Salariés: la fronde historique
Il a quitté les bancs de la fac pour gagner les rangs des salariés. D’estudiantin, le mouvement est devenu social. Et la Côte d’Azur n’y a pas échappé. Pourtant, à cinquante ans de distance, le contexte économique pourrait sembler idyllique. Le taux de chômage est alors à 1,25 % en France, 3,1 % dans les AlpesMaritimes. «La Côte d’Azur connaît un boom touristique et une modernisation à tout-va… mais un peu en trompel’oeil, nuance l’historien Yvan Gastaut. Le problème, ce n’est pas l’emploi. Ce sont les conditions de travail et les problèmes de logements, revers de la médaille de la société de consommation. » Ajoutez à cela un «Parti communiste toujours très présent dans la vallée du Paillon, la Roya, à Cap-d’Ail, Beausoleil, et même Grasse ou Cannes ». Et vous tenez la recette explosive qui conduit des milliers de travailleurs dans la rue. L’indignation suscitée par la répression policière à Paris, puis l’appel à la grève générale du 13 mai, servent de déclencheurs à l’action en entreprise, où les arrêts de travail se multiplient.
Les transports donnent le ton
Sud-Avation à Cannes et les établissements Vernier à La Trinité s’y mettent le 15 mai. Le 17, le trafic SNCF est interrompu, puis tout le secteur des transports cale : les TNL à Nice, les STUC à Cannes, les Rapides Côte d’Azur, mais aussi les taxis et certaines compagnies aériennes. Le 20, les fonctions publique et hospitalière prennent le train de la contestation en marche La métallurgie, le BTP, les grands magasins, les artisans et même les médecins suivront. Yvan Gastaut cite aussi «Spada, Miglietti, les verreries Cannes La Bocca, les parfumeries à Grasse… » La liste est longue et éclectique. Leurs aspirations communes : hausses de salaires, retraite à 60 ans, réduction du temps de travail, libertés syndicales. « À l’époque, on parle de cadences infernales », insiste Yvan Gastaut. Certaines revendications seront satisfaites via les accords de Grenelle ou les négociations internes. La plupart ne passent pas le printemps. Ou seront rattrapées par l’inflation galopante.
La grève jusqu’à la paralysie
Quand les étudiants rêvent d’un autre avenir, les salariés « veulent saisir l’occasion d’améliorer leurs conditions de vie, selon Yvan Gastaut. Il y aura bien quelques acquis, mais la vie des ouvriers ne sera pas radicalement modifiée. L’état d’esprit, lui, va bien changer. » La seconde quinzaine de mai marque un tournant dans l’histoire sociale de la Côte d’Azur. Le 21 mai, c’est la paralysie. L’ensemble des secteurs est à l’arrêt. Et la pénurie gagne. 21 mairies sont fermées, celles de Nice et Cannes occupées, tandis que des municipalités de gauche (Vallauris, Beausoleil) filent un coup de main aux grévistes. Le 22 mai, les douaniers ouvrent les frontières. Le 24, la préfecture prend des mesures afin de réapprovisionner les Alpes-Maritimes en essence. Bref, «la vie locale se retrouve complètement bloquée, résume Yvan Gastaut. Conséquence : De fortes inquiétudes pour le tourisme sur la Côte d’Azur, des acteurs économiques vent debout. Cette situation montre que la Côte d’Azur n’est pas en reste en mai 68.» Ces quelques jours ont changé l’image frivole de la Côte d’Azur. Pour longtemps.
1. De nombreux éléments s’appuient sur travail de feu notre confrère Georges Bertolino, lors des 40 ans de Mai 68.