Monaco-Matin

Impôts, retraites jeunesse, h : ce que veut faire Macron

Dans une interview à la presse quotidienn­e régionale le Président livre un discours de vérité à quelques jours d’un remaniemen­t très attendu

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Pour parler à la France, Emmanuel Macron a choisi la presse quotidienn­e régionale. Celle qu’on lit dans les villages qui se sont sentis oubliés lors de la crise des « gilets jaunes », celle des villes dont les maires se sont retroussé les manches pour pallier les carences de l’Etat lors de la crise sanitaire. A quelques jours d’un remaniemen­t déterminan­t pour la suite et la fin de son quinquenna­t, le chef de l’Etat trace le « nouveau chemin » qu’il entend emprunter jusqu’en  dans un contexte extraordin­airement difficile. Relance économique, impôts, jeunesse, autonomie des collectivi­tés locales : près de deux heures d’échanges concrets, hier à l’Elysée, avec neuf journalist­es de la presse des territoire­s autour des sujets qui préoccupen­t les Français. Promis : Emmanuel Macron ne fera plus de réforme « contre les gens » mais privilégie­ra « le dialogue » et « l’associatio­n », notamment avec les collectivi­tés locales, particuliè­rement efficaces et réactives lors de la crise.

La crise du Covid- est-elle derrière nous ou la France doit-elle craindre une deuxième vague ?

Nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire, mais de sa phase la plus aigüe. Nous entrons désormais dans une phase de surveillan­ce et de grande vigilance. J’ai demandé au gouverneme­nt de préparer une campagne de prévention durant l’été. Dans certains territoire­s comme Mayotte ou la Guyane, le virus circule encore activement. Nous devons donc rester mobilisés et solidaires avec nos territoire­s ultramarin­s.

Le reconfinem­ent général peut-il en faire partie ?

Il ne faut rien exclure. L’objectif est de tout faire pour l’éviter. Quant à savoir s’il faut s’attendre à une ré-accélérati­on de la circulatio­n du virus, je ne sais pas. Nous ne savons pas tout, mais nous nous préparons à tout.

Cette crise a souligné les difficulté­s du monde de la Santé. Le Ségur de la Santé s’achève et pour les syndicats, l’enveloppe de , milliards d’euros n’est pas à la hauteur. En restera-t-on là ?

Notre système de santé est un bien commun que nous devons préserver. J’ai acquis la conviction que l’hôpital avait été fragilisé par des années de gestion budgétaire trop court-termiste. La réponse, par le dialogue du « Ségur », c’est un investisse­ment massif et durable de la nation dans notre système de santé, un meilleur accès aux soins pour tous, une simplifica­tion du

fonctionne­ment de l’hôpital pour les personnels comme pour les usagers. Nous allons très fortement revalorise­r les situations des personnels médicaux et non médicaux. Le gouverneme­nt a mis plusieurs milliards sur la table et la négociatio­n est en cours. Nous augmentero­ns de plusieurs centaines d’euros les rémunérati­ons à coup sûr ; une partie doit être liée à une forme de contractua­lisation au sein de chaque hôpital pour en améliorer la qualité des soins et de l’organisati­on. Le Ségur de la Santé doit aussi permettre un décloisonn­ement, une simplifica­tion, plus de liberté sur le terrain, moins de bureaucrat­ie, et au bout du compte un système plus efficace. L’investisse­ment dans les bâtiments, les équipement­s et le numérique sera également massif : nous dégagerons au total entre  et  milliards d’euros.

Vous promettez un nouveau chemin, vous demandez aux Français une réinventio­n.

Je crois que le cap sur lequel je me suis engagé en  reste vrai. Mais ce cap que j’ai fixé ne peut pas non plus faire fi des bouleverse­ments internatio­naux et de la crise économique dans laquelle nous sommes en train d’entrer. J’ai consulté largement, depuis plusieurs semaines, afin de rassembler toutes les forces vives du pays pour affronter les prochaines étapes de la crise. La rentrée sera difficile et il faut nous y préparer. Il nous faut donc dessiner un nouveau chemin. Je le vois autour de la reconstruc­tion économique, sociale, environnem­entale et culturelle du pays. Cette reconstruc­tion commence par le Ségur de la santé. Elle va se poursuivre par un chantier sur le grand âge, puis sur

l’accompagne­ment de notre jeunesse, car il ne saurait y avoir de génération sacrifiée.

Un autre chantier essentiel est celui de l’égalité des chances, sur lequel nous n’avons pas été assez loin. On le voit quand une partie de notre jeunesse nous dit

« quand on a telle couleur de peau ou tel prénom, on n’a pas la même place dans la République ». Ils seront les premières victimes de la crise. C’est à la jeunesse que nous avons demandé le plus de sacrifices. Ne pas sortir, interrompr­e les études. C’est   ou   jeunes qui entreront sur le marché du travail à la rentrée, ce sont ceux qui verront des guichets fermés. Nous ne pouvons pas les laisser seuls face à cette situation.

Y aura-t-il une prime à l’embauche pour ces jeunes ? Des suppressio­ns de charges pour les entreprise­s qui embauchero­nt des jeunes ?

Nous irons en effet beaucoup plus loin dans les prochaines semaines. Il y aura des incitation­s financière­s à l’embauche et un ensemble de mesures pour ne laisser aucun jeune sans solution.

Quelle est la philosophi­e du plan de relance qui doit être présenté cet été ?

Nous devons collective­ment rompre avec ce qui est la maladie française : la préférence pour le chômage. Le modèle français classique, c’est d’accepter des plans sociaux massifs, ensuite d’avoir un système très généreux qui les indemnise. Au fond, un modèle qui fait que nous n’avons jamais réglé le problème du chômage de masse.

On doit, par le dialogue social et la mobilisati­on de tous, réussir à éviter, partout où on le peut, les plans sociaux ou les limiter quand ils sont là.

C’est une nouvelle donne sociale pour sauver l’emploi, ensemble, que j’ai souhaité lancer avec les partenaire­s sociaux. Et cela s’est traduit par une vision, je crois, partagée. Et on a commencé à agir. On le voit avec le plan aéronautiq­ue, qui a réduit le plan social qu’il y a chez Airbus aujourd’hui. Mais je vais être très clair avec vous : il y a des plans sociaux, et il y en aura. La crise sanitaire a détruit  points de richesse nationale et mis des secteurs entiers à l’arrêt. Cela a forcément des conséquenc­es sur les entreprise­s.

Le nucléaire est-il partie prenante de la transition énergétiqu­e ?

Jamais je ne supprimera­i du nucléaire pour remettre de l’énergie fossile car ce serait accepter plus d’émissions de CO. Supprimer du nucléaire a du sens quand on peut le substituer par du renouvelab­le non intermitte­nt.

‘‘ Aujourd’hui, nous ne savons pas encore le faire complèteme­nt.

Il faut avoir réussi la capacité de stockage du renouvelab­le ou par de la baisse de consommati­on c’est-à-dire rénovation thermique des bâtiments, baisse de consommati­on des déplacemen­ts.

Un modèle qui consomme moins, c’est ça qui est pertinent en termes de souveraine­té économique et en termes d’émissions de CO. Le plan de relance aura ça au coeur.

L’Europe est-elle à la hauteur de la crise ?

Il faut faire de cette crise une opportunit­é en nous aidant à aller plus loin, plus vite et plus fort sur la constructi­on d’un modèle social plus intelligen­t pour nos jeunes, plus environnem­ental et à réindustri­aliser plus vite le pays. Ce sur quoi j’ai beaucoup travaillé et que nos compatriot­es n’ont pas beaucoup vu, c’est sans doute le changement de paradigme le plus important en Europe de ces dernières années : l’accord francoalle­mand que nous avons conclu avec la Chancelièr­e. Après deux Conseils de crise qui étaient des échecs, des moments de très grandes tensions entre l’Europe du nord et certains pays du sud, nous avons travaillé d’arrachepie­d pendant plusieurs semaines

‘‘

Un autre chantier essentiel est celui de l’égalité des chances.”

Nous sommes un des pays les plus fiscalisés du monde.”

avec Angela Merkel de manière confidenti­elle pour bâtir un accord franco-allemand qui reconnaît que la zone euro et le marché européen peuvent s’effondrer avec cette crise. On accepte ensemble d’émettre de la dette. Ce qui ne serait pas juste, ce serait de financer les dépenses nouvelles pour le modèle social et les augmentati­ons de salaires sur

de la dette. Là-dessus, j’ai été très clair. Le nouveau chemin, ce n’est pas le tête-à-queue.

Vous n’augmentere­z pas les impôts ?

Non. Ce serait une erreur profonde parce que nous sommes un des pays les plus fiscalisés du monde.

Même pour la taxe carbone ?

Je pense que sur les deux ans qui viennent, nous n’arriverons pas à remettre une taxe carbone. Cela doit être un débat de la prochaine élection présidenti­elle. Si une taxe carbone qui est pertinente d’un point de vue économique peut exister ; elle doit exister d’abord au niveau européen. Je vais me battre pour cela avec une taxe aux frontières de l’Europe, comme l’a proposé la convention citoyenne. Ensuite, elle ne peut exister en France que dans le cadre d’une réforme fiscale en profondeur qui soit environnem­entale et juste. Donc elle passe par la réforme d’autres impôts mais ce n’est pas la priorité du moment.

Est-ce qu’il faut remettre en cause les  heures ?

La priorité à court terme, c’est de sauver les emplois, à commencer par l’activité partielle de longue durée. Mais le débat que nous avions connu avant cette crise autour de la durée du nombre d’années de cotisation dans la vie continue à se poser. Nous ne pouvons pas être un pays qui veut son indépendan­ce, la reconquête sociale, économique et environnem­entale et être un des pays où on travaille le moins tout au long de la vie en Europe. Nous devons être honnêtes avec nous-mêmes.

On ne renonce donc pas à l’âge-pivot ?

Est-ce que la réforme des retraites est à jeter ? Non. Ce serait une erreur pour deux raisons. La première, c’est que le système universel de retraite est juste. Nous avons tous vu durant cette crise ce qu’on appelle la deuxième ligne, les livreurs, les caissières… Toute cette France-là est la France perdante du système de retraite actuel. C’est celle qui gagne dans le système de retraite universell­e par points, celle des petites carrières et des carrières fracturées. Le deuxième sujet, c’est celui des équilibres financiers. Je demanderai au gouverneme­nt de réengager rapidement une concertati­on en profondeur, dans un dialogue de responsabi­lité associant les partenaire­s sociaux dès l’été sur ce volet des équilibres financiers. Il faut que tout cela soit mis sur la table. Il n’y aura pas d’abandon d’une réforme des retraites. Je suis ouvert à ce qu’elle soit transformé­e.

Cela peut passer par une augmentati­on de la durée de cotisation ?

Nous avons un modèle social parmi les plus généreux au monde, qui a montré sa force durant cette crise.

‘‘ Nous l’avons en partage. Cette réforme ne peut pas être reprise de manière inchangée à la sortie de crise, mais la question du nombre d’années pendant lesquelles nous cotisons demeure posée.

Avec toutes ces réformes, une partie de la France est en colère. Vous sentez-vous responsabl­e ?

J’ai ma part de maladresse. J’ai parfois considéré qu’il fallait aller vite sur certaines réformes. Cela ne peut marcher que par le dialogue. J’ai beaucoup d’ambition pour notre pays. J’ai parfois donné le sentiment de vouloir faire les réformes contre les gens.

Quelle est votre vision de la décentrali­sation ?

Rien ne peut se faire sans une large concertati­on avec l’ensemble des acteurs. Je suis toutefois favorable à ce qu’on ait plus de différenci­ations, parce que je pense que cela correspond à la fois à la demande des collectivi­tés territoria­les et au besoin des territoire­s. Avec la différenci­ation, je suis prêt à faciliter les expériment­ations. Le dialogue doit s’organiser entre tous les territoire­s et le gouverneme­nt. La

‘‘ priorité qui est la nôtre, c’est la reconstruc­tion du pays. A court terme, il ne faut pas que nous nous perdions dans des grands débats. Il faut que nous soyons pragmatiqu­es. Et qu’on associe tout le monde. Je suis prêt à associer tous les élus qui sont prêts à l’effort de reconstruc­tion. Pas par des grandes réformes institutio­nnelles mais par des politiques concrètes. De différenci­ation. D’associatio­n. De clarificat­ion. Je veux les associer en lançant, dès cet été, une grande conférence des territoire­s où je veux de manière très concrète qu’on regarde au cas par cas, qu’on ne se perde pas dans des débats de cathédrale.

Faut-il reporter les élections départemen­tales et régionales ?

C’est un faux débat. Les débats institutio­nnels, il faut les ouvrir, j’y suis prêt. Mais pensez-vous que ce serait bienvenu de la part du président de la République d’imposer, lui seul, ce report ? Ce n’est pas au Président de trancher, seul, cette question.

Si on va vers un nouveau big-bang des collectivi­tés territoria­les et des transferts massifs de compétence­s, ça peut prendre des mois.

Est-ce la priorité alors qu’on aura des élections au mois de mars et que le temps est à la reconstruc­tion du pays ?

Avez-vous pris votre décision sur le maintien d’Edouard Philippe ?

Depuis trois ans à mes côtés, il mène avec les gouverneme­nts successifs un travail remarquabl­e et nous avons conduit des réformes importante­s, historique­s, dans des circonstan­ces souvent très difficiles. Il conduit des réformes importante­s et nous avons une relation de confiance qui est, d’un certain point de vue, unique à l’échelle de la Ve République. J’aurais à faire des choix pour conduire le nouveau chemin. Ce sont de nouveaux objectifs d’indépendan­ce, de reconstruc­tion, de réconcilia­tion et de nouvelles méthodes à mettre en oeuvre. Derrière, il y aura une nouvelle équipe.

Historique, cela signifie que c’est de l’histoire ancienne avec Edouard Philippe...

J’ai fait le choix, en , de prendre à mes côtés un homme qui n’a pas fait ma campagne et qui n’était pas dans ma formation politique, qui était dans la même démarche d’ouverture et de dépassemen­t des clivages traditionn­els.

Ce que nous avons réussi à faire pendant trois ans, avec beaucoup de confiance et de coordinati­on, est inédit, contrairem­ent à ce qui a été écrit.

On dit que vous souhaitez un gouverneme­nt de combat : qu’est-ce que cela signifie ?

Nous aurons peu de priorités : la relance de l’économie, la poursuite de la refondatio­n de notre protection sociale et de l’environnem­ent, le rétablisse­ment d’un ordre républicai­n juste, la défense de la souveraine­té européenne.

Oui, il faut toujours qu’il y ait de nouveaux visages, de nouveaux talents. Des personnali­tés venues d’horizons différents. Le choix des hommes et des femmes est important mais les ambitions pour le pays sont plus grandes que nous, les institutio­ns et leur calendrier s’imposent à nous.

Je suis prêt à associer tous les élus qui sont prêts à l’effort de reconstruc­tion.”

Pensez-vous à  ?

Je n’ai pas le droit de faire des calculs pour moi. Cela voudrait dire de renoncer à prendre des risques utiles pour relancer l’économie. Si on veut réconcilie­r sans agir, en étant un tacticien pour soi-même, c’est une faute grave.

Qu’avez-vous pensé du très mauvais résultat de La République en marche aux élections municipale­s ?

Mon rôle n’est pas de commenter la vie politique française. Le président de la République n’est pas un chef de parti. De là où je suis, je félicite tous les maires que les Français se sont donnés et je veux travailler avec eux.

Quand, dans votre discours du  avril, vous avez employé l’expression des « jours heureux », vous faisiez allusion au programme du Conseil national de la Résistance.

Mais votre « nouveau chemin » semble être beaucoup moins ambitieux…

2022 ? Je n’ai pas le droit de faire des calculs pour moi.”

Nous sommes en train de bâtir un modèle de protection qui n’a jamais existé ; nous sommes en train de bâtir un modèle de formation sans équivalent, notamment pour les jeunes ; nous sommes en train de créer une nouvelle branche de la protection sociale, celle de la dépendance ; nous sommes en train de refonder l’hôpital comme il n’a pas été refondé depuis  ; nous nous donnons pour objectif de réindustri­aliser le pays en réinventan­t un modèle industriel écologique.

Ces quelques chantiers montrent le caractère historique de notre action. Simplement, ils ne se font pas du jour au lendemain. La France des jours heureux, c’est d’abord la France des devoirs. Nos prédécesse­urs qui ont reconstrui­t le pays en  avaient aussi l’esprit de conquête chevillé au corps, le refus de la défaite. Cet esprit de défaite, je le vois trop souvent rôder et ce n’est pas bon pour notre pays.

PROPOS RECUEILLIS PAR DENIS CARREAUX

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 ?? (Photos Thierry Lindauer) ?? Emmanuel Macron face à la presse quotidienn­e régionale au Palais de l’Elysée hier matin.
(Photos Thierry Lindauer) Emmanuel Macron face à la presse quotidienn­e régionale au Palais de l’Elysée hier matin.
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