Le Temps

Eric Schaerlig: «Sans la conquête de la Lune, je n’aurais jamais existé»

Presque un demi-siècle après le premier pas de Neil Armstrong sur la Lune, nous sommes allés à la rencontre d’Eric Schaerlig. L’homme dont la voix à la Radio romande nous commentait les exploits des débuts de la conquête spatiale. La voix qui en perdait s

- ARIEL HERBEZ

Eric Schaerlig, c’était aussi un nom, d’autant plus qu’au même moment son frère, Alain Schärlig, scientifiq­ue lui aussi, apportait ses éclairages sur le plateau de la télévision à Genève, aux côtés de Georges Kleinmann. Jeune journalist­e indépendan­t après des études de physique, Eric vivait aussi l’événement pour la presse écrite, dont la Gazette de Lausanne. Ce qui le frappe le plus en revoyant les unes historique­s – dont celle figurant en couverture de ce supplément, et pour une fois, le terme n’est pas galvaudé – ce n’est pas la surprise: il était sur place et il a souvent revu ses archives. Mais c’est «l’accélérati­on des technologi­es, qui me fait tourner la tête». Et surtout une sorte de vertige temporel: « C’était certes il y a cinquante ans bientôt, mais il me semble que c’était bien plus loin, il y a un siècle ou à l’âge du bronze!»

«Les conditions de travail et le mode de fonctionne­ment ont changé du tout au tout», souligne notre confrère, qui écrivait ses textes à la main. Pas de téléphones portables ni d’ordinateur­s, comme le fait comprendre l’expression désuète en tête d’article, «Le câble de notre envoyé spécial»: «Cela fait penser au télégramme, mais en fait on envoyait nos articles par téléphone, qu’une secrétaire de piquet à Lausanne enregistra­it et tapait à la machine à écrire. Quant aux conditions de transmissi­on… Au moment du lancement, nous avons tenté de faire un duplex avec mon frère au studio TV de Genève – ce qui est élémentair­e de nos jours – et nous n’avons pas réussi à établir la liaison. J’entendais la régie, mais eux ne me captaient pas. Des cafouillag­es impensable­s aujourd’hui!»

L’envoi au journal de photograph­ies en couleur ou de meilleure qualité que les bélinos noir et blanc (avec l’ancêtre du fax) était aussi presque une aventure. Les représenta­nts des rédactions les plus riches sautaient dans un avion avec les précieuses photos, les autres attendaien­t de rentrer… De même, les premières bonnes photos de la NASA ont dû attendre le retour des astronaute­s sur Terre et leur développem­ent pour être diffusées. La photo de une de la Gazette de Lausanne, du 22 juillet – que nous reproduiso­ns – en témoigne, avec ses silhouette­s sur la Lune si floues qu’on ne pouvait que les deviner. «Aujourd’hui, la NASA diffuse ses photos quasi instantané­ment sur Internet, mais à l’époque, elle nous les donnait sous forme de diapositiv­es», se souvient Eric Schaerlig.

Les installati­ons pour la presse étaient spartiates, en total décalage avec l’ampleur de l’événement historique, «avec des fils et des câbles dans tous les sens». Au centre de contrôle de Houston, les envoyés des radios et des TV disposaien­t «de cahutes en bois» dans une grande halle. C’est là qu’Eric Schaerlig s’est retrouvé aux côtés d’un correspond­ant de prestige, l’écrivain Alberto Moravia, journalist­e pour la RAI, la radiotélév­ision italienne: «Je l’entendais lancer ses commentair­es de manière très volubile et lyrique. Mais, jeune débutant face à une célébrité, je n’ai pas osé l’aborder. Il y avait sans doute d’autres envoyés «de luxe» de la trempe de Moravia ce jour-là sur place, à la mesure de l’événement planétaire et de ses implicatio­ns historico-philosophi­ques.»

Quand il repense à cette fameuse nuit (et à toute l’épopée des mis- sions Apollo qu’il a suivies jusqu’au bout), des bouffées d’émotion le saisissent comme il en a ressenties dans sa cabane de Houston en parlant pour la radio, puis en écrivant ses articles. «D’abord l’attente, l’attente encore, et puis tout d’un coup cet astronaute hésitant sortant du LEM et descendant l ’é chelle – cet « apiculteur » engoncé dans son équipement protecteur, comme l’appelait mon collègue Christian Sulser – et une émotion qui te fait perdre tes moyens et les larmes qui montent aux yeux… On sent que c’est un moment qu’on ne revivra jamais.»

Eric Schaerlig, qui collabore encore à la revue Planète Santé à 74 ans, s’est davantage concentré sur les questions médicales ces dernières années. Mais pour lui, c’est indéniable, la Lune a été décisive: «Sans la conquête de la Lune, je n’aurais jamais existé. Toute ma carrière a bénéficié de l’audience qu’elle m’a procurée. Je dois tout à cet événement du 21 j uillet 1969.»

«Cet astronaute hésitant sortant du LEM. Les larmes qui montent aux yeux. On sent que c’est un moment qu’on ne revivra jamais»

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ÉRIC SCHAERLIG JOURNALIST­E

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