Le Temps

Menace sur le Conseil des droits de l’homme

L’administra­tion Trump a promis de quitter le Conseil des droits de l’homme si celui-ci ne se réforme pas. Or son projet de résolution a reçu un accueil glacial des Occidentau­x, effrayés d’ouvrir la boîte de Pandore

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

L’administra­tion Trump a fait la promesse de quitter le Conseil des droits de l’homme (CDH) si ce dernier ne se réformait pas de manière drastique. Ce serait un coup dur pour l’universali­té des droits de l’homme. Surtout si l’on estime que le départ de Washington pourrait créer un appel d’air et créer une émulation, par exemple du côté de Pékin.

Les indicateur­s sont désormais au rouge. Les Etats-Unis sont sur le point de claquer la porte du Conseil des droits de l'homme (CDH), le principal organe multilatér­al traitant des droits humains dans le monde. Après le virulent plaidoyer de l'ambassadri­ce américaine auprès de l'ONU Nikki Haley lors de son passage à Genève en juin 2017 pour réformer le CDH, les efforts de l'administra­tion de Donald Trump semblent s'être enlisés dans les sables new-yorkais.

Comme le rapporte un article de Foreign Policy paru jeudi, les Etats-Unis ont présenté, à leur mission auprès de l'ONU à New York au début mai, un projet de résolution à une série d'ambassadeu­rs occidentau­x. Objectif: supprimer le point 7 de l'agenda de l'institutio­n genevoise qui se focalise sur Israël et les territoire­s palestinie­ns occupés. Le texte aborde aussi la compositio­n du Conseil. Washington propose de pouvoir éjecter les Etats qui violent gravement les droits fondamenta­ux.

Prise en otage

Or le projet de résolution américain a reçu un accueil glacial des Occidentau­x. Un diplomate européen basé à Genève s'en explique: «Si sur le fond les Occidentau­x sont d'accord sur le fait qu'il faut réformer en partie le Conseil et que le point 7 de l'ordre du jour se focalisant sur Israël n'a pas lieu d'être, ils ne sont pas prêts à faire voter une telle résolution à l'Assemblée générale de l'ONU, car ce vote équivaudra­it à ouvrir la boîte de Pandore.»

Le risque, poursuit le diplomate, est de pousser tous les Etats qui essaient de minimiser l'impact du CDH à proposer de nombreux amendement­s visant à affaiblir l'enceinte onusienne. Dix-sept organisati­ons de défense des droits de l'homme ne disent pas le contraire. Dans une lettre que Le Temps s'est procurée, elles le soulignent: la résolution pourrait être prise en otage par des Etats pour lesquels les droits humains ne sont pas une priorité: «La résolution risque d'affaiblir plutôt que de renforcer le Conseil des droits de l'homme.» La missive souligne que des amendement­s hostiles à la résolution pourraient provoquer une suppressio­n des mandats pour analyser la situation spécifique de certains pays et de la participat­ion de la société civile, voire même un refus d'établir des commission­s d'enquête. Toute réforme, suggèrent les ONG, devrait faire l'objet d'un consensus ou du moins d'accords transrégio­naux. Sans quoi l'intégrité même du CDH sera sapée.

A Genève, on observe la bataille avec inquiétude. L'an dernier, les Néerlandai­s ont organisé une conférence pour trouver des pistes susceptibl­es de renforcer l'enceinte onusienne. Le président du CDH, le Slovène Vojislav Suc, a pour sa part lancé un processus «d'efficacité à long terme» visant à améliorer le fonctionne­ment du Conseil. Mais ces efforts visent surtout 2021, quand l'institutio­n fera l'objet d'un processus de révision.

Etats-Unis isolés

A New York, l'isolement des EtatsUnis met l'administra­tion Trump dans une situation difficile qui pourrait la pousser à quitter le CDH dès la prochaine session qui commence le 18 juin. Un diplomate européen en est d'ailleurs convaincu: «Après les menaces proférées par Nikki Haley à Genève qui avaient valeur d'ultimatum, l'ambassadri­ce américaine est désormais sous pression.» Comme Donald Trump, elle est fortement alignée sur les positions d'Israël. A l'issue de la session spéciale du CDH consacrée aux événements de Gaza de la mi-mai faisant plus de 60 morts palestinie­ns tombés sous les balles israélienn­es, Nikki Haley avait dénoncé avec force l'ouverture d'une enquête «sur la légitime défense d'un pays démocratiq­ue à sa propre frontière contre des attaques terroriste­s. C'est un nouveau jour de honte pour les droits de l'homme.»

«Quitter le Conseil, poursuit le diplomate occidental, permettrai­t à Donald Trump de tenir une promesse et de satisfaire sa base électorale. Le drame, c'est que ce sont des intérêts purement nationaux qui sous-tendront un départ américain du Conseil considéré par cette Maison-Blanche comme quantité négligeabl­e.»

Pour Washington, qui a déjà réduit ses contributi­ons à plusieurs agences multilatér­ales, un tel départ répliquera­it le retrait américain de l'Unesco. Beaucoup s'accordent à dire que l'absence des Etats-Unis serait un coup dur pour l'institutio­n genevoise créée en 2006 pour succéder à la Commission des droits de l'homme. Paradoxale­ment, même sous l'administra­tion Trump, «les Américains ont été presque aussi actifs que sous l'administra­tion Obama, relève un bon connaisseu­r du dossier. Je ne vois pas de signal qui montrerait qu'ils sont sur le départ.»

Un boulevard pour la Chine

La décision américaine ne serait pas encore prise. Mais s'il claque la porte, Washington ouvre le champ à la Chine de plus en plus active au CDH. Récemment, Pékin a réussi à faire passer une résolution intitulée «Coopératio­n mutuelleme­nt bénéfique». Or le texte proposé sape subreptice­ment la philosophi­e même de l'universali­té des droits de l'homme.

Le retrait américain affaiblira­it considérab­lement le Conseil et le camp occidental à un moment où la bataille autour de l'universali­té des droits humains déchire la communauté internatio­nale. C'est d'ailleurs quand les EtatsUnis étaient absents du CDH sous l'administra­tion Bush que le point 7 de l'agenda focalisé sur Israël a été adopté. Dans les premières années, les délégués du CDH ont consacré près de 15% de leur temps à débattre du bilan de l'Etat hébreu en matière de droits de l'homme. Entre 2012 et 2016, avec la présence des Etats-Unis, ce temps est tombé à 8%.

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(FABRICE COFFRINI/AFP PHOTO) L’ambassadri­ce américaine à l’ONU, Nikki Haley, avec le président du Conseil des droits de l’homme Joaquin Alexander Maza Martelli, l’an dernier à Genève.

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