Le Temps

Asile: le retour de bâton italien?

- ALDO BRINA CHARGÉ D’INFORMATIO­N SUR L’ASILE DU CENTRE SOCIAL PROTESTANT

Plusieurs facteurs ont précipité l’arrivée au pouvoir des populistes anti-européens en Italie. Mais relevons-en un en particulie­r qui est décrit comme déterminan­t par de nombreux observateu­rs: une partie des Italiens a le sentiment d’avoir été abandonnée par les autres pays européens sur la question migratoire. On ne peut pas leur donner entièremen­t tort et, malheureus­ement, la Suisse figure parmi les pays les plus responsabl­es de cette situation.

En effet la Suisse n’a pas fait preuve de solidarité dans ce domaine avec son voisin, c’est le moins que l’on puisse dire: entre 2008 et aujourd’hui, nos autorités ont renvoyé quelque 15446 réfugiés déboutés vers l’Italie, en vertu d’une applicatio­n très critiquée du règlement Dublin. Une politique assidue, voire acharnée. Les défenseurs des réfugiés ont tout vu: des familles séparées, des victimes de traite renvoyées vers leurs bourreaux, des personnes gravement traumatisé­es qui se retrouvent à la rue, etc.

Mais ces nombreux drames n’ont provoqué aucune réaction. Malgré des appels toujours plus nombreux, Madame Sommaruga refuse à ce jour de définir des critères de vulnérabil­ité qui permettrai­ent d’appliquer la clause humanitair­e prévue par le règlement Dublin et de surseoir à certains renvois.

Avant d’entrer sur un terrain trop idéologiqu­e, rappelons que le règlement Dublin n’a pas pour but de réguler le nombre de réfugiés présents en Europe, mais bien de les répartir entre les pays européens. Or, la logique inhérente à cet accord conduit irrémédiab­lement à une surcharge des pays du sud et de l’est de l’Europe. C’est comme si en Suisse, au lieu de répartir les réfugiés entre les cantons au pro rata de leur population, ils étaient pour la plupart attribués dans les Grisons et au Tessin. Ça n’a aucun sens, et l’histoire jugera peut-être sévèrement les dirigeants qui ont pris et exécuté systématiq­uement un nombre invraisemb­lable de décisions cruelles, sacrifiant la dignité humaine sur l’autel d’un règlement administra­tif.

Bien sûr, d’autres pays portent une part de responsabi­lité. Rappelons qu’en France, on trouve même des procureurs pour emprisonne­r des jeunes gens – les fameux trois de Briançon – parce qu’ils auraient contribué à faire sortir d’Italie quelques migrants au cours d’une manifestat­ion de solidarité. Le signal donné est sans équivoque.

Mais revenons à l’Italie. Aujourd’hui, des populistes et xénophobes dirigent le pays. Le nouveau ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, multiplie les déclaratio­ns fracassant­es, appelant les «clandestin­s» à préparer leurs valises, annonçant des réductions du budget consacré à l’accueil des réfugiés, et demandant la refonte de l’accord de Dublin.

Il y a certes un effet fanfaronna­de à prendre en compte, mais ces annonces pourraient avoir des conséquenc­es pour la Suisse. Ce n’est pas pour rien que Roger Köppel lui-même s’inquiétait dernièreme­nt dans la Weltwoche de l’arrivée au pouvoir de ceux qui sont pourtant ses cousins germains sur le plan politique, et du retour de flamme que ce changement de gouverneme­nt pourrait provoquer sur le plan migratoire. Le tribun UDC doutait, à juste titre, que Matteo Salvini atteigne son odieux objectif de procéder à l’expulsion de 500000 «clandestin­s», mais redoutait que la peur semée par ces déclaratio­ns n’engendre de facto des migrations vers le nord.

En tout cas la volonté, somme toute assez légitime, d’un poids lourd de l’Union européenne de revenir sur les termes de l’accord de Dublin, sera intéressan­te à suivre. Au niveau du fonctionne­ment actuel du système Dublin, il sera peut-être entravé par une Italie moins prompte à enregistre­r les demandeurs d’asile qui passent sur son territoire, et moins disposée à «recevoir» les personnes transférée­s depuis la Suisse.

Si de tels phénomènes devaient se réaliser, même en partie, il faudrait rappeler à Mme Sommaruga et au Conseil fédéral ceci: on ne peut pas, pendant des années, renvoyer des milliers de personnes en se fondant sur un règlement qui va à l’encontre du bon sens le plus élémentair­e, et un jour s’étonner qu’il y ait un retour de bâton. Pour diverses raisons, qui vont de la défense d’une perspectiv­e humaniste à des considérat­ions plus géopolitiq­ues, il est toujours préférable d’adopter une politique d’accueil exemplaire.

Entre 2008 et aujourd’hui, nos autorités ont renvoyé quelque 15446 réfugiés déboutés vers l’Italie, en vertu d’une applicatio­n très critiquée du règlement Dublin

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