Les importantes concessions du président américain
Les termes de la déclaration conjointe du dirigeant nord-coréen et de Donald Trump sont vagues et vont moins loin que ce à quoi s’était engagé Pyongyang par le passé. Pendant ce temps, Pékin se frotte les mains
Faut-il s’en réjouir ou s’en alarmer? Le seul fait que Donald Trump et Kim Jong-un se sont rencontrés à Singapour est un progrès. Il y a quelques mois, le président américain était prêt à anéantir la Corée du Nord dirigée par little rocket man, le petit homme-fusée. Mardi, en signant une déclaration commune, tous deux ont éloigné le spectre de conflagration nucléaire.
Ex-principal conseiller de plusieurs chefs du Pentagone en matière d’armes de destruction massive, Andrew Weber le confie au Temps: «Oui, ce qu’on trouve dans le document sont des mots qu’on a déjà entendus. Mais le fait que les deux dirigeants lient leur prestige à la mise en oeuvre réussie de cette déclaration est en soi un progrès important. Mais les difficultés commencent maintenant.»
Des antécédents plus forts
Tout le monde ne partage pas le même optimisme. Bruce Klingner, ancien haut responsable à la CIA a tweeté: «Les quatre points de la déclaration figuraient chacun dans des documents passés et étaient plus forts. Le point dénucléarisation est exprimé de façon plus faible que dans les pourparlers des six puissances (Chine, Etats-Unis, Corée du Nord et du Sud, Japon et Russie).» A Singapour, Kim Jong-un réaffirme la déclaration faite lors du sommet inter-coréen de Panmunjom et s’engage à «oeuvrer à une complète dénucléarisation de la péninsule coréenne». Or, en septembre 2005, dans le cadre des négociations à six, Pyongyang s’était beaucoup plus engagé en acceptant d’abandonner «toute arme et tout programme nucléaires existants» en échange d’une aide énergétique. Mais butant sur diverses questions techniques, il avait fini par quitter les pourparlers en 2009.
On peut remonter au 11 juin 1993 à New York pour trouver une formulation plus forte. Les représentants nord-coréen Kang Sok-ju et américain Robert Gallucci promettaient «paix et sécurité dans une péninsule coréenne dénucléarisée» grâce à des garde-fous impartiaux. A Singapour, le terme dénucléarisation n’a pas été défini. Pour le conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton, qui semble avoir été en partie marginalisé à Singapour, dénucléarisation signifie l’anéantissement de toutes les armes nucléaires détenues par Pyongyang voire même des missiles balistiques et des armes bactériologiques. Pour la Corée du Nord, elle inclurait l’abandon par Washington du parapluie nucléaire américain dans la région qui bénéficie tant à Séoul qu’à Tokyo. Professeur au Massachusetts Institute of Technology à Boston, Vipin Narang est catégorique: «La Corée du Nord n’a rien promis de plus qu’au cours des vingt-cinq dernières années.» Donald Trump a laissé de côté une exigence qui n’a pourtant cessé d’être martelée par son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et qui fut un pilier de la politique nord-coréenne des précédentes administrations américaines: la vérification des mesures promises. Pour nombre d’experts, c’est une concession «colossale» de Trump.
Rhétorique de Pékin
Quant à l’abandon des manoeuvres militaires communes avec Séoul offert par la Maison-Blanche, il n’est compensé par aucune mesure comparable du côté de la Corée du Nord. Donald Trump a d’ailleurs entonné la rhétorique de Pyongyang et de Pékin, jugeant luimême de telles manoeuvres «provocatrices». En mars 2017, c’est précisément la revendication que fit le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Wang Yi. Pyongyang avait aussi annulé en mai une rencontre avec Séoul en guise de protestation contre ces exercices militaires. Les dirigeants de Corée du Sud, où sont stationnés depuis des décennies 28000 soldats américains, ont en revanche été pris au dépourvu.
Avant de quitter Singapour, Donald Trump a lâché: «Otto n’est pas mort en vain. Je pense que sans lui, ceci [le sommet] ne serait pas arrivé.» Le président faisait référence à Otto Warmbier, un citoyen américain incarcéré en Corée du Nord, puis libéré avec de graves dommages cérébraux avant de mourir. Ex-chef négociatrice de l’accord nucléaire avec l’Iran, Wendy Sherman ne mâche pas ses mots: «De tels commentaires ne sont pas dignes d’un président des Etats-Unis.»
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