FAUT-IL RÉCOMPENSER LA FRAUDE ?
Après avoir lâché la bride au ministre des Finances, Slim Chaker, pour concocter à sa guise le projet de la loi de finances pour 2016, le parti majoritaire, Nidaâ Tounès, qui compte dans ses rangs la plus grande partie des hommes d’affaires du pays, ayant constaté l’absence de mesures favorables au lobby économique, a fait remonter les bretelles au ministre à travers son bloc parlementaire à l’ARP. Du coup, le ministre a dû revoir sa copie et introduire une clause portant promulgation d’une loi pour une amnistie fiscale générale. Cette disposition aura, selon le ministre, des impacts financiers importants sur le budget de l’Etat. Les articles stipulant cette amnistiesont censés permettre au gouvernement de mobiliser des ressources financières additionnelles et d’alléger, par ailleurs, les charges fiscales du contribuable. La nouveauté dont se targuent les auteurs de ce projet de loi, c’est qu’elle propose au contribuable de rembourser la moitié de ses dettes fiscales et d’investir le reste, et ce, en vue de relancer la croissance et de créer l’emploi. En contrepartie, l’Etat abandonnera, à l’encontre des personnes qui se sont soustraites à l’impôt, amendes et poursuites pénales. Il n’appliquera pas, non plus, la loi sur le blanchiment d’argent et ne les soumettra pas à une reddition de comptes concernant leurs avoirs. On ne sait plus à quel saint se vouer pour expliquer ce baguenaudage politique à travers les diverses amnisties fiscales opérées ces dernières années, et dont la plus récente remonte à 2014. De plus, de quel contribuable parle-t-on ? Car, de fait, le contribuable salarié n’a pas besoin d’une amnistie fiscale. Ce sont plutôt les hommes d’affaires, les professions libérales et les entrepreneurs qui sont les éternels récalcitrants et les bénéficiaires permanents de ces amnisties. En effet, les ressources fiscales qui contribuent à hauteur de 68% au budget de l’Etat, contre 26% pour les crédits et 6% concernant les ressources non fiscales, sont réalisées à hauteur de 44% grâce à l’impôt direct. Soit l’impôt sur les revenus, prélevé directement sur les salaires des employés et des fonctionnaires. Ceux-là ont toujours été en règle avec le fisc, même si, dans certains cas, leurs entreprises ne le sont pas. Et ce projet de loi qui sera à l’origine de débats passionnés à l’ARP, parce qu’il constitue, dans son essence, une prime à la fraude, ne risque pas de générer de recettes substantielles au profit de l’Etat parce que ceux qui se soustraient à l’impôt savent qu’ils seront toujours à l’abri de poursuites. Disonsle sans ambages: la prolifération de lois d’amnistie pénalise les personnes et les entrepreneurs qui ont toujours été en règle avec l’administration fiscale. Cette amnistie dénote aussi l’incapacité de l’Etat à faire respecter sa législation fiscale. Certes, le manque flagrant d’effectifs, soit 3.000 cadres contre le besoin de 7.000, demeure le problème majeur du système fiscal tunisien. Il n’empêche, une amnistie fiscale est aussi une solution moins coûteuse pour l’Etat. En effet, il est plus simple d’inciter un récalcitrant à déclarer spontanément son dû que de mener une enquête avant de procéder à la taxation d’office. Si l’objectif économique recherché pour ce genre d’amnistie, à savoir endiguer l’évasion fiscale, inciter à l’investissement, lutter contre l’économie parallèle en encourageant les opérateurs à intégrer le secteur formel par le biais de mesures souples ou encore exhorter au rapatriement des capitaux, il n’en demeure pas moins que la «faisabilité» d’une telle entreprise reste tributaire de la suite effective qui lui sera donnée. Et ceux qui se montreraient récalcitrants à la démarche ne devraient pas bénéficier des avantages d’une telle loi. Il faut veiller aussi à ce que les tentatives de contourner la loi soient repérables. Ainsi, ni les changements de raison sociale, ni le déplacement du siège, ni la fusion ne peuvent avoir pour effet de permettre à un contribuable récalcitrant de bénéficier plusieurs fois de l’amnistie. Sinon, nous encouragerions la fraude au lieu de lutter contre.