« Le geste américain risque fort d’encourager les chauvinismes »
LE PR YADH BEN ACHOUR, MEMBRE DU COMITÉ DE L’ONU POUR LES DROITS CIVILS ET POLITIQUES
• L’éminent juriste tunisien Yadh Ben Achour a été réélu, jeudi 14 juin, membre du Comité de l’ONU pour les droits civils et politiques pour un mandat de quatre ans (2019-2022). • Yadh Ben Achour a recueilli 137 voix sur 171 pays votants lors de la 36e réunion des Etats parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques tenue au siège de l’ONU à New York. Dans cet entretien
à La Presse, il relève d’emblée «l’excellente réputation internationale de la Tunisie malgré les crises internes de notre régime politique. La Tunisie continue de bénéficier d’un certain prestige au niveau international».
• «Actuellement, un certain nombre de gouvernements, en particulier au sein du bloc occidental, sont gagnés par un nationalisme hostile aux migrations et au développement de traditions culturelles et religieuses nouvelles, notamment celles qui sont issues de l’Islam».
• L’éminent juriste tunisien Yadh Ben Achour a été réélu, jeudi 14 juin, membre du Comité de l’ONU pour les droits civils et politiques pour un mandat de quatre ans (2019-2022). • Yadh Ben Achour a recueilli 137 voix sur 171 pays votants lors de la 36e réunion des Etats parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques tenue au siège de l’ONU à New York. Dans cet entretien à La Presse, il relève d’emblée «l’excellente réputation internationale de la Tunisie malgré les crises internes de notre régime politique. La Tunisie continue de bénéficier d’un certain prestige au niveau international». • «Actuellement, un certain nombre de gouvernements, en particulier au sein du bloc occidental, sont gagnés par un nationalisme hostile aux migrations et au
développement de traditions culturelles et religieuses nouvelles, notamment celles qui sont issues de l’Islam».
Vous avez été reconduit au sein du Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Quelle est votre lecture de ce renouvellement de confiance en votre personne et par-delà en la Tunisie ?
Je dois avouer que, cette fois-ci, le résultat très positif obtenu était assez inattendu. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il y avait deux fois plus de candidats que de sièges à pourvoir. Le jour du vote, le 14 juin, nous étions 17 candidats pour neuf postes. Par conséquent, le jeu était serré. Nous avons quand même réussi à obtenir la première place avec 137 voix sur les 169 Etats participant effectivement au vote et le candidat tunisien est passé dès le premier tour de scrutin. Par ailleurs, nous avions craint que les initiatives de la Tunisie en matière de réformes concernant les droits et libertés qui ont eu un écho mondial, notamment en matière d’égalité homme femme, provoquent une réaction hostile de certains, en particulier dans le groupe des Etats arabes et des Etats musulmans. Cependant, d’autres facteurs ont joué en faveur de la candidature tunisienne. En premier lieu, il faut évoquer l’excellente réputation internationale de la Tunisie. Malgré les crises internes de notre régime politique, la Tunisie continue de bénéficier d’un certain prestige au niveau international. La candidature tunisienne a été endossée par l’Union africaine, elle a eu l’appui de la plupart des Etats occidentaux, notamment de la France, représentée par l’ambassadeur Delattre, elle a bénéficié également de l’appui des Etats maghrébins, des Etats arabes et de plusieurs Etats d’Amérique latine et d’Asie, et ce, malgré mes positions sur la question sensible de l’avortement pour un certain nombre de pays d’Amérique latine, par exemple. Laissez-moi rappeler, à ce propos, que les positions du comité des droits de l’Homme dans certaines affaires contentieuses sont à l’origine du référendum irlandais qui a bouleversé la législation irlandaise sur le droit à l’avortement sécurisé. Mais un tel succès ne peut s’expliquer sans l’excellent travail de l’ensemble des services et des diplomates du ministère des Affaires étrangères, et d’une manière toute particulière de la mission tunisienne à New York et de ses jeunes diplomates éminemment représentés par l’élément féminin, et à leur tête l’ambassadeur Khaled Khiari. Il faut évoquer également l’action diplomatique d’autres missions tunisiennes, notamment la mission tunisienne auprès de l’Unesco et la mission tunisienne auprès de l’office des Nations unies à Genève.
Votre réélection au Comité coïncide avec la réflexion autour d’une véritable révolution en matière de libertés individuelles et d’égalité, à la lumière du rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité, qu’en pensez-vous ? Et auriez-vous des suggestions pour cette commission ?
La commission a présenté son rapport au président de la République tout récemment et a proposé un certain nombre de recommandations alternatives destinées à mettre la législation tunisienne en harmonie avec la Constitution d’un côté et le droit international des droits de l’Homme, de l’autre. Je comprends cela comme un effort à la fois de poursuivre le mouvement réformiste tunisien, à travers toutes ses générations, de compléter l’oeuvre du président Bourguiba et de répondre et donner suite également aux promesses et attentes de la Révolution, n’en déplaise à certains militants, parfois quasiment hystériques, du radicalisme religieux. Quand on prend connaissance de ce document, on est impressionné par l’intangibilité de cette ligne de continuité historique tunisienne. Évidemment, de nombreuses mesures législatives devront être décidées pour donner corps à ces propositions. Je ne crois pas que cela soit possible dans la configuration politique actuelle, avec l’ARP que nous avons la perspective des élections de 2019 et la crise de l’Etat et des institutions que nous vivons. Par ailleurs, les droits de l’Homme ne s’arrêtent pas aux droits et libertés individuels. Ils comprennent les exigences d’une justice raisonnable et effective. Sur ce plan, avec la situation économique et financière du pays, nous sommes très loin du compte et les gouvernements successifs n’ont pas réussi à trouver de solutions.
Avec la dernière décision du président Trump de quitter le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, qu’est-ce qu’on peut attendre du Conseil en cette période d’incertitude et de retour en arrière ?
Comme vous le dites, il s’agit ici du Conseil des droits de l’Homme et non pas du comité. Ce sont deux institutions différentes. Le Conseil des droits de l’Homme est un organisme qui réunit 47 représentants des Etats, pour évaluer la situation des droits de l’Homme dans les pays membres des Nations unies. Bien que travaillant de concert avec la société civile, le conseil des droits de l’Homme reste cependant une instance diplomatique multilatérale. Au contraire, les membres du comité sont des experts indépendants. Une fois élus par les Etats parties au pacte sur les droits civils et politiques, ils n’ont plus de compte à rendre aux Etats et agissent en toute indépendance, comme un organisme quasi judiciaire. Les États-Unis qui ont quitté le conseil demeurent toujours, en tant qu’Etat partie au pacte sur les droits civils et politiques justiciable du Comité des droits de l’Homme. Le retrait des États-Unis du conseil s’explique tout simplement par la politique inconditionnellement pro-israélienne du gouvernement américain. En effet, Israël, à cause des violations très graves du droit international, en particulier dans les territoires occupés, se trouve systématiquement condamné par le conseil, ce qui a provoqué non seulement le retrait d’Israël mais, dans la logique du gouvernement américain actuel, celle des États-Unis.
Faut-il craindre un effet boule de neige à l’échelle de l’Europe notamment où on assiste à une montée de l’extrême droite, du racisme et de la xénophobie ?
On peut non seulement le craindre, mais l’envisager sérieusement. Le geste américain risque fort d’encourager les chauvinismes. Actuellement, un certain nombre de gouvernements, en particulier au sein du bloc occidental, sont gagnés par un certain nationalisme, hostile aux migrations et au développement de traditions culturelles et religieuses nouvelles, notamment celles qui sont issues de l’Islam. Ces flux migratoires sont, en vérité, la conséquence directe d’un certain nombre de conflits que les grandes puissances, qui s’en plaignent aujourd’hui, ont elles-mêmes allumés ou attisés. Mais n’oublions pas que l’élan progressif vers la protection des droits de l’Homme a toujours eu lieu après des périodes de régression, de souffrances, d’inconscience et d’irresponsabilité. Relisons la Charte des Nations unies ou la Déclaration universelle des droits de l’Homme pour nous remettre cela en mémoire.
Ces flux migratoires sont, en vérité, la conséquence directe d’un certain nombre de conflits que les grandes puissances, qui s’en plaignent aujourd’hui, ont elles-mêmes allumés ou attisés.
Les États-Unis, qui ont quitté le conseil, demeurent toujours, en tant qu’Etat partie au pacte sur les droits civils et politiques, justiciable du comité des droits de l’Homme. Le retrait des États-Unis du Conseil s’explique tout simplement par la politique inconditionnellement pro-israélienne du gouvernement américain.
De nombreuses mesures législatives devront être décidées pour donner corps aux propositions du Rapport de la Colibe. Je ne crois pas que cela soit possible dans la configuration politique actuelle, avec l’ARP que nous avons, la perspective des élections de 2019 et la crise de l’Etat et des institutions que nous vivons.