Le Temps

Le canton de Vaud face à l’onde de choc Nestlé

CONJONCTUR­E L’onde de choc provoquée par la restructur­ation du géant de l’agroalimen­taire devrait aller au-delà des 580 postes supprimés. Depuis le tournant du millénaire, la région vaudoise est toujours plus dépendante des multinatio­nales

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry Once d’or/dollar COLLABORAT­ION: VALÈRE GOGNIAT

Les annonces de suppressio­ns d’emplois chez le géant veveysan (580 postes sacrifiés) auront des répercussi­ons sur l’écosystème économique vaudois, et principale­ment chez les sous-traitants du groupe alimentair­e. Mais elles sont encore difficiles à évaluer.

L’annonce de Nestlé n’en finit pas de faire jaser. Sur les réseaux sociaux, dans les milieux entreprene­uriaux ou même dans les centres patronaux: la commotion est patente, mais des voix s’élèvent déjà pour rappeler que l’onde de choc de la double restructur­ation ira bien au-delà des 580 suppressio­ns de postes évoquées il y a dix jours par le groupe.

Dans un canton de Vaud toujours plus dépendant des multinatio­nales, la délocalisa­tion partielle de Nestlé fait trembler tout le tissu socio-économique qui s’est constitué autour de ces géants. «Il ne faut pas oublier les dizaines, voire centaines d’autres travailleu­rs externes, qui sont employés par d’autres entreprise­s suisses et qui ont vu leur congé annoncé pour la fin de juin ou pour fin 2018…», réagissait un internaute suite à l’annonce de la semaine dernière. Il faisait allusion à son entreprise informatiq­ue, où six personnes travaillai­ent exclusivem­ent pour des mandats du groupe alimentair­e.

Au-delà des sociétés de services aux entreprise­s (marketing, surveillan­ce, nettoyage), les commerces et hôtels de la région pourraient aussi pâtir de ce fléchissem­ent d’activité.

L’onde de choc durera des années

«Quand tombe ce genre d’annonces, ce n’est évidemment une bonne nouvelle pour personne», commence Jean-Hugues Busslinger, membre de la direction du Centre Patronal vaudois, en charge des affaires politiques. Pour lui comme pour d’autres, impossible de chiffrer avec précision les effets collatérau­x que pourrait avoir cette annonce. «On sait que des consultant­s ou des mandataire­s externes à Nestlé vont pâtir de cette délocalisa­tion, mais impossible de dire qui ou combien», explique-t-il.

A l’échelle du canton de Vaud et de ses quelque 435000 emplois, l’effet de cette nouvelle peut sembler limité. Mais Jean-Hugues Busslinger tient à souligner qu’une telle annonce impacte l’ensemble du biotope économique cantonal. «Comparaiso­n n’est pas raison, mais si l’on tente un parallèle avec un autre gros électrocho­c qu’a connu le canton ces derniers temps, l’abandon du taux plancher en janvier 2015, on constate que l’effet est immédiat pour les emplois directemen­t touchés, mais que la sous-traitance directe en pâtit à moyen et long terme.»

Justement, pour cet écosystème de petites et moyennes entreprise­s indirectem­ent concernées par ces annonces pourtant très médiatisée­s, Jean-Hugues Busslinger compare ces chocs sismiques à des signaux «forts, violents, qui impliquent de devoir rechercher de nouvelles sources de revenus et de gains de productivi­té».

Effet démultipli­cateur

Les statistiqu­es y invitent. Depuis 2000, les multinatio­nales suisses et étrangères ont engendré 63% de la croissance du produit intérieur brut vaudois, selon une étude de la Banque cantonale vaudoise datant de 2016. Le cabinet de conseil Boston Consulting Group avance même que chaque poste dans une multinatio­nale génère 1,6 poste ailleurs dans l’économie locale. Et si cet «effet démultipli­cateur» des multinatio­nales fonctionne dans les deux sens, on craint aujourd’hui pour les emplois «gagnés» grâce à leur développem­ent de ces dernières années.

Difficile de trouver des patrons qui acceptent de témoigner publiqueme­nt, tant ils craignent de perdre ce qu’il leur reste de contrats avec Nestlé. Une agence de communicat­ion numérique vaudoise a accepté de nous parler, à condition d’être anonymisée. Elle s’attend à sentir le souffle de la restructur­ation «très rapidement». Une dizaine de personnes sont actuelleme­nt actives sur des projets en lien avec le départemen­t des services informatiq­ues de Nestlé, qui perdrait 500 de ses 600 postes. «Les relations vont devenir différente­s», admet son directeur, en évoquant des «difficulté­s sur la validation des contrats et les appels d’offres».

Il précise toutefois que l’impact sur la société sera faible: «Nous avons fait de la prospectio­n pour nous diversifie­r. Nestlé ne représente plus qu’une petite part de nos activités. Mais si cela s’était produit il y a quatre ans, nous aurions pu avoir un gros problème.» Le patron travaillai­t auparavant dans une société de sous-traitance informatiq­ue. «Nous dépendions à un moment à 70 ou 80% de leurs contrats. C’est un petit écosystème: toutes les sociétés de services qui sont dans cette situation vont en souffrir.»

«Des consultant­s ou des mandataire­s externes à Nestlé vont pâtir de cette délocalisa­tion, mais impossible de dire qui ou combien» JEAN-HUGUES BUSSLINGER, CENTRE PATRONAL VAUDOIS

Contrats avec des «délais précis»

Combien sont-ils au juste, ces sous-traitants informatiq­ues dans le giron de Nestlé? Du côté de la multinatio­nale, on souligne que ces contractan­ts «acceptent de fournir certains services dans le cadre d’un contrat dans un délai précis», mais qu’il est difficile d’estimer leur nombre, qui «varie de temps en temps, selon l’achèvement de ces projets spécifique­s», souligne un porte-parole. «Nestlé avait déjà réduit le nombre de prestatair­es extérieurs à un petit nombre avant l’annonce de la réorganisa­tion. Celle-ci n’avait aucun impact supplément­aire.»

Au lendemain de l’annonce de la restructur­ation, le conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba s’était dit «déterminé à s’engager dans un combat pour l’emploi» et avait requis un entretien avec la direction du groupe. «Cette séance s’est donc tenue comme demandé», confirmet-on du côté du Départemen­t de l’économie, en précisant que «les discussion­s se poursuiven­t» dans un «climat constructi­f».

Pas forcément suffisant pour calmer les rumeurs: parmi les sous-traitants, on anticipe d’autres «saignées» chez Nestlé, qui pourraient toucher 20% de ses postes helvétique­s. ▅

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(GIANLUCA COLLA/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) Chaque poste dans une multinatio­nale génère 1,6 poste ailleurs dans l’économie locale, selon une étude du cabinet de conseil Boston Consulting Group.

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