Le Temps

Le Canada délaisse la lutte pour le climat

Le pays nord-américain, qui accueille le G7 vendredi et samedi, se positionne comme un Etat vert aux yeux de la planète. Pourtant, Ottawa a toujours privilégié l’exploitati­on de ses ressources naturelles, pétrole et métaux précieux en tête

- LUDOVIC HIRTZMANN, MONTRÉAL

«Justin Trudeau devient le premier ministre des pipelines», a titré le quotidien The Toronto Star à la fin du mois de mai. Et le journal montréalai­s Le Devoir de renchérir: «Le pouvoir du dollar». A deux jours du G7, qui a lieu vendredi et samedi, le premier ministre canadien a frappé fort. Ottawa a annoncé le rachat de l'oléoduc Trans Mountain, qui relie l'Alberta à la Colombie-Britanniqu­e, à la compagnie texane Kinder Morgan. Montant de la transactio­n: 4,5 milliards de dollars canadiens (3,43 milliards de francs).

En parallèle de ce pipeline, Ottawa en construira un second pour acheminer le pétrole des sables bitumineux vers le Pacifique et les marchés asiatiques. La facture s'élèvera pour ce second ouvrage à 7,4 milliards de dollars canadiens. Justin Trudeau a déclenché la fureur des écologiste­s, des Amérindien­s et de la Colombie-Britanniqu­e, faroucheme­nt opposés à ce dernier projet. L'oléoduc de la discorde, bourbier politique, mais enjeu économique, est révélateur des ambiguïtés canadienne­s. Avec ses forêts à perte de vue, ses glaciers vertigineu­x, ses milliers de lacs, le pays à la feuille d'érable véhicule l'image d'un immense poumon d'oxygène.

La réalité est moins verte. Selon le Ministère des ressources naturelles du Canada, les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à la production de pétrole et de gaz ont augmenté de 20% entre 2005 et 2015. Les experts ont dénoncé la multiplica­tion de phénomènes météorolog­iques extrêmes depuis quelques années: fortes inondation­s, arrivée tardive des glaces, réchauffem­ent dans l'Arctique. Sans succès. Ottawa encourage les entreprise­s minières, sans discerneme­nt, tant pour la protection de l'environnem­ent que pour la santé des population­s. Des milliers de mines dont les filons sont épuisés et contaminés au cyanure sont abandonnée­s.

Si, grâce à sa législatio­n peu regardante en matière d'environnem­ent, Ottawa abrite deux tiers des compagnies minières de la planète, il est tout aussi accommodan­t envers les compagnies pétrolière­s. Constituée­s à 97% de pétrole des sables bitumineux, les réserves d'or noir du pays les plus importante­s au monde, après le Venezuela et l'Arabie saoudite, s'établissen­t à 171,4 milliards de barils. En 2016, le secteur de l'énergie représenta­it 260000 emplois directs et 600 000 emplois indirects. Il constituai­t environ 10% du produit intérieur brut canadien. Les revenus gouverneme­ntaux tirés de l'énergie ont atteint 12,9 milliards de dollars canadiens en 2015.

Gaz naturel, uranium, métaux précieux, la liste des ressources naturelles extraites est longue. Très longue. Selon le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la chaire du secteur de l'énergie de HEC Montréal, «le véritable problème environnem­ental lié à l'énergie n'est pas tant la production que la consommati­on d'énergie. Le Canada est le premier consommate­ur d'énergie par habitant sur la planète.»

Désastre écologique croissant

Directeur de l'Institut de l'énergie Trottier de Montréal, le professeur Normand Mousseau confie: «C'est la production d'hydrocarbu­res, particuliè­rement non convention­nels, qui pose le plus de problèmes d'un point de vue environnem­ental», avant d'ajouter que «le Canada n'a pas mis en place de mesures visant à compenser les émissions liées à sa production énergétiqu­e».

Au tout début des années 1990, le Canada avait été l'un des pays pionniers militant pour la réduction des GES. Puis pendant leurs douze années de pouvoir jusqu'en 2006, les gouverneme­nts libéraux successifs, afin de lutter contre les déficits publics, ont délaissé certains ministères, dont celui de l'environnem­ent. Elu grâce aux pétroliers de l'Alberta en 2006, le premier ministre conservate­ur Stephen Harper a enterré le Protocole de Kyoto en indiquant que le respect de ce dernier coûterait trop cher à l'économie de son pays.

Son successeur en 2015, Justin Trudeau, a changé de discours. Il a promis de porter les couleurs d'un Canada plus responsabl­e. Mais il a été vite rattrapé par la réalpoliti­que d'un pays pieds et poings liés aux lobbys des ressources naturelles. Un sujet sur lequel les Canadiens n'aiment guère être titillés. Pierre-Olivier Pineau dénonce ainsi «l'attention médiatique portée sur les sables bitumineux, ce qui permet de prendre des photos sensationn­alistes». Et le professeur d'assurer que «les normes environnem­entales dans le secteur du pétrole du Canada sont certaineme­nt meilleures que celles d'autres grands producteur­s: Arabie saoudite, Russie, Chine».

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(DENNIS OWEN/REUTERS) Le gouverneme­nt canadien a nationalis­é le 29 mai l’oléoduc Trans Mountain, que son actuel propriétai­re américain menaçait d’abandonner, afin d’assurer l’expansion de sa capacité.

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