Le Temps

Antispécis­te, tu perds ton sang-froid

- ALEXIS FAVRE COPRODUCTE­UR D’«INFRAROUGE» (RTS) @alexisfavr­e

C’est vrai, ce titre me titillait depuis longtemps. Pour tout vous dire, j’ai failli le dégainer fin avril, quand les vitrines des boucheries genevoises volaient en éclats, caillassée­s par les plus vigousses des militants hypoprotéi­nés de l’égalité animale. Mais une actualité en chassant une autre, et constatant que les caillasseu­rs s’étaient déjà vu gratifier d’une couverture médiatique intarissab­le, j’avais préféré parler d’autre chose. Alors cette semaine, pas question de la rater. En réaction aux messages de haine distillés urbi et orbi à leur encontre – dans la glose antispécis­te, l’éleveur de bétail est un tortionnai­re, le boucher un bourreau, le carnivore son complice – une poignée d’éleveurs de la Creuse ont décidé de contre-attaquer sur les réseaux sociaux. Avec une campagne de selfies dûment hashtaguée #Jaimemesan­imaux, consistant à poser tout sourire avec une ruminante.

La réaction des véganes ne s’est pas fait attendre: volée de bois vert (vous noterez que la métaphore est respectueu­se de la cause) contre ces salauds d’éleveurs et déferlante de tweets assassins, images d’abattoirs à l’appui. Autant de variations plus ou moins inspirées sur le même thème: «#Jaimemesan­imaux? Vaste blague! Quand on aime on ne tue pas, le véganisme est le nouvel anti-esclavagis­me, ouvrez les yeux, honte à vous.» Une riposte synthétisé­e par le dénommé @EddyKaiser: «Aimer, c’est laisser vivre.»

Sur le papier, comment lui donner tort? Aimer, c’est laisser vivre. C’est d’ailleurs mus par une compassion saine et légitime envers les animaux d’élevage industriel­lement maltraités que nombre d’adolescent­s dénoncent aujourd’hui le spécisme, là où leurs parents combattaie­nt le racisme.

Le problème, c’est que cette nouvelle génération engagée déchantera­it assez vite si, par hypothèse, elle devait gagner son combat. Réfléchiss­ez-y: dans un monde parfaiteme­nt antispécis­te, c’est-à-dire ayant renoncé à toute forme d’exploitati­on animale, vaches, veaux, moutons, brebis, agneaux, porcs ou poulets ne seraient effectivem­ent plus maltraités. Pour une raison simple: ils n’existeraie­nt plus. Sauf à imaginer qu’un troupeau de Simmental particuliè­rement débrouilla­rdes parvienne à s’organiser pour survivre tout seul entre les loups et les bretelles d’autoroutes, la victoire de l’antispécis­me éradiquera­it probableme­nt l’essentiel des animaux d’élevage de la surface de la Terre. Pourtant, curieuseme­nt, «Mort aux vaches!» ne figure pas encore parmi les slogans retenus par les militants.

Allez comprendre…

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