La fausse naïveté recyclée
Au Théâtre Saint-Gervais, à Genève, une compagnie romande imagine «Recyclage», un spectacle autour de la récupération. L’idée de base est astucieuse, mais le résultat, faussement innocent, ne décolle pas
Evidemment, ce n’est pas le premier spectacle qui joue la carte de la fausse naïveté. Avant la compagnie Zooscope, à voir ces jours au Théâtre Saint-Gervais, des artistes de renom, comme Marco Berrettini ou Rodrigo Garcia, se sont distingués par cette façon de dire des choses graves avec l’air de ne pas y toucher. Le procédé peut être redoutable d’efficacité. Mais, pour obtenir cet effet de double détente, il faut une plume et un regard acérés. Visiblement, les Lausannois Katy Hernan et Adrien Rupp n’ont pas (encore) cette maîtrise. Leur spectacle Recyclage n’est pas désagréable, mais il est souvent si maladroit en termes de jeu, de rythme et de dramaturgie qu’on est loin, très loin de la lucidité qui avance masquée.
L’idée? Elle est futée: parler de recyclage en recyclant. La forme et le fond qui regardent dans la même direction. Dans cette création, tous les éléments à l’oeuvre ont déjà servi, à commencer par les costumes d’animaux, pingouin et panda, qui représentent en plus des espèces disparues ou en voie de disparition. La lumière, signée Philippe Maeder, provient d’équipements (néons, projecteurs) récupérés dans d’autres productions, tandis que la musique, signée Cédric Simon, est composée de morceaux qui ont été refusés dans la création d’autres bandes-sons. Les comédiens, eux aussi, ont déjà servi, mais ça, c’est normal. Une dernière originalité dans le dispositif? Un site, recyclage.zooscope.ch, créé tout exprès par Alexandre Montin, qui reprend le graphisme bien connu de Wikipédia. Il est animé en direct par son concepteur et, comme l’encyclopédie en ligne, procède par connexions et autres liens. Malin.
Longs tunnels
Au niveau des contenus, le recyclage est encore la règle. Chaque comédien livre son anecdote privée et ses motivations à participer à un tel spectacle, selon le mode désormais très usité de la confession en scène et du voile levé sur les coulisses du travail. Ce parti pris réserve de grands moments, mais aussi des tunnels longs, très longs à traverser. Dans un costume de goutte bleue tiré d’un spectacle écologique, Vincent Fontannaz chante le chagrin d’un fleuve amazonien pollué. Son absurde poétique plaît. Dans un costume de panda, l’excellent Frank Semelet avoue sa voxophilie et se livre à un numéro d’imitation de Roger Carel qui fait lui aussi tout son effet. Nue, comme elle l’a souvent été dans des spectacles de danse, Katy Hernan parle de sa maternité. Touchant, mais, question texte et jeu, l’exercice est laborieux. Dans un costume de Grand Pingouin, Adrien Rupp raconte l’extinction de cette espèce. Là aussi, le récit tire en l ongueur. Quant à Viviane Pavillon, constamment plantée en scène telle le plancton qu’elle est, ses interventions sont censées être décalées, elles sont surtout sans grand intérêt.
Spectacle de fin d’année
Mais, au-delà des failles de propos et de jeu, le problème principal – et il se devine à la description ci-dessus intentionnellement répétitive – réside dans le rythme et la construction. Difficile d’imaginer plus scolaire et plus ennuyeux que ce défilé linéaire de personnages. L’idée est peut-être de parodier les spectacles scolaires de fin d’année où chaque élève y va de son petit talent. L’ennui, c’est que ce stade n’est jamais transcendé et que la soirée vire vite à la démonstration sans élan.