Condamné, Pierre Maudet va faire appel
Le conseiller d’État écope de 300 jours-amende avec sursis pour s’être fait offrir un voyage avec sa famille à Abu Dhabi.
Reconnu coupable d’acceptation d’un avantage concernant son voyage à Abu Dhabi en 2015, Pierre Maudet a été condamné hier à 300 jours-amende avec sursis (à 400 francs le jour). Il devra aussi verser 50’000 francs à l’État de Genève, à titre de créance compensatrice. «Sa faute est importante, a notamment relevé la présidente du Tribunal de police. Durant l’enquête, il a tenté de dissimuler des preuves et a participé à l’élaboration d’un mensonge.» En revanche, l’ancien PLR est acquitté pour le second volet des actes qui lui étaient reprochés, à savoir celui dit «du sondage», un questionnaire financé par deux hommes d’affaires et envoyé aux Genevois durant sa campagne électorale de 2018. Au sortir du Palais de justice, les avocats du conseiller d’État démissionnaire – et candidat à sa propre réélection le 7 mars prochain – ont annoncé qu’ils vont faire appel de cette décision. Ce verdict était très attendu par le monde politique genevois. «C’est un triste jour pour nos institutions et notre République», estime le président du PLR, Bertrand Reich. «Ce jugement permet de dire aux gens qui sont au pouvoir qu’il existe un cadre éthique qui ne peut pas être dépassé», indique pour sa part Lydia Schneider Hausser, coprésidente du Parti socialiste.
Lundi soir, Pierre Maudet a quitté le Tribunal en homme condamné. Après la lecture du jugement, il est resté seul, de longues minutes, dans la salle d’audience vide pour préparer sa réaction. Puis il a rejoint ses avocats et s’est adressé à la presse, sans répondre aux questions. «C’est un moment particulier pour moi et pour ma famille. Le verdict m’acquitte sur deux points essentiels, mais il maintient un reproche.» Puis Mes Grégoire Mangeat et Yaël Hayat ont annoncé qu’ils feront appel du jugement, qu’ils feront établir «l’innocence» de Pierre Maudet. Métaphore volontaire ou non, Me Hayat a assuré que «le voyage continue», comme pour affirmer qu’il ne faut pas s’arrêter à ce jugement de première instance.
Le reproche, c’est le voyage à Abu Dhabi, «un avantage indu» en termes juridiques, qui vaut à Pierre Maudet une condamnation pécuniaire de 300 jours-amende avec sursis (à 400 fr. le jour). Le conseiller d’État est, à ce stade, également condamné à verser une créance compensatrice à l’État de Genève d’une valeur de 50’000 francs. Ce montant correspond à l’évaluation faite par le Ministère public (puis confirmée par la juge) du voyage à Abu Dhabi pour lui et sa famille.
Quelques minutes plus tôt, Pierre Maudet avait attentivement pris des notes alors que la présidente du Tribunal de police lui lisait la sanction qu’elle lui infligeait. Si le magistrat et ses avocats ont insisté sur les éléments ayant fait l’objet d’un acquittement, ceux qui étaient présents dans la salle retiendront ces mots, sévères, à l’encontre du conseiller d’État. «Sa faute est importante. Il a porté atteinte à la confiance de la collectivité dans l’objectivité de l’action de l’État. Durant l’enquête, il a tenté de dissimuler des preuves et a participé à l’élaboration d’un mensonge.»
La juge n’a pas manqué de relever, en outre, qu’il y a «chez Pierre Maudet une absence de prise de conscience quant à son acte».
Financement «normal»
La consolation pour le conseiller d’État démissionnaire, candidat à sa succession, tient dans son acquittement pour le second volet des actes qui lui étaient reprochés, celui dit «du sondage». Ce questionnaire envoyé aux Genevois dans le but de nourrir la campagne électorale pour le Conseil d’État en 2018 a été financé par les deux hommes d’affaires Magid Khoury et Antoine Daher, qui ont servi d’intermédiaires dans l’organisation du week-end aux Émirats arabes unis.
La question s’était posée à de multiples reprises durant le procès: en quoi cette aide financière versée sur le compte de l’association de soutien à Pierre Maudet se différenciait-elle d’un soutien politique, comme il y en a tant? En acquittant tous les participants sur ce point, la présidente du Tribunal de police a tranché: il s’agissait d’un financement «normal» de campagne. Il n’y avait là rien de pénal, contrairement à ce que soutenait le Ministère public.
Lundi, le premier procureur Stéphane Grodecki n’a pas souhaité commenter la décision de la juge ni indiquer s’il ferait, lui aussi, appel de la décision.
Tous condamnés
Enfin, ce verdict n’épargne pas l’entourage de Pierre Maudet dans cette affaire. Pour Patrick Baud-Lavigne, fidèle chef de cabinet du conseiller d’État, la peine est même supérieure à celle du magistrat puisqu’elle atteint 360 jours-amende avec sursis. Dans son cas, le voyage à Abu Dhabi coûte cher. Au-delà de l’acceptation de l’avantage découlant de l’invitation au Grand Prix, l’homme s’est rendu coupable d’instigation à abus d’autorité lorsqu’il a demandé de délivrer une autorisation non conforme pour l’Escobar et de violation du secret de fonction lorsqu’il a requis et obtenu des informations sur des procédures en cours à la demande d’Antoine Daher. Pierre Maudet, lui, n’était pas concerné par ces volets, puisque aucun élément concret ne figurait au dossier concernant son éventuelle implication.
Quant à l’ancien chef du Service du commerce, il a été reconnu coupable d’abus d’autorité pour avoir validé le dossier incomplet de l’Escobar. Mais l’homme sort du tribunal exempté de peine tant chacun aura compris qu’il ne faisait que répondre à un ordre de la hiérarchie.
De manière générale, la présidente du tribunal a sanctionné ce que le procureur Stéphane Grodecki avait baptisé «les noces barbares». À savoir les relations liant Pierre Maudet et son bras droit aux deux entrepreneurs actifs dans l’immobilier. Le coeur du problème, c’est l’influence qu’auraient pu avoir les deux hommes d’affaires sur le magistrat et son bras droit, alors au sommet de l’État. Sabina Mascotto le résume ainsi: «Ils ont accepté, se sont accommodés du risque que le voyage leur soit offert dans le but de les influencer dans l’exercice de leur fonction.» Peu importe, finalement, que le voyage ait été payé par la couronne royale d’Abu Dhabi.
Le voyage est également ce qui a conduit à la condamnation, lundi soir, de Magid Khoury (240 jours-amende avec sursis) et Antoine Daher (180 joursamende). Sans le premier, «le voyage n’aurait pas eu lieu», puisqu’il a contacté son oncle, lequel est parvenu à obtenir une invitation VIP à Pierre Maudet. Le second a été «complice». Dans les deux cas, la présidente a retenu qu’ils agissaient «dans l’intérêt de leurs affaires, avec l’objectif d’exercer une influence». La juge a repris à son compte un terme que la défense cherchait à tout prix à bannir: «le copinage».