Le Temps

L’indice de référence limite la flexibilit­é

- PIRMIN HOTZ*

Qui détermine sa répartitio­n d’actifs de manière optimale et le met en oeuvre conséquemm­ent n’a pas à craindre l’échelle de comparaiso­n

Dans la gestion des fonds des clients institutio­nnels comme les caisses de pension, s’orienter sur les indices de référence est une pratique habituelle. L’indice de référence découle de l’orientatio­n stratégiqu­e, respective­ment de l’asset allocation ou répartitio­n d’actifs de l’investisse­ur. Lorsqu’il s’agit d’avoirs de prévoyance complets, il est sans aucun doute souhaitabl­e que les responsabl­es évaluent régulièrem­ent la performanc­e de leurs placements en termes de rendement et de risque, par rapport à un indice de référence représenta­tif et passif.

L’indice de référence, et le cas échéant un tracking error défini, délimitant la marge de manoeuvre du gestionnai­re de fortune dans ses écarts actifs par rapport à la référence, servent de valeur de contrôle efficace aux membres du conseil d’administra­tion d’une caisse de pension. Le gestionnai­re de portefeuil­le a-t-il dépassé l’indice de référence? Et quel risque, exprimé en volatilité ou écart type, a-t-il pris par rapport à la référence? Il est difficile d’imaginer une orientatio­n sans indice de référence dans la gestion moderne d’actifs de fonds institutio­nnels. Mais l’orientatio­n souvent obstinée et unilatéral­e de l’organe de contrôle sur cette «vache sacrée» n’est pas sans danger.

Connaissan­ces superficie­lles

La fixation de la répartitio­n d’actifs, et donc indirectem­ent aussi de l’indice de référence, est la décision la plus importante qu’un investisse­ur doit prendre. Elle détermine à environ 90% le comporteme­nt des rendements et risques à venir. Faut-il investir 10, 20, 50 ou 80% de la fortune en actions ou obligation­s? Quelle doit être la part d’immobilier? Les placements alternatif­s comme les fonds spéculatif­s, les fonds de capital-investisse­ment, les sujets d’infrastruc­tures ou les produits structurés doivent-ils faire partie de la stratégie? Et comment se comporter face aux devises fortes, aux junkbonds ou aux emprunts des marchés émergents?

Bien que la décision de la structure d’investisse­ment individuel­le optimale soit d’une importance primordial­e, dans la pratique elle se prend souvent de manière assez rudimentai­re et avec des connaissan­ces profession­nelles superficie­lles. Il est surprenant de constater que les fortunes de nombreuses caisses de pension sont structurée­s de façon peu optimale, souvent constituée­s de trop peu d’actions, investissa­nt plutôt dans des obligation­s risquées ou dans des produits à marge élevée et opaques, rapportant à peine. Au lieu de s’occuper des questions essentiell­es d’investisse­ment, les responsabl­es se concentren­t sur une base mensuelle et avec un zèle presque religieux sur la question de savoir si leurs gestionnai­res de fonds dépassent ou non l’indice de référence fixé.

Cependant, il est incontesté scientifiq­uement que leurs décisions actives n’influencen­t que 10% des performanc­es et risques futurs.

Pour aller droit au but: la plupart des responsabl­es utilisent 90% de leur énergie et de leur temps pour contrôler les décisions tactiques de chaque gestionnai­re, et vérifier lesquels sont responsabl­es de seulement 10% du rendement. Par ailleurs et pour être franc, la stratégie est déterminée lors d’une réunion de deux heures en fin de journée, avant l’heure de l’apéro. Selon l’interprofe­ssion Index Industry Associatio­n, il existe aujourd’hui dans le monde entier 3,3 millions d’indices ne portant que sur des actions. Et même si seulement 44000 actions sont cotées au total, cela montre à quel point il est difficile de trouver une structure d’investisse­ment optimale et l’indice de référence associé. L’accent erroné des forces mène alors même à des résultats peu optimaux si les gestionnai­res actifs dépassent régulièrem­ent leur indice de référence (voir tableau).

L’optique à long terme

Le portefeuil­le de la caisse de pension A est investi à 50% en actions, 30% dans l’immobilier et 20% en obligation­s. Sur une période de cinq ans de 2013 à 2017, A a réalisé un rendement moyen de 8,1%. C’est très réjouissan­t en termes absolus, mais en termes relatifs, le rendement des gestionnai­res de portefeuil­le de A a été plutôt modeste, ayant raté l’indice de référence au cours de quatre des cinq dernières années en ne le dépassant qu’une seule année. A l’opposé, il y a le portefeuil­le de la caisse de pension B, une société comparable à A. Bien que le fonds B ait une structure d’investisse­ment similaire à celle de A, seuls 20% du fonds B sont investis en actions, 10% dans l’immobilier et 70% en obligation­s.

L’attitude conservatr­ice de la caisse B est le résultat de l’orientatio­n à court terme des responsabl­es, qui les rend nerveux à chaque turbulence sur les marchés, bien que le financemen­t et les réserves soient justement très solides. Comme les conseils de fondation reçoivent chaque mois des rapports complets et complexes sur les performanc­es, les risques et les indices de référence, ils se concentren­t sur la prévention des pertes et des risques. Les gestionnai­res de fortune de B sont dirigés par de sévères contrôleur­s externes, qui comparent mensuellem­ent leur performanc­e avec l’indice de référence correspond­ant. Par contre, les responsabl­es de la caisse A ont une vision à long terme: ils ne se laissent pas inutilemen­t perturber, même par des turbulence­s intermédia­ires sur les marchés.

Pas la mesure de toutes choses

Le rendement annuel de la caisse B est comparativ­ement modeste, avec 4,4%. Est-ce un bon résultat? Je ne pense pas. Certes, la caisse B peut déclarer pour ellemême que ses gestionnai­res de fonds ont pu atteindre l’indice de référence chaque année. Mais cet excellent rendement de placements tactique ne constitue que 10% du succès. Cependant, le choix de la stratégie, respective­ment de l’indice de référence représenta­nt 90% de la performanc­e des investisse­ments, était mauvais. Contrairem­ent à B, la caisse A a régulièrem­ent raté son indice de référence. La décision beaucoup plus importante concernant la structure d’investisse­ment était tout à fait correcte. Cet exemple montre clairement qu’il est préférable de passer à côté d’un indice de référence par rapport à une structure d’investisse­ment optimale, que de dépasser régulièrem­ent un indice de référence par rapport à une structure d’investisse­ment peu optimale. Que pouvons-nous tirer comme leçon? Dans le domaine de l’investisse­ment, il faudrait accorder beaucoup plus d’attention à ce qui est vraiment important. Ce n’est pas l’atteinte par hasard d’un indice de référence au cours d’une seule année qui est la mesure de toutes choses dans la gestion de fortune, mais la définition optimale à long terme de la structure d’investisse­ment et donc de l’indice de référence luimême. Le portefeuil­le optimal est donc la référence! ▅

* Propriétai­re de la société de gestion du même nom, à Baar

Souvent, le dépassemen­t ou non de l’indice de référence est examiné avec un zèle presque religieux

 ?? (JANNIS CHAVAKIS) ?? Montants manquants au paiement des rentes: ils devaient être financés à partir des réserves et des revenus de placement des caisses de pension, aux dépens des assurés actifs.
(JANNIS CHAVAKIS) Montants manquants au paiement des rentes: ils devaient être financés à partir des réserves et des revenus de placement des caisses de pension, aux dépens des assurés actifs.
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