«Au-delà de la France, c’est la langue française qui est invitée»
Commissaire de «Francfort en français», Paul de Sinety a voulu l’ouverture aux littératures francophones
La France est l’invitée d’honneur de la Foire du livre de Francfort. Quelle a été votre motivation en ouvrant cette invitation à toutes les littératures francophones? L’élément fédérateur est l’idée qu’au-delà de l’invitation à un pays, il s’agit d’une invitation à une langue. Il nous a semblé intéressant, en prenant conscience de l’importance de la présence de cette langue française dans le monde, de la rendre visible, audible, sensible à un public allemand qui n’a pas toujours conscience de l’extraordinaire diversité des auteurs de langue française.
Aucun pays hôte d’honneur n’avait fait ce pas jusqu’ici. Pourquoi la France aujourd’hui? Notre volonté était partagée par des amis écrivains d’expression française, comme le Canadien et Haïtien Danny Laferrière ou le Franco-Congolais Alain Mabanckou. Il s’est donc agi d’abord d’un voeu d’écrivains. A quoi s’est rapidement ajouté le souhait des partenaires francophones d’Europe comme Wallonie Bruxelles, la Suisse et le Luxembourg d’être présents.
Quelque chose dans votre parcours personnel expliquerait-il cette envie d’ouverture? J’ai occupé des fonctions au Maroc de 2013 à 2015 comme conseiller culturel adjoint à l’ambassade de France. Cela m’a permis de vivre l’expérience d’une même langue exprimée selon d’autres modèles et d’autres manières de pensée. Cette proximité et cette distance me sont apparues comme un paradoxe intéressant et c’est probablement là que m’est venue l’idée de proposer l’invitation de Francfort non pas à un pays mais à une langue.
Une telle approche aurait-elle été possible en 1989, année de la précédente invitation de la France à la foire? Rappelons-nous, en 1989, nous étions quelques semaines avant la chute du Mur… Il y avait deux Allemagnes. Les auteurs de langue française non hexagonaux n’avaient pas la reconnaissance qu’ils ont aujourd’hui, notamment en France. A quoi voyez-vous cette reconnaissance aujourd’hui? Il suffit de regarder les listes de prix littéraires pour constater que depuis une quinzaine d’années, les auteurs sélectionnés, primés sont nombreux à venir d’au-delà des frontières hexagonales. Dans les années 1990, dans les librairies françaises, ces auteurs n’étaient pas présentés dans les espaces réservés à la littérature française mais avec la littérature étrangère… Ce n’est plus le cas aujourd’hui, heureusement.
Grâce à quels changements? La globalisation, la circulation des idées, des savoirs, la mobilité des artistes font que la notion de diversité est plus vivante. Le numérique joue aussi une part importante dans le changement profond que nous connaissons. L’engagement d’auteurs comme J.M.G. Le Clézio, Michel Le Bris, en faveur d’une «littérature monde» a compté? Il a compté dans la perméabilité entre les écrivains de langue française vivant en et hors de France. «Francfort en français» n’est intéressant que s’il s’agit d’une étape vers une meilleure reconnaissance des écrivains de langue française dans leur diversité.
Un voeu pour que l’esprit de «Francfort en français» perdure? Comme le disait Umberto Eco, la traduction est la langue de l’Europe. Un signal fort serait le renforcement du soutien à la traduction et au multilinguisme qui passerait par des programmes d’échanges entre traducteurs européens, par exemple.
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