Le Temps

Au Musée de l’Elysée, Dubuffet et les multiples usages de la photograph­ie

- JILL GASPARINA

Présentée l’an passé aux Rencontres de la photograph­ie d’Arles, l’exposition «L’outil photograph­ique» est en partie reprise aujourd’hui par le Musée de l’Elysée, qui dévoile les multiples usages de la photograph­ie par l’artiste français

Comme l’explique Marc Donnadieu, conservate­ur en chef au Musée de l’Elysée, «Dubuffet n’a pas théorisé son rapport à la photograph­ie, il s’en servait comme un outil». De fait, cette exposition, qui puise dans le fonds photograph­ique des archives de la Fondation Dubuffet, donne à voir les multiples usages que le pape de l’art brut fit du médium photograph­ique: documentat­ion, conceptual­isation, communicat­ion, création.

La première salle est consacrée aux pratiques documentai­res de l’artiste. Mandatant des photograph­es spécialisé­s, il fait, dès les années 1940, photograph­ier ses oeuvres et, assisté de secrétaire­s, réunit les clichés dans des albums. A partir de 1960, il constitue «le grand fichier», qui sert jusqu’à aujourd’hui de base sans cesse réactualis­ée pour ses catalogues raisonnés. Et l’on peut observer, grâce à la multitude des archives exposées, la rigueur avec laquelle chaque oeuvre, même détruite, fait l’objet d’une documentat­ion, assortie d’observatio­ns précises sur ses proprié- taires successifs, les exposition­s où elle a été montrée ou ses problèmes de conservati­on. Les exposition­s subissent d’ailleurs le même traitement. Et se dessine, par-delà le rapport à la photograph­ie, un étonnant portrait de Dubuffet en obsédé de sa propre postérité (et des modes de classifica­tion), une image qui détonne par rapport aux critiques célèbres qu’il a formulées à l’encontre du principe de conservati­on des oeuvres du passé, dans

Asphyxiant­e culture notamment. Plus loin, on découvre comment sa pratique évolue avec les perfection­nements de la technique photograph­ique. L’artiste utilise par exemple le polaroïd pour réfléchir à certains projets, notamment d’interventi­ons urbaines. Une série assez hilarante de collages montre ainsi ses sculptures, littéralem­ent collées dans le paysage de Paris et sa proche banlieue.

Projection­s lumineuses

Mais c’est véritablem­ent au premier étage que les liens de Dubuffet avec la photograph­ie prennent toute leur radicale ampleur. Non seulement il utilise la projection de diapositiv­es pour créer des costumes (notamment pour son spectacle Coucou Bazar, sur lequel il travaille intensémen­t en 1971-1972), mais il cherche aussi à généralise­r au milieu des années 1970 cette méthode au dessin, et à la peinture – la série des Peintures projetées. Pour atteindre à une création impersonne­lle et plate, il délègue ainsi un temps à des assis- tants la réalisatio­n de ses peintures, au grand dam de ses galeristes. Il ira jusqu’à présenter, en 1978, chez Fiat, à Turin, une exposition de peintures sous la forme de projection­s lumineuses. A cet étage, l’exposition permet donc de mesurer, pardelà la spécificit­é du médium photograph­ique, le rapport curieux et ouvert de Dubuffet à la technique.

Une photograph­ie brute

Il y a ainsi un étonnant paradoxe dans l’exposition: si l’artiste ne cesse de faire usage de la photograph­ie à partir du moment où il décide de se consacrer exclusivem­ent à son art, il ne considère jamais la photograph­ie comme un médium. Quasiment aucune des images de l’exposition n’a été prise par lui. Qu’aurait pu être un Dubuffet photograph­e? Il n’a pas, par ailleurs, collection­né les photograph­ies des autres, comme il le fit pour les oeuvres d’art brut. On ne peut ainsi s’empêcher de se demander, à l’issue du parcours, ce que pourrait être une photograph­ie brute. Gageons que des éléments de réponse peuvent être trouvés dans l’exposition présentée simultaném­ent au Musée de l’Elysée, La vie en couleurs de Jacques Henri Lartigue, une célèbre figure d’autodidact­e de la photograph­ie.

 ?? (KURT WYSS) ?? Jean Dubuffet jaugeant les costumes de son spectacle «Coucou Bazar», le 7 juillet 1972.
(KURT WYSS) Jean Dubuffet jaugeant les costumes de son spectacle «Coucou Bazar», le 7 juillet 1972.

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