Conférence houleuse sur le désarmement
GENÈVE INTERNATIONALE Le début de la présidence syrienne de l’enceinte onusienne a provoqué des échanges musclés. Les Occidentaux considèrent que Damas, utilisateur d’armes chimiques, n’est pas digne d’assumer ce rôle
Les peintures murales or et sépia de l’artiste catalan José Maria Sert datant de 1936 qui ornent la salle du Conseil posent le décor dramatique d’une session très tendue de la Conférence du désarmement (CD). Au plafond, des hommes musculeux semblent en découdre. Mardi matin pourtant, ce sont des diplomates en chair et en os qui ont croisé verbalement le fer dans une salle du Palais des Nations électrique qui servit à l’époque de siège du Conseil de la Société des Nations. Motif: la CD, seule enceinte multilatérale chargée du désarmement, est présidée depuis mardi et pour un mois par la Syrie.
Le moment est embarrassant. Jeudi dernier, à l’Université de Genève où il présentait son agenda pour le désarmement, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a botté en touche: il n’a aucune emprise sur la question. De fait, en vertu de l’article 9 du règlement de la CD, la présidence de la conférence est tournante en vertu de l’ordre alphabétique en anglais. Après la Suède puis la Suisse, c’est logiquement au tour de la Syrie.
«Jour honteux»
Contraint par les Etats-Unis et la Russie de ratifier la Convention sur l’interdiction des armes chimiques en 2013, Damas est accusé d’avoir utilisé à plusieurs reprises ces produits contre des civils syriens, un crime de guerre selon le droit international. A commencer par la Ghouta en août 2013, où il y a eu près de 1400 morts, ce qui a poussé Washington et Moscou à mettre en oeuvre un plan d’élimination des armes chimiques aux mains du pouvoir de Bachar el-Assad. Il y a eu aussi Khan Cheikhoun au début avril 2017, où plus de 80 personnes sont mortes intoxiquées et, enfin, Douma en avril 2018, où une attaque chimique a fait plus de 40 morts.
Pour l’ambassadeur américain auprès de la CD Robert Wood, la journée d’hier fut un «jour triste et honteux dans l’histoire» de l’enceinte multilatérale. Au vu des «crimes barbares» que le régime syrien a commis en utilisant des armes chimiques, Robert Wood est catégorique: «La Syrie n’a ni la crédibilité ni l’autorité morale pour assumer la présidence de la CD, cet organe même qui a négocié la Convention sur l’interdiction des armes chimiques» au début des années 1990.
En guise de protestation, le diplomate américain a quitté brièvement la salle et expliqué que les Etats-Unis allaient boycotter aussi bien la plénière que les organes subsidiaires de la CD durant la présidence syrienne.
Au nom de l’Union européenne, la Bulgarie n’a pas non plus ménagé Damas. La représentante bulgare s’est dite choquée que, vingt-cinq ans après l’adoption de la Convention sur les armes chimiques, la communauté internationale «soit à nouveau confrontée à l’utilisation de telles armes. […] Il est extrêmement regrettable que le régime syrien assume la présidence de la CD. Il n’a pas la légitimité pour le faire.» La France refuse pour sa part d’être représentée par son ambassadeur lors des sessions plénières et met en garde Damas contre une utilisation à «des fins de désinformation et de manipulation politique» de la tribune de la CD.
Juge et partie
L’ambassadeur syrien Houssam Eddin Ala s’est montré tout d’abord réservé, appelant les 65 Etats membres de la CD à ne pas prendre de «positions politiques susceptibles de créer une atmosphère négative». Mais après les déclarations des Occidentaux, il a perdu sa modération initiale. Contrairement à la pratique de la CD, où les présidents préfèrent éviter de parler au nom du pays qu’ils représentent, il a tombé ses habits de président pour se draper dans ceux de défenseur de la Syrie. Il a fustigé les tentatives de «propagandes sensationnalistes» de certains Etats. Il a rejeté les allégations selon lesquelles Damas aurait utilisé des armes chimiques. Certains pays «profèrent des accusations sans fondement et sans preuve», un prétexte pour «agresser un Etat souverain». Sans avoir peur de se contredire, Houssam Eddin Ala a invité les Etats à reprendre un langage «plus diplomatique», accusant dans le même temps certains membres de ne pas croire «dans le multilatéralisme et l’importance de la CD».
Dans l’auguste salle du Conseil, le diplomate syrien n’était pas seul. Il a obtenu le soutien de plusieurs pays dont le Pakistan, l’Inde, le Vietnam, la Chine et Cuba. Le représentant indien a voulu se montrer philosophe: «Le multilatéralisme n’est jamais facile, commode. Il y a toujours des situations que nous n’aimons pas. Mais nous devons gérer ce monde imparfait avec nos outils imparfaits.»
Le représentant chinois a quant à lui salué les avancées de Damas dans la lutte contre le terrorisme et déclaré, à propos des armes chimiques utilisées par Damas: «Aucun pays ne peut tirer ses propres conclusions» avant d’avoir les résultats d’enquêtes indépendantes qui ont pourtant été menées notamment par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Après avoir loué la suspension des essais nucléaires et le démantèlement d’un site atomique décidés par Pyongyang afin de se diriger vers un «monde dénucléarisé», le diplomate de la Corée du Nord a averti: son pays ne tolérerait aucunement une modification du système de présidence tournante de la CD.
Faut-il s’inquiéter de ces escarmouches? Alors que la CD semblait enfin faire d’infimes progrès, ceux-ci pourraient être déjà anéantis par une présidence syrienne clivante et un durcissement des fronts. Un diplomate occidental ne s’en cache pas: «Ce qui s’est passé mardi est quasiment le scénario du pire.» Un scénario qui pourrait avoir des conséquences durables.
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«La Syrie n’a ni la crédibilité ni l’autorité morale pour assumer la présidence de la CD»
ROBERT WOOD, AMBASSADEUR DES ÉTATS-UNIS
«Le multilatéralisme n’est jamais facile (...). Nous devons gérer ce monde imparfait avec nos outils imparfaits» LE REPRÉSENTANT INDIEN
À LA CONFÉRENCE