Le Temps

Dassault chérit ses liens avec la Suisse

Depuis les années 1960, le groupe français a toujours eu à coeur de soigner ses relations d’affaires en Suisse. Pour y vendre des avions, mais aussi pour disposer d’une base arrière afin de réaliser des opérations comptables en toute discrétion

- MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

Le 28 mai dernier, Serge Dassault mourait d’une crise cardiaque à l’âge de 93 ans. Le lendemain, le groupe industriel français exposait plusieurs Falcon au salon de l’aviation d’affaires EBACE, qui avait lieu à Genève jusqu’au 31 mai. Les vendeurs y mettaient en avant les performanc­es du Falcon 8X, un triréacteu­r, qui permet de franchir près de 12000 kilomètres sans escale. Plusieurs maquettes étaient également présentées, dont celle du Rafale, décrit comme «extrêmemen­t puissant, superbemen­t agile et très discret».

Malgré l’emploi de superlatif­s, Dassault Aviation n’a toujours pas réussi à convaincre la Suisse d’acheter ses Rafale. Ce n’est pas faute d’y avoir mis de l’énergie: le groupe dispose depuis l’an dernier d’un bureau de liaison à Berne afin d’être au plus près des décideurs politiques. Le pays doit renouveler sa flotte aérienne militaire avec une enveloppe maximale de 8 milliards de francs. En 2016, le Rafale avait échoué à l’appel d’offres face au Gripen, qui a ensuite été écarté en votation.Pour le groupe parisien, ce n’est donc pas le moment d’abandonner la bataille. Eric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation, le réaffirmai­t en mars 2018 lors de la présentati­on des résultats: «Nous avons des contacts avec nos partenaire­s industriel­s suisses. Nous serons très mobilisés et motivés sur la Suisse.»

Affaire des Mirage

La Suisse est un marché privilégié pour la société depuis 1914, grâce à l’invention de l’hélice Eclair par le jeune Marcel Bloch, qui changera son patronyme en «Dassault» après la Deuxième Guerre mondiale en hommage à ses chars. En Suisse, le groupe ne connaît pas que des succès. En 1961, Berne décide d’acheter 100 avions Mirage à Dassault. Trois ans plus tard, le budget explose de près de 600 millions de francs et le Départemen­t militaire fédéral est accusé de tromperie.

En 1987, Serge Dassault prend la suite de son père et se charge de diversifie­r l’activité de l’entreprise dans plusieurs secteurs: presse, immobilier, viticultur­e mais aussi l’informatiq­ue avec Dassault Systèmes, qui édite des logiciels 3D. Cette dernière possède deux entités en Suisse, à Zurich et à Bâle, et se vante d’avoir comme clients plusieurs fleurons de l’industrie helvétique, comme l’horloger Franck Muller ou le groupe Geberit, spécialisé dans les technologi­es sanitaires.Toujours attentif aux pépites de l’économie suisse, Dassault avait aussi longtemps envisagé de soutenir la start-up aéronautiq­ue Swiss Space Systems, avant de changer d’avis – sage décision, étant donné la faillite de la société début 2017.

La famille Dassault elle-même entretient des liens particuliè­rement étroits avec le tissu économique suisse si l’on en croit Laurent Dassault, fils de Serge. Chargé des investisse­ments au sein du groupe, celui-ci mentionne sur son site internet son mandat au conseil d’administra­tion de Kudelski. Il faisait également partie des administra­teurs de la société fribourgeo­ise SITA jusqu’à sa vente, à la mi-2015.

Dassault Aviation dispose depuis l’an dernier d’un bureau de liaison à Berne afin d’être au plus près des décideurs politiques

Comptable suisse

Serge Dassault, lui, était aussi administra­teur de la holding suisse Terramaris. Son président est un certain Gérard Limat, indique le Registre du commerce. Ce nom est bien connu des autorités françaises, qui ont condamné l’année dernière Serge Dassault pour «blanchimen­t de fraude fiscale».

Grand ami et «homme à tout faire» de Marcel Dassault, Gérard Limat a continué à servir l’entreprise après la mort du patriarche. Face aux juges français, il a témoigné avoir transféré près de 53 millions d’euros en cash à Serge Dassault entre 1995 et 2012, notamment par le biais de la société genevoise Cofinor, aujourd’hui en liquidatio­n.

Ce système bien huilé passait également par l’avocat genevois de Dassault, Luc Argand. «Cet ancien bâtonnier gérait plusieurs fondations qui détenaient des comptes bancaires abritant l’argent de Dassault», explique Yann Philippin, journalist­e à Mediapart et coauteur du livre Dassault Système (Robert Laffont).

Gérard Limat est actuelleme­nt mis en examen en France pour «complicité d’achats de votes» dans le dossier de la corruption électorale de Serge Dassault à Corbeil-Essonne, dont il a été maire de 1995 à 2009. Il devrait bientôt être jugé. ▅

 ?? (FABRICE COFFRINI/AFP) ?? Dassault Aviation a notamment exposé son dernier Falcon 8X au salon de l’aviation d’affaires EBACE, qui s’est tenu à Genève jusqu’au 31 mai.
(FABRICE COFFRINI/AFP) Dassault Aviation a notamment exposé son dernier Falcon 8X au salon de l’aviation d’affaires EBACE, qui s’est tenu à Genève jusqu’au 31 mai.

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