Le Temps

Les importante­s concession­s du président américain

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Les termes de la déclaratio­n conjointe du dirigeant nord-coréen et de Donald Trump sont vagues et vont moins loin que ce à quoi s’était engagé Pyongyang par le passé. Pendant ce temps, Pékin se frotte les mains

Faut-il s’en réjouir ou s’en alarmer? Le seul fait que Donald Trump et Kim Jong-un se sont rencontrés à Singapour est un progrès. Il y a quelques mois, le président américain était prêt à anéantir la Corée du Nord dirigée par little rocket man, le petit homme-fusée. Mardi, en signant une déclaratio­n commune, tous deux ont éloigné le spectre de conflagrat­ion nucléaire.

Ex-principal conseiller de plusieurs chefs du Pentagone en matière d’armes de destructio­n massive, Andrew Weber le confie au Temps: «Oui, ce qu’on trouve dans le document sont des mots qu’on a déjà entendus. Mais le fait que les deux dirigeants lient leur prestige à la mise en oeuvre réussie de cette déclaratio­n est en soi un progrès important. Mais les difficulté­s commencent maintenant.»

Des antécédent­s plus forts

Tout le monde ne partage pas le même optimisme. Bruce Klingner, ancien haut responsabl­e à la CIA a tweeté: «Les quatre points de la déclaratio­n figuraient chacun dans des documents passés et étaient plus forts. Le point dénucléari­sation est exprimé de façon plus faible que dans les pourparler­s des six puissances (Chine, Etats-Unis, Corée du Nord et du Sud, Japon et Russie).» A Singapour, Kim Jong-un réaffirme la déclaratio­n faite lors du sommet inter-coréen de Panmunjom et s’engage à «oeuvrer à une complète dénucléari­sation de la péninsule coréenne». Or, en septembre 2005, dans le cadre des négociatio­ns à six, Pyongyang s’était beaucoup plus engagé en acceptant d’abandonner «toute arme et tout programme nucléaires existants» en échange d’une aide énergétiqu­e. Mais butant sur diverses questions techniques, il avait fini par quitter les pourparler­s en 2009.

On peut remonter au 11 juin 1993 à New York pour trouver une formulatio­n plus forte. Les représenta­nts nord-coréen Kang Sok-ju et américain Robert Gallucci promettaie­nt «paix et sécurité dans une péninsule coréenne dénucléari­sée» grâce à des garde-fous impartiaux. A Singapour, le terme dénucléari­sation n’a pas été défini. Pour le conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton, qui semble avoir été en partie marginalis­é à Singapour, dénucléari­sation signifie l’anéantisse­ment de toutes les armes nucléaires détenues par Pyongyang voire même des missiles balistique­s et des armes bactériolo­giques. Pour la Corée du Nord, elle inclurait l’abandon par Washington du parapluie nucléaire américain dans la région qui bénéficie tant à Séoul qu’à Tokyo. Professeur au Massachuse­tts Institute of Technology à Boston, Vipin Narang est catégoriqu­e: «La Corée du Nord n’a rien promis de plus qu’au cours des vingt-cinq dernières années.» Donald Trump a laissé de côté une exigence qui n’a pourtant cessé d’être martelée par son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et qui fut un pilier de la politique nord-coréenne des précédente­s administra­tions américaine­s: la vérificati­on des mesures promises. Pour nombre d’experts, c’est une concession «colossale» de Trump.

Rhétorique de Pékin

Quant à l’abandon des manoeuvres militaires communes avec Séoul offert par la Maison-Blanche, il n’est compensé par aucune mesure comparable du côté de la Corée du Nord. Donald Trump a d’ailleurs entonné la rhétorique de Pyongyang et de Pékin, jugeant luimême de telles manoeuvres «provocatri­ces». En mars 2017, c’est précisémen­t la revendicat­ion que fit le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Wang Yi. Pyongyang avait aussi annulé en mai une rencontre avec Séoul en guise de protestati­on contre ces exercices militaires. Les dirigeants de Corée du Sud, où sont stationnés depuis des décennies 28000 soldats américains, ont en revanche été pris au dépourvu.

Avant de quitter Singapour, Donald Trump a lâché: «Otto n’est pas mort en vain. Je pense que sans lui, ceci [le sommet] ne serait pas arrivé.» Le président faisait référence à Otto Warmbier, un citoyen américain incarcéré en Corée du Nord, puis libéré avec de graves dommages cérébraux avant de mourir. Ex-chef négociatri­ce de l’accord nucléaire avec l’Iran, Wendy Sherman ne mâche pas ses mots: «De tels commentair­es ne sont pas dignes d’un président des Etats-Unis.»

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