VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOUS
Celui qui dispose d’un marteau comme seul outil aura tendance à voir tous les problèmes sous forme de clous. Quand un ministre, offusqué par le refus d’un P.-d.g. de donner suite à sa requête relative aux nominations des chefs d’escale et représentants à l’étranger, use de son pouvoir régalien pour déstabiliser le staff managérial d’une compagnie en train de réaliser sa mue et la jette dans une zone de turbulences, cette comparaison vient immédiatement à l’esprit. En effet, l’envoi d’une équipe d’inspection sur des présomptions de corruption administratives et financières au sein de Tunisair avec, pour première action, l’audit des dépenses inhérentes au lancement du vol direct Tunis-Montréal, est l’exemple le plus éloquent qui illustre de façon claire comment on tue l’esprit d’initiative dans le secteur public. On dénonce haut et fort le retard accusé par la compagnie nationale en matière de mise en place d’un réseau de long-courrier, mais une fois le cap franchi contre vents et marées, on s’emploie à cor et à cri à diaboliser la personne qui a porté sur ses épaules un rêve caressé par des générations. Certes, il est facile de casser l’élan d’un responsable en coupant ses ailes. Mettre au pilori un responsable qui, grâce à quelques dispositions stratégiques inscrites, d’ailleurs, dans le plan de redressement de la compagnie, est parvenu à résister à une conjoncture totalement défavorable et se prépare même à renverser la vapeur, c’est hypothéquer l’avenir d’une compagnie nationale et l’un des symboles de l’économie nationale. Pour sauver les entreprises publiques et leur permettre de jouer pleinement leur rôle il est absolument nécessaire de revoir leur mode de gouvernance, qui est, en fait, le noeud gordien de l’administration tunisienne. Dans son plan de redressement, la responsable n’a-t-elle pas demandé de changer de mode de gouvernance, pour gérer la compagnie comme une entreprise entièrement privée, tout en gardant son capital public ? C’est peut-être là qu’il faut situer le «trou d’air» qui est en train de secouer Tunisair. Au lieu de chercher d’autres formules de gestion, plus performantes, au lieu de revaloriser les contrats-objectifs et les contrats-performance du transporteur national, tout en optant pour une politique de contrôle a posteriori, le ministre préfère transformer un moment de fête teinté de magie en un faux scandale dont le but ultime serait de légitimer un limogeage. Dans ce cas, le vol Tunis-Montréal n’aura été qu’un prétexte.