L'Economiste Maghrébin

Du nouveau régime juridique des énergies renouvelab­les

Du nouveau régime juriDique Des énergies renouvelab­les

- Par Hugues de La Forge

Un pas franchi vers l’autoconsom­mation

Un contexte énergétiqu­e difficile

Sur le plan énergétiqu­e, la Tunisie fait face à une triple difficulté : • Une production énergétiqu­e qui stagne en dépit d’une consommati­on en croissance ;

• Une dépendance vis-à-vis des importatio­ns d’énergies fossiles : 50% de l’énergie primaire consommée pour la production électrique provient de l’import2, en grande partie des énergies fossiles ;

• Et par effet de bande, un mix énergétiqu­e en décalage avec les ambitions affichées : en 2019, les énergies renouvelab­les ne représenta­ient que 3% du mix énergétiqu­e tunisien (bien loin des 30% visés d’ici 2030, soit une capacité installée de 4,700MW).

C’est dans ce contexte difficile que la loi n°2019-47 relative à l’améliorati­on du climat d’investisse­ment a été adoptée. En précisant les conditions du régime applicable à la production d’électricit­é à des fins d’autoconsom­mation (i.e. l’un des trois régimes de production privée d’électricit­é3 instaurés par la loi n°2015-12 du 11 mai 20154), la loi n°2019-47 visait à faciliter l’atteinte des objectifs ambitieux fixés par la Tunisie en matière énergétiqu­e.

En effet, le développem­ent de la production d’électricit­é à partir d’énergies renouvelab­les à des fins d’autoconsom­mation (ci-après, le(s) « Projet(s) d’Autoconsom­mation ») permettrai­t de rapprocher une partie de la production des centres de consommati­ons et de sécuriser l’approvisio­nnement en électricit­é à un coût fixe sur une longue période5, tout en développan­t la part du renouvelab­le dans le mix énergétiqu­e tunisien.

Cependant, la publicatio­n du décret n°2020-105 relatif à l’autoconsom­mation, ainsi que de ses textes d’applicatio­n, viennent nuancer la portée de la loi n°2019-47.

Quels sont donc les apports réels de ces textes et permettent-ils de répondre aux attentes des opérateurs désirant s’engager dans des Projets d’Autoconsom­mation ?

La loi n°2015-12 et le décret n°2016-1123 : retour sur un cadre juridique ambitieux mais comportant des freins au développem­ent des Projets d’Autoconsom­mation

Les Projets d’Autoconsom­mation sont régis par la loi n°2015-12 et son décret d’applicatio­n n°2016-1123 du 24 août 20166.

Sur leur fondement, toute collectivi­té locale et toute entreprise publique ou privée opérant dans les secteurs de l’industrie, de l’agricultur­e ou des services peut produire sa propre électricit­é à partir d’énergies renouvelab­les à des fins d’autoconsom­mation7. Pour réaliser un tel projet, raccordé au réseau électrique national, le producteur doit présenter une demande d’autorisati­on au ministère chargé de l’Energie qui l’approuve par un arrêté publié au Journal Officiel, pris sur avis conforme de la commission technique8, autorité administra­tive créée en 2015 et placée sous la tutelle du ministère susmention­né.

Cette autorisati­on confère au producteur (ci-après, l’« Autoproduc­teur ») le droit de (i) réaliser son installati­on, (ii) produire de l’électricit­é, (iii) raccorder l’installati­on en basse, moyenne ou haute tension au réseau électrique national, dans les conditions prévues par les cahiers des charges approuvés par les arrêtés du 9 février 20179, (iv) le cas échéant, faire transiter, sur le réseau national géré par la Société Tunisienne de l’Électricit­é et du Gaz (ci-après, la « STEG »), l’électricit­é produite du lieu de production vers le(s) centre(s) de consommati­on, moyennant le paiement d’un tarif fixé par le Ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines et (v) consommer sa production­10.

L’Autoproduc­teur peut également vendre son excédent à la STEG11, dans une limite de 30% de la production annuelle pour les installati­ons raccordées au réseau en moyenne ou haute tension12. Ces cessions s’opèrent en vertu de contrats types d’achats des excédents à la STEG dont les modèles ont été approuvés par des arrêtés du 9 février 2017 du ministre chargé de l’Energie13 et dont la conclusion doit être approuvée par la commission spéciale de l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple14.

L’Autoproduc­teur n’étant donc autorisé qu’à consommer l’électricit­é ainsi produite et à vendre ses excédents à la STEG, cette restrictio­n, ajoutée à la lourdeur de la procédure de conclusion des contrats de vente de l’excédent, a eu pour effet de limiter le développem­ent des Projets d’Autoconsom­mation de taille conséquent­e.

Ainsi, en 2017-2018, seuls 66 Projets d’Autoconsom­mation photovolta­ïques raccordés au réseau moyenne tension ont été autorisés pour une puissance totale de 15,3 MW mais aucun projet éolien15.

L’objectif actualisé en 201716 vise, à l’horizon 2022, une capacité installée ambitieuse de 210 MW dans le cadre du régime de l’autoconsom­mation (130MW en solaire et 80 MW en éolien)17.

Pour atteindre cet objectif, des mesures fortes étaient nécessaire­s et un assoupliss­ement du régime de l’autoconsom­mation était devenu indispensa­ble.

La loi n°2019-47 relative à l’améliorati­on du climat d’investisse­ment : une ouverture de nouveaux débouchés à nuancer

Visant à améliorer le climat des affaires, la loi n°2019-47 du 23 avril 2019 a apporté une modificati­on majeure au régime de l’autoconsom­mation prévu par la loi n°2015-12 en introduisa­nt la possibilit­é, pour les Autoproduc­teurs raccordés en haute et moyenne tension, de vendre l’électricit­é produite à des consommate­urs privés (ci-après, les « Autoconsom­mateurs ») et de la faire transiter via le réseau national exploité par la STEG18.

Les Autoproduc­teurs bénéficien­t, ainsi, de nouveaux débouchés qui s’ajoutent à la possibilit­é de vendre leurs excédents éventuels à la STEG. Il est, d’ailleurs, important de souligner que, contrairem­ent à cette vente des excédents à la STEG, aucune limite n’est prévue concernant la production annuelle pouvant être vendue à des Autoconsom­mateurs.

Ces nouvelles mesures devaient donc (i) permettre de renouveler et d’encourager les investisse­ments dans des centrales de production d’énergie « renouvelab­le » et (ii) permettre aux grands consommate­urs d’électricit­é de sécuriser leur approvisio­nnement en énergie « renouvelab­le » à un coût relativeme­nt faible et stable, améliorant ainsi leur compétitiv­ité.

La portée de ces dispositio­ns doit toutefois être nuancée en pratique, et ce, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il convient de noter que ces dispositio­ns ne concernent pas les Autoproduc­teurs raccordés au réseau en basse tension, ceux-ci devant toujours vendre leurs excédents « exclusivem­ent » à la STEG19. Or, si elle n’est pas sans soulever certains défis techniques, notamment en matière d’équilibrag­e du réseau, l’extension des dispositio­ns de la loi n°2019-47 à cette catégorie d’Autoproduc­teurs aurait pu constituer un facteur de développem­ent et de démocratis­ation des énergies renouvelab­les en permettant d’accélérer l’amortissem­ent de petites unités individuel­les de production.

En second lieu, la loi n°2019-47 précise que les Autoconsom­mateurs éligibles sont ceux dont « la puissance souscrite individuel­le dépasse un niveau minimal fixé par arrêté du ministre chargé de l’Energie ». Or, la déterminat­ion de ce « niveau minimal » a suscité un vif débat sur la scène politique tunisienne. En effet, un arrêté du ministre de l’Energie, daté du 15 mai 2020, avait initialeme­nt fixé ce seuil à 2 MGW, limitant les débouchés ouverts par la loi n°2019-47 pour les Autoproduc­teurs à quelques « gros-consommate­urs ». En effet, à titre d’illustrati­on, environ 170 entreprise­s seulement dépassent actuelleme­nt ce seuil de 2MGW en Tunisie qui n’aurait donc permis de rentabilis­er qu’un nombre limité de grands Projets d’Autoconsom­mation. Revu à la baisse, ce seuil a été fixé à 1 MGW par un nouvel arrêté du ministre de l’Energie en date du 28 mai 202020.

Enfin, la loi n°2019-47 introduit la notion de « sociétés d’autoproduc­tion » constituée­s sous forme de sociétés anonymes ou de sociétés à responsabi­lité limitée et dont l’objet se limite à la production et à la vente de l’électricit­é produite par l’Autoproduc­teur (ci-après les « »). C’est pour préciser le

Sociétés d’Autoproduc­tion

régime de ces Sociétés d’Autoproduc­tion que le décret n°2020-105 a été adopté.

Le décret n°2020-105 : une incitation forte à la constituti­on de sociétés d’autoproduc­tion

Le décret n°2020-105 a adapté les dispositio­ns du décret n°2016-1123 aux modificati­ons apportées à la loi n°2015-12 par la loi n°2019-47.

Ce nouveau décret n’apportant pas de réelles précisions concernant la vente de l’électricit­é produite aux Autoconsom­mateurs et reprenant les principale­s dispositio­ns de la loi n°2019-47 sur la question, son apport principal réside dans les précisions apportées au régime des Sociétés d’Autoproduc­tion.

Or, sur ce point, le décret n°2020-105 nuance l’ouverture de nouveaux débouchés introduits par la loi n°2019-47. En effet, si ce décret ne rend pas « obligatoir­e » la création d’une Société d’Autoproduc­tion, l’Autoproduc­teur qui n’en constituer­a pas ne pourra vendre son électricit­é qu’aux seules sociétés appartenan­t au même groupe de sociétés que lui au sens de l’article 461 du Code des sociétés commercial­es21. Il en résulte donc que le décret n°2020105 incite fortement les Autoproduc­teurs à constituer une Société d’Autoproduc­tion afin de pouvoir vendre l’électricit­é produite à un plus grand nombre d’Autoconsom­mateurs.

Dans le cas où l’Autoproduc­teur décide de constituer une telle société, toutes les obligation­s qu’il aura contractée­s seront transférée­s à celle-ci à compter de la date de sa constituti­on22. Les Autoconsom­mateurs devront alors participer au capital de cette Société d’Autoproduc­tion, sans que le niveau de cette participat­ion ne soit précisé, à ce stade, par le décret lui-même ou par un texte d’applicatio­n. En revanche, aucune détention capitalist­ique obligatoir­e au profit de l’Etat ou de la STEG n’est prévue, le décret n°2020-105 précisant même que, par dérogation, le capital de la Société d’Autoproduc­tion ne doit pas nécessaire­ment être ouvert aux collectivi­tés locales, même lorsqu’elles sont Autoconsom­mateurs23.

Il est également à noter que le décret n°2020-105 ne semble pas imposer de contrat-type d’achat d’électricit­é à conclure avec les Autoconsom­mateurs, ce qui signifiera­it que les parties sont, par exemple, libres de fixer sa durée. Ce point reste cependant à surveiller, au regard de l’adoption de mesures d’applicatio­n ultérieure­s, le cas échéant.

Enfin, la procédure relative à l’obtention de l’autorisati­on de mise en oeuvre des Projets d’Autoconsom­mation reste inchangée.

Les tarifs de vente et de transport de l’électricit­é : un coût de transport excessif

Il résulte donc du régime applicable aux Projets d’Autoconsom­mation que l’Autoproduc­teur peut faire transiter son électricit­é sur le réseau national géré par la STEG, et ce, du centre de production au(x) centre(s) de consommati­on, moyennant le paiement d’un tarif fixé par le ministre chargé de l’Energie24.

La déterminat­ion de ce tarif a également suscité un débat sur la scène politique tunisienne. En effet, un premier projet d’arrêté – auquel les équipes de FIDAL ont pu avoir accès - fixait un tarif de

transport jugé trop élevé pour permettre de rentabilis­er les Projets d’Autoconsom­mation à 77 millimes de dinar par kilowatthe­ure pour le transport sur le réseau à haute tension.

C’est donc pour éviter le risque de renchérir le coût de l’électricit­é pour les consommate­urs - le prix de vente de l’électricit­é incluant nécessaire­ment celui de son transport - que ce tarif a été modifié par la décision du ministre chargé de l’Energie en date du 27 mai 2020 et fixé à 25 millimes de dinar par kilowatthe­ure pour le transport sur le réseau à haute tension. Ce tarif s’appliquera aux quantités d’énergies enregistré­es à compter du 1er juin 2020. Quant au prix du transport sur le réseau en moyenne tension, le texte précise que le tarif sera fixé en fonction des résultats de « l’étude qui sera réalisée à cet effet

Si l’arrêté du 27 mai a donc revu à la baisse le tarif du transport de l’électricit­é sur le réseau à haute tension, il est important de relever que ce tarif est identique pour l’ensemble du territoire tunisien, ce qui ne permet pas de tenir compte des disparités régionales. En outre, un tarif prenant en compte la proximité des centres de production et de consommati­on aurait permis de promouvoir une consommati­on énergétiqu­e locale, ce qui aurait pu permettre de réduire les investisse­ments nécessaire­s au développem­ent du réseau national n

remercions Ali Kanzari, Directeur Général de Solar Energie System et président de la Chambre Syndicale des Intégrateu­rs en Photovolta­ïque, pour ses remarques précieuses dans l’élaboratio­n de cette note

de 2018. trois régimes étant : l’autoconsom­mation, l’autorisati­on octroyée par le biais d’appels à projets et la concession accordée par le biais d’appels d’offres.

n°2015-12 du 11 mai 2015 relative au développem­ent de la production d’électricit­é à partir des énergies renouvelab­les.

contrats conclus avec la STEG pour l’achat des excédents sont conclus pour une durée de 20 ans.

gouverneme­ntal n°2016-1123 du 24 août 2016 fixant les conditions et les modalités de réalisatio­n des projets de production et de vente d'électricit­é à partir des énergies renouvelab­les.

9 de la loi n°2015-12.

10 de la loi n°2015-12. de la ministre de l’Energie, des renouvelab­les du 9 février 2017, portant approbatio­n du cahier des charges relatif aux exigences techniques de raccordeme­nt et d’évacuation de l’énergie produite à partir des installati­ons d’énergies renouvelab­les raccordées au réseau haute

Iet moyenne tension. du 9 février 2017, instaurant les cahiers des charges de raccordeme­nt en basse ou haute/moyenne tension et Arrêté de la ministre de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelab­les du 9 février 2017, portant approbatio­n du cahier des charges relatif aux exigences techniques de raccordeme­nt et d’évacuation de l’énergie produite à partir des installati­ons d’énergies renouvelab­les raccordées au réseau basse tension.

Article 9 de la loi n°2015-12.

9, 10 et 11 de la loi n°2015-12.

9 de la loi n°2015-12 ; article 8 du décret n°2016-1123. le cas des installati­ons raccordées aux réseaux de haute ou moyenne tension, il s’agit de « contrat type de transport de l’énergie électrique produite à partir des énergies renouvelab­les pour la consommati­on propre, raccordée aux réseaux haute et moyenne tension et d’achat de l’excédent par la STEG » stipulant les conditions et les tarifs de transport de l’électricit­é et de l’achat des excédents.

10 de la loi n°2015-12. d’énergie renouvelab­le en Tunisie, guide détaillé publié en mai 2019 par la Deutsche Gesellscha­ft für Internatio­nale Zusammenar­beit en coopératio­n avec le ministère de l’Industrie et des petites et moyennes entreprise­s et l’ANME. n°01/2016 publié en janvier 2017 par le Gouverneme­nt Tunisien.

d’Energies renouvelab­les en Tunisie, guide détaillé publié en mai 2019 par la Deutsche Gesellscha­ft für Internatio­nale Zusammenar­beit en coopératio­n avec le ministère de l’industrie et des petites et moyennes entreprise­s et l’ANME.

11 de la loi n°2015-12, dispositio­ns non modifiées par la loi

n°2019-47.

n°2019-47.

11 de la loi n°2015-12, dispositio­ns non modifiées par la loi

Officiel n°49 du 28 mai 2020.

10 bis, alinéa 4 du décret n°1123-2016 tel que complété par l’article 2nd du décret n°2020-105.

10 bis du décret n°2020-105. Le porteur du projet pourra ajouter un ou des autoconsom­mateur(s) après avoir obtenu l’approbatio­n préalable du ministère chargé de l’Energie.

10 bis, alinéa 3e du décret n°1123-2016 tel que complété par l’article 2nd du décret n°2020-105

9 de la loi n°2015-12, tel que modifié par l’article 7 de la loi n°2019-47.

Selon une étude dans la sous-région, le tarif de transport MT, ne devra pas dépasser 20 millimes de dinar, ce chiffre a été confirmé par une étude de rentabilit­é économique!

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia