LECTURE CRITIQUE
Le Plan de développement 2016-2020 n’a pas manqué de susciter des interrogations quant à sa teneur et à la portée des choix qui y sont inscrits et des projections qu’il comporte.
QU’APPORTE DE NOUVEAU LE PLAN DE DÉVELOPPEMENT 2016/ 2020 ?
e programme des réformes envisagées, tel que présenté dans le Plan de développement 2016-2020, est-il approprié ? Le schéma de développement présenté permet-il de consacrer la vision arrêtée pour le pays ? Les investissements sont-ils suffisants pour engendrer la croissance économique recherchée ? Pour répondre à ces questions et autres, Solidar Tunisie a organisé un séminaire pour présenter une étude critique «constructive » du projet du Plan 2016-2020. Intitulée «Plan de développement 2016-2020 : réformes, investissement, commerce extérieur et emploi : une lecture critique», cette étude a été réalisée par Salma Zouari, professeure à l’Ihec de Carthage. «Solidar Tunisie est une ONG qui s’inscrit dans une vision stratégique ayant pour objectif de faire valoir les principes et les valeurs de la sociale démocratie qui prônent l’équité, la justice sociale et l’égalité à travers la mise en place d’un centre d’études, indépendant et non partisan. Ainsi, dans le cadre de son programme de monitoring législatif, ce think-tank entend apporter des améliorations, des études, du benchmarking et des expertises complémentaires aux projets de loi proposés aux élus de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Solidar Tunisie s’est donné l’ambition de professionnaliser ce processus, de capitaliser son savoir-faire et de favoriser une participation élargie d’experts et acteurs de la société civile», a déclaré sa présidente Lobna Jeribi.
DES PISTES D’AMÉLIORATION DOIVENT ÊTRE SOUMISES AUX DÉCIDEURS…
D’après Jeribi, le Plan de développement 2016-2020 est le socle des réformes. Mais même si les réformes programmées dans ce plan sont ambitieuses et supposées corriger les faiblesses constatées dans le pays pendant la période écoulée (20112015), il n’en demeure pas moins qu’elles restent marquées par plusieurs limites. L’étude élaborée par Solidar Tunisie signale le manque d’un calendrier de mise en oeuvre des réformes et l’absence d’indicateurs de monitoring et de suivi de leur impact, ainsi que le défaut de l’identification des départements redevables de cette mise en oeuvre. «Nous avons l’impression que nous sommes dans la perspective de déclaration d’intention et non dans la perspective d’un plan de développement, alors que les réformes doivent être engagées avec des indicateurs d’évaluation de performance pour qu’elles soient suivies par les décideurs. Telles sont les raisons pour lesquelles on a réalisé cette étude critique… On sait que parmi les composantes de
la feuille de route du gouvernement d’union nationale figure l’amendement du plan quinquennal. Donc, nous considérons que ce travail sera utile et pourra apporter sa pierre à l’édifice dans l’amendement du plan au niveau des réformes, des investissements et du commerce extérieur… Notre ambition c’est que les pistes d’amélioration soient soumises aux décideurs», a-t-elle indiqué.
DES INVESTISSEMENTS PRÉVUS, MAIS…
Pour sa part, Salma Zouari a affirmé que le diagnostic qui fonde ces réformes est le plus souvent qualitatif et comporte peu d’indicateurs quantitatifs. Les quelques indicateurs retenus ne sont que très rarement produits à un niveau régional ou par genre, tout en relevant que les axes stratégiques retenus sont le plus souvent indiqués pour la période à venir et que les réformes préconisées sont pertinentes. Zouari a affirmé que le schéma retenu projette une reprise progressive de la croissance économique qui passerait de 0,8% en 2015 à 5,5% en 2020. Le taux de croissance annuel pour la période 2016-2020 serait en moyenne de 4% contre 1,5% en 2011-2015. Pour réaliser cet objectif de croissance, les investissements projetés dans le plan s’élèveront à 120.000 millions de dinars. Selon l’étude, les investissements programmés ne permettent pas de rattraper le retard accumulé entre 2011-2015. Par ailleurs, l’accroissement du taux d’investissement à 24,4% du PIB à l’horizon 2020, quoique important, reste insuffisant par référence aux performances des pays émergents et ne semble pas à la hauteur du programme des réformes du plan qui sont supposées impacter positivement les investissements. Ainsi les investissements à réaliser par les entreprises ne concordent pas avec le rôle qu’attribue le plan au secteur privé. De même les IDE prévus sont en deçà des efforts annoncés et les investissements à réaliser par les pouvoirs publics au titre des équipements collectifs connaissent en 2016-2020 une décélération. Pour Solidar Tunisie, le choix de l’investissement doit être porté sur les secteurs à forte valeur ajoutée et non des secteurs classiques comme le transport et le bâtiment.
UNE ÉCONOMIE NATIONALE DE PLUS EN PLUS FERMÉE
En ce qui concerne l’ouverture du pays et son intégration dans l’économie mondiale, l’étude révèle que les indicateurs du commerce extérieur, comme le taux d’exportation, le taux d’importation et le taux d’ouverture démontrent en 2016-2020 une poursuite de leur baisse entamée en 2011-2015. «Nous considérons que la tendance baissière du taux d’ouverture que le plan prévoit est à la limite choquante, puisqu’on s’oriente vers les accords de libre-échange et l’ouverture sur les marchés extérieurs, raison pour laquelle nous pensons qu’il faut revoir ce taux», a-t-elle souligné, ajoutant que selon le scénario développé par le plan, le taux d’ouverture qui s’élevait à 104.1% en 2010, ne représente plus que 89.6% en 2015 et représenterait 82.3% uniquement en 2020. En effet, l’économie nationale, déjà relativement peu ouverte, est en voie de devenir de plus en plus fermée à l’horizon 2020. Cette évolution résulte du schéma de croissance sectorielle qui ne démontre pas une expansion de la base économique.
QU’EN EST-IL DE L’EMPLOI ?
Le plan prévoit une croissance moyenne de 4% sur la période 2016-2020 qui permettrait de créer 400.000 emplois. L’étude demeure critique concernant ces postes et des questions ont été posées sur la faisabilité de la création de 400.000 emplois au niveau qualitatif et quantitatif. L’étude a démontré qu’il n’est pas possible d’atteindre ce chiffre et que la majorité de ces emplois sont dans le domaine du bâtiment et des secteurs à faible valeur ajoutée. «Les 400.000 emplois nouveaux semblent difficiles à réaliser, compte tenu d’une probable augmentation de la productivité apparente du travail, supérieure à celle anticipée et du décalage entre la qualité des emplois nouveaux projetés et les aspirations, ainsi que le profil des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Par conséquent, l’emploi augmentera à un rythme inférieur à celui prévu», a-t-elle précisé.