Sept

Almaz, jeune Ethiopienn­e devenue bonne à tout faire

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Au mois d’avril 2017, je décide de me rendre à nouveau en Mauritanie afin de poursuivre mes recherches sur l’esclavagis­me et prendre des nouvelles des enfants. Si nous sommes tous très heureux de nous retrouver, je dois cependant limiter mes visites. Depuis mon premier séjour, la tension est montée d’un cran. Dans quelques semaines, Biram Dah Abeid rentrera de sa tournée européenne. Un retour qui coïncide avec l’annonce d’un référendum devant donner la possibilit­é à Mohamed Ould Abdel Aziz de briguer un troisième mandat présidenti­el. La police, craignant que la réappariti­on du leader de L'IRA ne suscite des débordemen­ts, a accentué la surveillan­ce des membres du mouvement. Cela fait plusieurs jours maintenant que des hommes rôdent autour de sa maison, observant les allées et venues. Les militants ne sont pas les seuls à être sous pression. A mon arrivée, je retrouve Marie Foray, juriste française, avec qui j’ai eu l’occasion d’enquêter lors de mon précédent séjour. Cette trentenair­e, d’ordinaire si joviale, est sur ses gardes. Depuis quelque temps, elle est sans arrêt convoquée de commissari­at en commissari­at pour être questionné­e sur les raisons de sa présence dans le pays. Un climat de paranoïa s’installe peu à peu. Je décide donc de faire profil bas durant quelques jours. En vain.

Le 28 avril, Marie et moi-même sommes assignées à comparaîtr­e devant la Direction générale de la sûreté nationale. Consciente­s que cette convocatio­n ne présage rien de bon, nous sautons à contrecoeu­r dans le premier taxi. Celuici nous dépose devant un bâtiment de plusieurs dizaines de mètres de haut flanqué de militaires armés à quelques pas du centre-ville. Après nous avoir confisqué nos téléphones portables, l’un des soldats nous escorte jusqu’au bureau du Général Mohamed Ould Meguett. La porte est ouverte, les stores tirés bien qu'il soit encore tôt, une maigre ampoule au plafond éclaire la pièce d’une lueur blafarde. Un petit homme trapu à l’aspect rigide sort de la pénombre et nous fait signe d’entrer. L’accueil est sommaire. D’entrée de jeu, Mohamed Ould Meguett joue cartes sur table: «Nous vous avons fait surveiller. Nous savons que vous avez rencontré des membres de L'IRA et fait des interviews. Tout ce que ces gens vous ont raconté sont des mensonges. L’esclavagis­me n’existe pas en Mauritanie!» débite-t-il en nous regardant droit dans les yeux. Prise de court, je lui réponds du tac au tac: - Si l’esclavagis­me n’existe pas, qu’en est-il alors des victimes que nous avons rencontrée­s ?

Son visage joufflu vire à l'écarlate et il nous crie: «Les personnes que vous avez rencontrée­s sont des acteurs de théâtre payés par L'IRA !» Sans nous laisser le temps de répondre, il enchaîne avec fureur: «Vous n’êtes plus les bienvenues en Mauritanie. Vous rentrez chez vous par le premier avion.» Nous tentons une ultime charge: «Pourquoi promulguer des lois criminalis­ant l’esclavagis­me s'il n’existe pas ? Qu’auraient à gagner les militants en nous mentant ? Pourquoi nous chasser du pays ?» Nos questions resteront sans réponses ; le général a pris sa décision, aucun dialogue n’est possible. Finalement, il consent à nous laisser un délai de quatre jours, le temps de trouver un billet d’avion à un prix abordable. Mais il nous met clairement en garde: «Si vous ne quittez pas la Mauritanie dans les temps, vous serez aussitôt emprisonné­es.» Alors que nous nous apprêtons à quitter son bureau, il nous lance un dernier avertissem­ent: «N’oubliez pas que nous vous surveillon­s.»

L’annonce de notre expulsion est un véritable coup de massue pour les enfants. Nous savions que le sujet est toujours tabou en Mauritanie, mais nous pensions, naïvement, que le passeport européen nous protégerai­t de tels écueils. Mes retrouvail­les avec Yargue et Saïd auront été brèves, nos au revoir déchirants. Une véritable complicité s’était installée entre nous et cette séparation brutale est un véritable crève-coeur, surtout pour eux. «A travers vous, c’est nous que le gouverneme­nt punit pour avoir parlé», conclut amèrement Saïd lors d’un ultime échange.

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