Urbanisme : le drone à la recherche d’infractions
Avec l’apparition des drones civils, si d’aucuns pensent à les utiliser pour réaliser des reportages vidéo ou photo, porter secours ou, dans un futur proche, assurer des livraisons, d’autres, en revanche, ont eu l’idée d’y avoir recours comme un véritable outil de surveillance. Notamment pour faire respecter le Code de l’urbanisme. En s’équipant de quadricoptère, des communes entendent ainsi mener la chasse aux infractions aux règles d’urbanisme à moindre coût (moins cher que l’heure d’hélicoptère...). Oui mais voilà : et la vie privée dans tout ça ? Le sénateur (NI) de Moselle, Jean-Louis Masson, s’en est inquiété et a posé une question écrite (1) au gouvernement : « [...] une commune peut[-elle] utiliser un drone pour procéder à des contrôles de propriétés privées à l’effet notamment, de relever d’éventuelles infractions aux règles d’urbanisme ou de non-déclaration de création de piscines pour le calcul de l’assiette des impôts locaux [?] » La réponse du ministère de la Cohésion des territoires (2) est sans ambages : en vertu du principe du respect de la vie privée, le constat d’une infraction sur un propriété privée à l’aide d’un drone peut être considérée comme illicite dès lors que la zone contrôlée est inaccessible au regard. Une commune peut donc faire voler un drone pour contrôler mais ne peut pas utiliser les images à des fins de preuve. Le ministère débute sa réponse bien charpentée en rappelant que « la réglementation relative aux aéronefs télépilotés ou “drones” repose sur deux arrêtés : l’arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux
conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui les utilisent et l’arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord. » On ne peut donc pas faire voler un drone comme bon nous semble en raison du danger que ce type d’aéronef présente. En effet, « cette réglementation vise à assurer la sécurité des personnes et biens au sol et celle des autres aéronefs, civils ou militaires [...]» en permettant « l’usage professionnel des drones, y compris en milieu urbain, mais sous certaines conditions s’imposant à tout utilisateur, même pour le compte d’une collectivité locale. Ainsi, en zone peuplée, le drone
doit évoluer en vue du télépilote, la masse du drone étant limitée (8 kg, charge utile comprise) de même que son énergie d’impact, avec dans certains cas (à partir de 2 kg) obligation d’équipement de dispositifs de protection. Il doit être établi un périmètre de sécurité dont la taille dépend de la hauteur des évolutions du drone et de sa vitesse mais doit être supérieur à 10 m ; dans ce périmètre, l’exploitant doit s’assurer qu’aucun tiers non impliqué dans l’exploitation ne peut pénétrer. » Et avant le décollage du drone, un certain formalisme doit être respecté par l’exploitant. Il doit « déclarer l’activité auprès de la direction de la sécurité de l’aviation civile, être assuré et le télépilote doit être apte. Une déclaration
en préfecture est obligatoire pour les vols en agglomération et en zone peuplée. Ces éléments relatifs à l’utilisation et à l’exploitation des drones s’entendent sans préjudice des dispositions de l’article L. 62113 du Code des transports relatives au survol des propriétés privées et de celles de l’article D 133-10 du code de l’aviation civile concernant la prise de vue aérienne. » Cependant, d’un point de vue juridique, pourquoi les photos ne peuvent être retenues comme preuve ? « L’administration de la preuve en matière pénale est gouvernée par un principe de liberté. L’article 427 du Code de procédure pénale énonce, en effet, que “les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve”», rappelle le ministère. « Néanmoins, le principe de liberté de la preuve souffre deux limites importantes que sont la loyauté et la licéité de la preuve. Or la licéité de la preuve exige que la preuve ne doit pas avoir été recueillie ni dans des circonstances constitutives d’une infraction ni au mépris du respect des principes généraux du droit au nombre desquels figure le respect de la vie privée. La captation d’images par la voie des airs au moyen d’un drone survolant une propriété privée peut être considérée comme une ingérence dans la vie privée. Ainsi, selon la jurisprudence, la captation d’images opérée par des policiers dans un lieu inaccessible depuis la voie publique doit, en application des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, être fondée sur une prévision législative, telle que l’article 706-96 du Code de procédure pénale [autorisation du juge des libertés et de la détention, ndlr] .À défaut, aucune intrusion ne peut être valablement effectuée en un tel lieu (crim. 21 mars 2007, n° 0689444) ». Et le couperet gouvernemental de tomber en fin de réponse : « En conséquence, le constat d’une infraction sur une propriété privée à l’aide d’un drone peut être considéré comme illicite dès lors que la zone contrôlée est inaccessible aux regards. »
1. Question écrite n° 01425 publiée dans le JO Sénat du 05/10/2017 - page 3 053
2. Réponse du Ministère de la cohésion des territoires publiée dans le JO Sénat du 11/01/2018 - page 94.