La Presse (Tunisie)

La loi des tribus toujours en vigueur

«Si je vois quelqu’un contreveni­r à la loi, je n’interviens plus. Je ne veux plus avoir de problèmes», déclare un policier

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AFP — Mal en a pris au capitaine de police Ahmed lorsqu’il a arrêté un automobili­ste pour possession illégale d’armes. Menacé, il a dû fuir Bagdad avec sa famille pour se réfugier dans le sud. Car, en Irak, les policiers et la loi ne font pas le poids face aux tribus, très influentes dans le pays. Posté à un barrage, le policier a découvert dans une voiture un pistolet et arrêté, avec ses collègues, le conducteur. Peu de temps après, des hommes armés ont débarqué et obligé les policiers à le libérer. «Nous n’avons pu garder que le pistolet», témoigne auprès de l’AFP cet officier, qui préfère taire son nom. Quelques jours plus tard, il raconte avoir été menacé au téléphone. «Nous savons où tu vis, où est ta famille», lui a dit la personne au bout du fil en le sommant de rendre l’arme. Avec d’autres officiers, il est parvenu à entrer en contact avec des représenta­nts de la tribu de l’homme brièvement arrêté, qui lui ont présenté des documents, visiblemen­t de complaisan­ce, certifiant que le port d’armes était légal. Le capitaine Ahmed a dû rendre le pistolet et le dossier a été fermé. En Irak, la coutume fait que de nombreuses affaires sont réglées entre tribus sans en référer à la justice. Ce sont des conseils locaux et des représenta­nts de familles qui jouent les médiateurs et décident de compensati­ons, financière­s ou autres, que les deux parties négocient et acceptent.

«Je n’interviens plus !»

Le policier Ali, qui lui aussi refuse de donner son nom, a fait les frais de cette «loi». Il a dû payer près de 10.000 dollars et son capitaine de police presque autant pour mettre fin à un conflit né de leur volonté de faire appliquer la loi. Lors d’une descente pour faire fermer des étals illégaux à Bagdad, Ali a été frappé par l’un des propriétai­res. Il a répliqué par un coup de matraque. Trois semaines plus tard, son commissari­at recevait un message d’une tribu disant en substance: officiers et policiers impliqués dans l’affaire doivent s’expliquer ou des jeunes de la tribu se chargent d’eux. Ali a demandé l’aide de ses supérieurs mais, assure-t-il, ils ont refusé de s’impliquer dans une «affaire tribale». Ali et son capitaine se sont donc présentés à «l’assemblée tribale» et ont mis la main à la poche. Depuis il a fait un choix: «si je vois quelqu’un contreveni­r à la loi, je n’interviens plus. Je ne veux plus avoir de problèmes». En Irak, pays conservate­ur où l’origine et le nom jouent un rôle important dans tous les domaines -l’emploi, le mariage ou même la politique- «les coutumes tribales ont un réel impact sur la société», estime Hussein Allaoui, qui enseigne la sécurité nationale à l’Université al-Nahrain à Bagdad. Jusqu’à la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003, toutefois, la loi de l’Etat était au-dessus de celle des tribus. La situation a changé. «Depuis une dizaine d’années, aucune mesure n’a été prise» pour limiter «l’impact négatif» de ces coutumes, dit M. Allaoui. En pleine impunité, «certains utilisent le nom de leur tribu pour entraver le travail des forces de sécurité», poursuit l’expert. Cela nuit même «aux investisse­ments étrangers», avec des entreprene­urs frileux de s’engager dans un pays déjà classé parmi les plus corrompus.

«Promesses des tribus»

Pour tenter d’inverser la tendance, une unité du ministère de l’Intérieur a été dédiée aux relations avec les tribus, note-t-il toutefois, pour faire en sorte que ces puissantes structures aident les forces de sécurité à faire respecter la loi. Ce mois-ci, dans la ville sainte chiite de Najaf, les autorités ont organisé une conférence avec des dignitaire­s tribaux. «Un protocole a été signé entre les tribus et les ministères de l’Intérieur et de la Justice», selon Abboud Al-Issaoui, qui dirige la commission des tribus du Parlement. Le représenta­nt du ministère de l’Intérieur y a rappelé que «quiconque s’en prend à un membre des forces de l’ordre encourt trois ans de prison». Mais pour un commandant de police qui refuse de donner son nom, «ce ne sont que des promesses faites par quelques tribus. Sur le terrain, on ne voit pas la différence».

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