La Bulgarie tente de se rapprocher de la Russie
BALKANS A une semaine d’intervalle, Vladimir Poutine reçoit successivement le président et le premier ministre de la Bulgarie, pays qui assure actuellement la présidence de l’Union européenne…
L’essayiste Ivo Indjev a beau chercher dans sa mémoire, il ne trouve pas de précédent récent où les deux chefs de l’exécutif d’un pays européen ont fait le déplacement de Moscou à si peu de temps d’intervalle. A peine la visite du président Roumen Radev terminée, le 22 mai dernier, on apprenait de la bouche de Vladimir Poutine qu’il allait bientôt recevoir le premier ministre du pays, Boïko Borissov. Puis des officiels russes ont annoncé la date de cette visite: le 30 mai.
Pris de court, le service de presse du gouvernement bulgare a fini par confirmer la réalité de la rencontre, précisant seulement que, affaires courantes obligent – la Bulgarie assure actuellement la présidence tournante de l’Union européenne (UE) –, elle aura lieu après un déplacement du premier ministre à Zagreb et Kiev. N’empêche, pour Ivo Indjev, auteur de nombreux ouvrages sur la dépendance énergétique bulgare à l’égard de la Russie, tout cela rappelle un peu trop cette époque révolue où «lorsqu’on éternuait à Moscou, à Sofia on attrapait la pneumonie».
«Nous avons été loyaux envers l’Union européenne jusqu’à la bêtise» BOÏKO BORISSOV, PREMIER MINISTRE BULGARE
Les sujets énergétiques sont au coeur de cet intense va-et-vient entre Moscou et Sofia. Ancien général de l’armée de l’air (il a notamment brillé aux commandes d’un MIG soviétique), le président Radev a fait exactement ce que ses supporters socialistes – ex-communistes et traditionnellement proches de la Russie – attendaient de lui. A Moscou, puis à Sotchi où il a été reçu par le président russe, il a plaidé pour une reprise des contacts au plus haut niveau (une telle visite n’avait pas eu lieu depuis dix ans) et tenté de ressusciter les trois gigantesques projets énergétiques russo-bulgares: la construction d’un oléoduc et d’un gazoduc, South Stream, sous la mer Noire et destinés à contourner l’Ukraine, et d’une centrale nucléaire sur les bords du Danube. Le fameux «grand chelem» voulu par son prédécesseur socialiste, Guéorgui Parvanov, et abandonné sous la pression de l’UE par la droite conservatrice de Boïko Borissov. Ses hôtes l’ont poliment écouté, alors que la presse russe – rappelant ses prérogatives limitées dans une république parlementaire – l’a pris un peu de haut, se gaussant même de cette «Bulgarie qui tente d’obtenir le pardon gazier» de la Russie.
Une fenêtre d’opportunité pour Moscou
«Les dirigeants russes sont passés maîtres dans l’art d’humilier leurs collègues bulgares. Le plus étonnant est que ces derniers en redemandent», poursuit Ivo Indjev. Selon lui, la visite de Boïko Borissov n’échappera pas à cette règle. Officiellement, le chef du gouvernement bulgare n’est évidemment pas «convoqué» comme le suggère Indjev, mais invité par Vladimir Poutine. Ce dernier aurait particulièrement apprécié le refus de Sofia d’expulser des diplomates russes à la suite de l’affaire Skripal.
Les projets énergétiques seront bien au menu, mais pas forcément les mêmes que ceux mentionnés par le président Radev, indiquet-on dans l’entourage du premier ministre. Boïko Borissov tient à obtenir du gaz russe pour son projet de hub bulgare au large de la mer Noire. Officiellement, il ne sera pas question de la centrale nucléaire et de South Stream, «à moins que la partie russe ne soulève la question». Elle ne manquera pas de le faire: selon le Centre Carnegie de Moscou, la Bulgarie a renoncé à ces deux projets sans obtenir grand-chose de l’UE en retour. Une vraie fenêtre d’opportunité pour la Russie, d’autant plus que Boïko Borissov doit aussi donner des gages à ses partenaires de coalition, notamment au petit parti d’extrême droite qui a même reconnu l’annexion de la Crimée.
«En arrêtant South Stream, qui nous était profitable, nous avons été loyaux à l’UE jusqu’à la bêtise», avait confié un jour de 2017 Boïko Borissov. Une phrase qui n’a pas manqué de faire plaisir à Vladimir Poutine, qui cherche à attirer dans sa toile ces pays européens «déçus» de l’Europe. Pays à qui il est prêt à faire des propositions, le plus souvent énergétiques, bien difficiles à refuser. Reste que les «loyautés» bulgares peuvent, effectivement, réserver quelques surprises.
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