Handicap mental : pour un meilleur accès aux soins
Comment améliorer la prise en charge somatique des personnes ayant une pathologie psychiatrique sévère et chronique? Cette question n’a toujours pas trouvé de réponse. Illustration
Ils sont différents de nous. Est-il nécessaire de le préciser ? Oui, dans la mesure où cela est au coeur des drames qui se jouent parfois loin de nos yeux, dans ces établissements que l’on nomme pudiquement Maisons d’accueil spécialisées. Ou MAS. Parmi les seules structures en France capables d’accueillir des adultes très lourdement handicapés. La plupart sont conduits là lorsque leurs parents – qui prenaient jusque-là soin d’eux – décèdent. Ou lorsqu’ils sont trop âgés, trop épuisés, pour continuer à les porter. Au détour d’une enquête sur ces établissements, nous avons été interpellés par la situation dramatique d’une résidente. Elle vit dans une MAS dont nous ne donnerons pas le nom. Pour une raison simple : ce qui s’y passe n’est en rien spécifique à cette structure, mais témoigne plus globalement des graves lacunes qui entachent la prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux en France. En commençant par les soins somatiques, auxquels notre société semble estimer qu’elles n’ont pas droit. Cela signifie-t-il qu’elles ne sont pas des êtres humains au même titre que nous ? « L’une de nos résidentes, atteinte de troubles du comportement importants, souffre de plaies très sévères au visage à la suite d’actes d’automutilation. Elle a besoin d’être hospitalisée. Nous n’arrivons pas à trouver d’établissement qui l’accueille. À plusieurs reprises, elle a dû être conduite aux urgences. Mais après quelques soins légers, on la renvoie systématiquement à la MAS.» Les équipes de l’établissement qui a accepté de nous ouvrir ses portes sont inquiètes. Il nous faudra peu de temps pour en comprendre les motifs lorsque nous rencontrerons cette résidente. «Attention, ce que vous allez découvrir peut vous impressionner», nous a-t-on prévenus. En dépit de cette préparation, nous étoufferons un cri en pénétrant dans la chambre capitonnée de Véronique La quinquagénaire, recroquevillée dans sa couette, s’est «arraché» littéralement le nez. Plaie béante au milieu du visage. Accroupie auprès d’elle, une jeune femme, salariée de la MAS, lui caresse doucement les cheveux. Tendrement. Véronique s’apaise. Elle se dissimule entièrement sous la couverture. Il a fallu débarrasser la pièce de tous les objets susceptibles de blesser Véronique. Même les murs ont été recouverts d’épais tapis. «Elle se jette contre les murs avec une extrême violence », nous explique-t-on. La direction a informé l’Agence régionale de santé (ARS) Paca de cette situation difficile. L’instance a débloqué des fonds qui ont permis de recruter du personnel supplémentaire pour veiller sur elle. Elles sont ainsi trois salariées à se relayer jour et nuit auprès de Véronique : la direction n’a eu d’autre choix que d’engager du personnel supplémentaire pour répondre aux besoins de surveillance de la quinquagénaire, mais aussi pour protéger les autres
résidents de ses éventuels « excès ». « Elle dort seulement une heure par jour. » Selon les médecins qui l’ont examinée, Véronique, qui présente une déficience intellectuelle profonde, «démarre probablement aussi une démence ». Probablement. Véronique ne parle pas. Comment imaginer pour autant que les graves blessures qu’elle s’est infligées – pour quel motif ? – ne soient pas sources de douleurs physiques? « C’est terrible, il reste encore beaucoup de gens convaincus que les personnes handicapées mentales ne souffrent pas ! » s’emporte la direction.
Véronique est sous morphine. Mais son comportement fait penser à ceux qui accompagnent chaque seconde de ses jours et ses nuits que ses douleurs ne sont toujours pas domptées. La scène est tragique. Mais détourner le regard, est-ce la bonne réponse ?
1. Il s’agit d’un prénom d’emprunt.