, du genre Le Journal de la Côte, alors que lorsque l’on vit ici, le journal local, c’est Nice-Matin. Et comme je ne voulais pas qu’il y ait de policier dans ce livre, le journalist­e sert aussi d’enquêteur. Il symbolise celui qui veut faire éclater la vérité coûte que coûte.

Le fait d’être très attendu des lecteurs, ça met une pression supplément­aire ? C’est un pur plaisir. Une chance. Il y a un trac mais c’est banal, c’est lié à toute activité. Dès qu’on fait quelque chose à destinatio­n des autres, on a envie que ça plaise. Quand j’écris, je me remets dans les conditions mentales qui étaient celles de l’écriture de mon premier roman, quand je ne savais même pas si j’allais être publié. Et j’ai cette chance de pouvoir prendre mon temps : le roman ne sort qu’au moment où j’en suis satisfait.

Nouveau livre, nouvelle maison d’édition, aussi : Calmann-Lévy, après  romans chez XO… Dans des activités liées à la création, on a besoin de se mettre en danger, de quitter sa zone de confort, de prendre des risques, de stimuler sa créativité. Et parfois, ça passe par le fait de travailler avec d’autres personnes. Chez Calmann-Lévy, qui est l’une des plus anciennes maisons d’édition de France, j’avais la possibilit­é de travailler avec ma première éditrice, qui a mon âge, avec laquelle je m’entends bien. À un moment, tous les feux étaient au vert.

Vous accordez de l’importance au livre en tant qu’objet… J’aime qu’il y ait une adéquation entre l’histoire et la couverture. Là, j’avais en tête les destins de personnes, les sillons du souvenir, les rides… Et on a trouvé cette couverture qui est nervurée. Ce sont des petits détails mais j’aime tellement, quand je lis, avoir un bel objet dans les mains…

Vous avez enseigné pendant dix ans. Ça vous manque, cette idée de transmissi­on ? Oui. Car il y avait un sens très concret dans le fait d’enseigner. J’avais vraiment choisi d’être enseignant, alors qu’à l’époque j’avais réussi d’autres concours administra­tifs. Je pense que j’y reviendrai un jour, sans doute sous forme d’ateliers d’écriture. C’est quelque chose que je ferai dans les dix ans qui viennent.

Vous commencez tous vos chapitres en citant un auteur. C’est aussi une manière de transmettr­e ? Exactement. C’est quelque chose que j’ai toujours fait, parce que j’aime l’idée qu’un livre en entraîne un autre, qu’un livre entraîne un film ou une chanson. C’est ce côté arachnéen qui fait que j’aime la culture sous toutes ses formes. Quand j’aime un roman, un film, mon plus grand plaisir, c’est de le conseiller pour qu’ensuite on échange. J’aime discuter avec quelqu’un qui n’a pas les mêmes points de vue. Se frotter à des idées différente­s, on en ressort toujours enrichi.

Votre frère, Valentin, est également écrivain… Je lis les livres de mon frère, mais on a pris le parti de ne pas énormément discuter de nos travaux respectifs. Quand on se voit, c’est ici, à Antibes, on a tous les deux des enfants en bas âge, il y a nos parents, notre troisième frère, aussi… La vie de famille prime sur le boulot. Il faut se ménager des espaces. Moi, je n’écris jamais chez moi. Mon appartemen­t, c’est le temps de la famille. J’ai un bureau dans Paris, pour écrire. Tous les matins, j’accompagne mon fils à l’école et je vais travailler. J’aime cette idée de structurer mes journées. Quand j’étais prof, l’écriture était partout, cannibalis­ait tout et c’était incompatib­le avec une vie de famille. J’ai pris conscience que ça ne pouvait pas durer, j’ai appris à articuler, pour pouvoir continuer à beaucoup écrire tout en ayant une vie familiale.

Est-ce que vous pensez déjà à votre prochain livre ? Pour la première fois, je ne sais pas quel va être mon prochain livre. Celui-ci me tenait vraiment à coeur. Je vais beaucoup m’investir dans sa promotion, parce que j’ai envie de faire de la sortie de ce livre un moment agréable. J’ai toujours un réservoir d’idées, d’embryons d’histoires en tête. Mais un roman réussi, c’est avoir une bonne idée d’histoire autant qu’être dans un moment de votre vie où vous allez pouvoir la traiter de la manière la plus juste possible. Depuis longtemps, on me sollicite pour écrire une série télé, et pas une adaptation. J’ai à la fois très envie de cela et très envie d’écrire un nouveau livre, parce que c’est vraiment ce qui me fait vibrer. D’autant que je viens d’avoir une petite fille qui a quatre mois, Flora [à laquelle est dédicacé ce livre, Ndlr]. Voilà à quoi était consacrée cette dernière année : deux bébés, le livre et Flora.

Les livres sont vraiment des bébés? Non, absolument pas. Avant d’avoir des enfants, je disais que mes livres étaient comme mes enfants. Mais quand on devient père, on se dit que c’est complèteme­nt stupide. J’adore mes livres, mais je ne vais pas faire l’affront à mes enfants de dire que mes livres sont leurs petits frères ou petites soeurs. (rires)

J’écris des thrillers intimes ”

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 ??  ?? La Jeune Fille et la Nuit, Calmann-Lévy, 440 pages, 21,90 €. Dédicaces : - Samedi 2 juin de11hà13h , à la librairie La Joie de lire (2, rue de la République) à Antibes. - Samedi 2 juin de 15 h à 18 h, à la librairie Arts et livres (1075, chemin des...
La Jeune Fille et la Nuit, Calmann-Lévy, 440 pages, 21,90 €. Dédicaces : - Samedi 2 juin de11hà13h , à la librairie La Joie de lire (2, rue de la République) à Antibes. - Samedi 2 juin de 15 h à 18 h, à la librairie Arts et livres (1075, chemin des...

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