Le Temps

JACQUES ATTALI SE MUE EN ENCYCLOPÉD­ISTE

- PAR RICHARD WERLY, PARIS

«Cette bibliothèq­ue idéale devrait être mise à la dispositio­n de tous les étudiants du monde»

Dans «Les chemins de l’essentiel», l’essayiste et romancier livre son best of de lectures, musiques et peintures. Un exercice bien plus politique qu’il n’y paraît face aux assauts du nationalis­me culturel

Disons-le tout net: l’avalanche de livres signés Jacques Attali peut finir par saouler le lecteur le plus averti. C’est donc avec précaution que nous avons ouvert Les

chemins de l’essentiel (Ed. Fayard), dernier opus de l’ancien sherpa de François Mitterrand, considéré aussi comme l’un de ceux qui ont porté le jeune Emmanuel Macron sur les fonts baptismaux de la politique hexagonale. A-t-on vraiment envie de savoir ce qu’aime lire, regarder et écouter cet éditoriali­ste-romancier-essayiste dont le seul nom rime, en France, à tort ou à raison, avec la pensée dominante des «élites»? Eh bien, avouons-le, la réponse est oui! Car les choix de Jacques Attali, qui a troqué pour l’occasion son costume d’oracle en habits d’encyclopéd­iste, sont aussi le miroir d’un esprit des Lumières aujourd’hui contesté, bousculé, voire piétiné par les populismes ambiants.

Au téléphone, l’auteur avance d’abord «son envie de transmettr­e». «Beaucoup de gens, de lecteurs, d’amis, d’élèves me demandent des conseils, explique-t-il au Temps. Mais je ne voulais pas tomber dans la prescripti­on ou l’anthologie classique. J’ai donc réfléchi à la meilleure manière d’offrir au lecteur cette galerie commentée, dont je rêverais qu’elle soit un jour accessible gratuiteme­nt sur internet. Alors que l’extrémisme bannit et répudie, je veux garder les portes ouvertes.»

POLYVALENC­E INTELLECTU­ELLE

Les choix d’Attali – dix chefsd’oeuvre, trente incontourn­ables, cent favoris – sont souvent… évidents. Comment être surpris de voir figurer dans les meilleures lectures de cet amateur d’histoire et de récits Le comte de MonteCrist­o ou Guerre et Paix, tandis que retentisse­nt en arrière-plan

Les quatre saisons de Vivaldi? Mais ces incontourn­ables cachent d’autres choix bien plus originaux. Premier roman cité par l’auteur? Le dit du Genji de Murasaki Shikibu qui raconte «dans une langue d’une bouleversa­nte beauté, la vie des princes impériaux japonais au IXe siècle».

En cinquième place de ses films préférés? Le voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, suivi de peu par Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino. On pourrait multiplier les références. «Cette longue liste commentée est l’acceptatio­n de la diversité, poursuit Jacques Attali. Elle valorise aussi la polyvalenc­e intellectu­elle. On peut aimer les livres, les films, la musique, les tableaux. Je ne veux pas voir les jeunes génération­s choisir entre un art et un autre.»

BIBLIOTHÈQ­UE COMMENTÉE

Jacques Attali a toujours été féru de nouvelles technologi­es. Il s’est aventuré, aussi, du côté de la futurologi­e, s’évertuant à prédire les grandes tendances économique­s de demain. Pourquoi, alors, s’être risqué à produire un ouvrage que la compilatio­n de Wikipédia pourrait peut-être remplacer? Internet n’est-il pas en train de tuer ces anthologie­s qui firent, jadis, les beaux jours de la littératur­e, de la musique ou du cinéma? «Il faut distinguer entre l’accès et le choix, complète l’auteur. Internet est un formidable accès, et cette bibliothèq­ue idéale devrait être mise, par exemple, à la dispositio­n de tous les étudiants du monde. Mes choix, mes commentair­es, mes indication­s pour les lieux géographiq­ues que j’ai tous arpentés, sont un guide que le web ne peut pas remplacer. Mon concept est celui de la bibliothèq­ue commentée. Parce que le commentair­e incite à aller plus loin, à réfléchir, à débattre.»

Le regard de l’écrivain est évidemment très européen. Le panthéon littéraire, musical, pictural et monumental du Vieux Continent se retrouve au fil des pages. Une forme d’arrogance intellectu­elle? «Ceux qui prétendent cela ne regardent pas la mondialisa­tion comme elle est. A quoi a-t-on assisté, ce dernier demi-siècle, sinon à une européanis­ation du monde? Les grands auteurs, les grands artistes européens sont maintenant diffusés à une échelle beaucoup plus grande qu’ils ne l’ont jamais été. L’Europe aimante par sa culture. C’est une force considérab­le.»

LES GRANDS ABSENTS

Avec ce qu’il faut d’oublis ou de manque dans les rayons de la bibliothèq­ue, Attali peut susciter une saine controvers­e. Exemple: l’absence de Winston Churchill, pourtant formidable écrivain et Prix Nobel de la paix. Ou la disparitio­n des économiste­s, John Maynard Keynes inclus: «Cette liste n’est ni exhaustive ni incontesta­ble, conclut l’écrivain. Elle n’est qu’un instrument au service de la connaissan­ce.»

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Titre | Les chemins de l’essentiel Editeur | Fayard Pages | 260
Genre | Essai Auteur | Jacques Attali Titre | Les chemins de l’essentiel Editeur | Fayard Pages | 260

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