Attentat de Nice : l’étrange affaire du tableau de Mejia
Le 15 juillet 2016, son aquarelle a fait le tour du monde, devenant le symbole de la tragédie. Le peintre a voulu offrir son oeuvre à la Ville… qui n’a jamais donné suite
Ce soir-là, il aurait dû se trouver sur la Prom’. Avec sa fille sur les épaules et la paume de sa femme dans sa main. Alors, lorsque John Mejia a appris que l’impensable venait de se produire, son coeur s’est arrêté. 14 juillet 2016. Un camion terroriste. Des hurlements de panique. Des morts par dizaines.
« Je n’avais encore vu aucune image, assure l’artiste installé à Mougins. J’ai réagi de façon immédiate. Viscérale. J’ai saisi une toile vierge, des pinceaux et j’ai brossé en cinq minutes ce tableau en bleu, blanc, rouge. Puis j’ai pris une photo que j’ai envoyée au journal Le Monde. Un journaliste l’a aussitôt posté sur son compte Twitter. Le matin, un copain m’appelait d’Australie : il avait vu mon aquarelle. En une nuit, elle avait fait le tour de la planète… »
« Cette oeuvre appartient aux Niçois »
Au lendemain de cette nuit de larmes, John Mejia sort de l’ombre. Ce peintre inconnu a réalisé, sans le savoir, l’oeuvre emblématique de la tragédie azuréenne.
Il songe d’abord à garder cette toile « en souvenir ». Mais très vite, pour lui, une évidence s’impose : elle appartient aux Niçois.
Nulle visée commerciale derrière cet élan du coeur. « Je n’avais aucune intention de la vendre. Je voulais l’offrir à la Ville pour qu’elle l’expose où elle le souhaitait. » Avec son cadre sous le bras, l’homme se présente en mairie. L’accueil est chaleureux. Mais on lui précise qu’on ne « peut pas accepter un don comme ça. Il faut que ça passe par la direction des affaires culturelles. »
John Mejia hoche la tête, laisse ses coordonnées, rentre chez lui et rédige une lettre formalisant son offre. Un mois plus tard, il reçoit un courrier de la Direction générale adjointe de la culture et du patrimoine qui, « au nom du cabinet du maire de Nice et président de la Métropole », l’informe de l’ouverture prochaine d’un concours pour l’installation d’une « oeuvre mémorielle » le 14 juillet 2017.
« Je transmets par conséquent votre proposition à Jean-Jacques Aillagon, [ancien ministre de la Culture], qui procédera prochainement à la sélection, poursuit le directeur général adjoint du service. Vous serez informés de la suite qui pourra lui être réservée. »
Ensuite ? Rien. Pas le moindre retour de la municipalité. « J’ai attendu quelques mois, soupire l’artiste. Puis, voyant que rien n’arrivait, j’ai contacté l’association Promenade des anges pour leur proposer ma toile. Un des responsables a paru intéressé. Mais, là encore, plus de nouvelles. »
Vendue euros
Les semaines passent. L’aquarelle se promène d’exposition en exposition dans tout l’Hexagone.
« Un industriel belge a voulu me l’acheter, sourit le peintre. J’ai refusé. Puis un médecin varois la voulait absolument. Pour le décourager, j’ai réclamé une somme énorme : 12 000 euros. Il a accepté ! »
En octobre 2017, la vente est conclue. L’oeuvre promise à la capitale azuréenne bascule dans le département limitrophe. « Début 2019, le même responsable de l’association
m’a recontacté, souligne Mejia. Il m’a dit qu’il avait eu un souci de portable… C’était trop tard!»
L’artiste, née dans la misère d’une favela colombienne, écarte les bras en signe d’impuissance : « Moi, je voulais juste faire plaisir aux Niçois. J’imaginais que ce tableau pourrait trouver sa place à la mairie ou dans un musée. Je ne connaissais rien aux rouages de l’administration. J’ignorais qu’il était si difficile, ici, de faire un cadeau aux gens. »