Aucune excuse
La catastrophe se déroule là, maintenant, sous nos yeux. A un rythme tel qu’il n’est nul besoin de se plonger dans l’abondante littérature scientifique pour valider ce que nous disent nos yeux et nos oreilles : partout, en France et dans le monde, les animaux sont en voie de disparition. Entendons-nous. On ne parle pas ici du panda, du tigre blanc ou du rhinocéros. De ces grands animaux de prestige dont l’extinction programmée, au siècle dernier, a éveillé les consciences à l’écologie et dont on réussira à sauver quelques spécimens, dûment classés, répertoriés, étiquetés, comme des pièces de musée. Non, ce sont les animaux « ordinaires » qui disparaissent, nos voisins de tous les jours, ceux qui font tellement partie du paysage que nous finissons par ne plus les voir. Pinsons, chauve-souris, abeilles, grenouilles, hérissons, lombrics. Oui, même l’humble ver de terre, si nécessaire à la régénération des sols. De ce zoocide – la sixième extinction de masse, disent les scientifiques, aussi brutale que l’extinction des dinosaures, il y a millions d’années –, nous sommes tous témoins. Aucune excuse. On ne pourra pas dire que nous ne savions pas. Nous avons vu disparaître les écrevisses du ruisseau où, enfants, nous faisions des pêches miraculeuses. Nous ne sommes plus réveillés par le chant du rossignol. Disparus, les lapins de garenne qui gambadaient dans le jardin au lever du soleil. Envolée la chouette perchée au coin du mur, qu’on avait toujours l’air de déranger quand on rentrait à la nuit tombée. Les chiffres, affolants (% d’espèces menacées sur le territoire français, les populations d’oiseaux réduites d’un tiers en ans), ne font que certifier ce que nous savions déjà. Ce que nous aurions dû savoir. Qui ne s’est fait la remarque, après avoir roulé de nuit sur une route de campagne : tiens, c’est bizarre, il n’y a plus de papillons collés au pare-brise ? De savantes études le confirment : le nombre d’insectes volants, en France comme en Allemagne, a décliné de % ! Plus d’insectes, plus d’oiseaux. Or les oiseaux, comme le fameux canari dans la mine, sont des marqueurs : quand ils disparaissent, c’est que la chaîne du vivant est malade. Ce n’est pas seulement une question esthétique, ce sont nos conditions d’existence qui sont en jeu. Comme le souligne un rapport de l’IPBES (un groupement intergouvernemental d’experts), la biodiversité est « au coeur de notre survie, de nos cultures, de nos identités et de notre joie de vivre ». Les causes de la catastrophe, on les connaît : agriculture intensive, pesticides, destruction des espaces naturels… Les remèdes ? On est face à des tendances lourdes, qu’il sera très difficile d’inverser. Il ne s’agit pas de revenir au monde agreste d’avant mais de rendre vivable le monde d’après. Cela implique des mesures concrètes – Hulot y travaille. Mais surtout la volonté politique de les imposer – fut-ce contre les lobbys les mieux armés. Et cela passe par l’implication de tous, à tous les niveaux : institutions internationales, gouvernements, élus locaux, acteurs économiques, simples citoyens. Les faits sont connus. Les esprits sont prêts. L’heure est venue de décréter la biodiversité grande cause mondiale.
Ce sont les animaux « ordinaires » qui disparaissent