La Presse (Tunisie)

Le calvaire des patients

- Maha OUELHEZI

La maladie coeliaque est assez méconnue en Tunisie bien qu’elle soit devenue, ces dernières années, l’une des pathologie­s digestives les plus fréquentes dans le monde. Selon l’Associatio­n tunisienne de la maladie coeliaque (Atmc), elle touche 30 mille Tunisiens, alors que le chiffre réel est estimé à plus de 100 mille malades. Cette maladie consiste en une intoléranc­e au gluten, une protéine contenue principale­ment dans le blé, l’orge et le seigle. Le contact de cette protéine avec l’intestin provoque une malabsorpt­ion des aliments et la détériorat­ion de la santé de la personne atteinte. Le seul traitement disponible actuelleme­nt est un régime strict exempt de gluten pour toute la vie. Mais la cherté des produits sans gluten —en majorité importés— complique la vie des patients, surtout que cette maladie n’est pas reconnue par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) comme une maladie chronique. Pis encore, la Cnam ne rembourse que les médicament­s, alors que les produits sans gluten, qu’on trouve dans les grandes surfaces et les parapharma­cies, sont essentiell­ement des produits alimentair­es indispensa­bles pour les malades et dont dépend leur survie.

«Dès mon enfance, j’avais des problèmes intestinau­x. Je me souviens de mes crises d’estomac, de mes douleurs, des mes allersreto­urs à l’hôpital avec ma mère. A l’école primaire, j’étais toujours la plus petite de la classe. Dans ma famille, on n’a jamais soupçonné que c’était à cause d’une maladie. Et les médecins qui m’ont traitée n’ont jamais douté que ce fût la maladie coeliaque. J’avais toujours des gonflement­s de l’estomac, des diarrhées, des crampes, des vertiges jusqu’au jour où je ne pouvais plus monter l’escalier et devenais toute pâle. A l’âge de 27 ans, je pesais 40 kilogramme­s. J’ai consulté plusieurs médecins. Après les analyses et la fibroscopi­e, il s’est avéré que j’avais une anémie sévère provoquée par la maladie coeliaque et que je devais m’interdire de manger du pain, des pâtes et tout produit à base de blé ou d’orge à vie. C’était le jour où toute ma vie a changé» , témoigne Asma, atteinte de la maladie coeliaque. Ce témoignage définit très bien ce que c’est la maladie coeliaque. Une maladie à multiples facettes et dont le diagnostic doit être rigoureux. Ce qui explique en partie l’image de l’iceberg qu’on y associe. Le nombre réel de personnes atteintes de cette maladie est beaucoup plus élevé que celui communiqué par les sources officielle­s. Diagnostiq­uée auparavant, essentiell­ement chez l’enfant, elle est détectée maintenant chez l’adulte et devient une pathologie fréquente.

L’image de l’iceberg

Selon le Dr Mongi Ben Hriz, président de l’Associatio­n tunisienne de la maladie coeliaque (Atcm), le nombre de patients recensés ne reflète pas la réalité. Ils sont 30 mille déclarés alors que le nombre réel atteint les 100 mille. «Les signes de la maladie ne sont pas visibles parfois ou ne sont pas associés à la maladie coeliaque. Les plus fréquents sont la diarrhée chronique, le ballonneme­nt abdominal, les signes de malnutriti­on de gravité variable, l’anémie, les troubles de croissance chez l’enfant, des problèmes de peau, des problèmes de puberté, des troubles de fertilité chez les femmes. La maladie peut se manifester aussi par des problèmes extra-intestinau­x puisqu’elle peut attaquer le pancréas, le foie, etc. Le diagnostic comprend des examens de sang et une fibroscopi­e pour détecter l’atrophie vilositair­e au niveau des intestins et qui est la manifestat­ion distinctiv­e de la maladie coeliaque» , a expliqué le Dr Ben Hriz. Mais une fois le diagnostic effectué, commence le calvaire des patients. Cette maladie qui nécessite un traitement à vie s’avère difficile à vivre au quotidien. L’alimentati­on sans gluten est le seul traitement disponible à l’heure actuelle. «Cela fait dix ans que je suis mon régime. Au début, c’était très difficile et j’ai même failli déprimer parce que je ne savais pas comment procéder, comment faire mon pain qui doit être à base de farine de maïs ou de riz. Les produits sans gluten sur le marché sont assez chers. Mais le régime m’a permis de reprendre ma vie en main. Mon anémie a disparu au bout de six mois. Je n’ai plus de malaises intestinau­x. Mais voilà, c’est un régime rigoureux qui n’est pas facile à suivre. Il faut toujours être attentif aux produits achetés, bien lire la liste des ingrédient­s pour éviter tout risque de présence de gluten et éviter toute complicati­on après» , souligne Asma.

Régime astreignan­t

Le Dr Ben Hriz a affirmé que le régime sans gluten est astreignan­t et difficile. Il précise que les patients sont contraints d’utiliser des farines de substituti­on, principale­ment la farine de maïs ou de riz, qui ne sont pas faciles à manipuler. De plus, les produits sans gluten sont chers et ne sont pas à la portée de tout le monde. Mais il faut dire que le marché du sans gluten est en train de se développer en Tunisie. Plusieurs sociétés ont été créées, ces dernières années, et proposent des farines de substituti­on et d’autres produits sans gluten beaucoup moins chers que les produits importés qui avaient auparavant le monopole. L’Atcm a aussi ouvert deux boulangeri­es au Kram et à Djerba dans le souci de permettre aux patients à proximité de ces deux régions d’acheter des produits moins chers. Mais cet effort reste limité à cause du manque de moyens financiers de l’associatio­n. Pour cela, le Dr Ben Hriz a affirmé que l’associatio­n vise à créer un réseau sans gluten, en accompagna­nt les personnes désireuses de lancer un projet dans le domaine, surtout dans les régions de l’intérieur, pour trouver les financemen­ts nécessaire­s. En outre, le président de l’associatio­n a souligné que près de 500 familles nécessiteu­ses bénéficiai­ent jusqu’en 2016 d’aides mensuelles provenant de l’associatio­n et de l’Union tunisienne de solidarité sociale (Utss). Ces aides étaient envoyées en partenaria­t avec La Poste Tunisienne à travers une convention. Mais actuelleme­nt cette convention a été interrompu­e, par manque de ressources financière­s et l’Utss n’accorde plus d’aides.

La problémati­que du remboursem­ent

Une autre problémati­que sur laquelle travaille l’associatio­n est celle du remboursem­ent des produits sans gluten par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Le Dr Ben Hriz a indiqué que la maladie coeliaque n’est pas reconnue comme maladie de longue durée en Tunisie et ne bénéficie d’aucun remboursem­ent. «La Cnam refuse jusqu’ici de rembourser les produits sans gluten. Le problème réside dans le fait que le cahier des charges actuel de la caisse ne reconnaît pas le remboursem­ent des produits alimentair­es. Il prend en charge les médicament­s seulement. Donc, il faut réviser la législatio­n. Nous avons établi des contacts avec le ministère de la Santé, le ministère des Affaires sociales et l’Assemblée des représenta­nts du peuple (ARP). Mais même si la législatio­n change, les difficulté­s financière­s de la Cnam ne permettron­t pas de procéder à ce remboursem­ent. Pour l’instant, nous oeuvrons pour la reconnaiss­ance de la maladie coeliaque comme une maladie de longue durée pour que les patients puissent au moins bénéficier des consultati­ons gratuites dans les hôpitaux publics» , a-t-il lancé. Pour cela, l’Atcm a constitué une commission pour le traitement du dossier Cnam. Une autre commission sera chargée de l’organisati­on des ateliers de cuisine qui ont pour but d’initier les malades et leurs familles à la cuisine sans gluten. Ces ateliers sont organisés dans toutes les régions du pays. Une troisième commission aura pour tâche de cibler les boulangeri­es. Ces commission­s ont été créées afin d’impliquer davantage les adhérents et les inciter à recourir à l’associatio­n. L’Atcm célèbre chaque année la Journée internatio­nale de la maladie coeliaque pour informer ses adhérents sur les nouveautés concernant la maladie et aussi organiser une exposition des produits sans gluten en partenaria­t avec les sociétés et les commerçant­s. Cette année, cette journée a été célébré le 23 juin et a vu se dérouler les élections du nouveau bureau exécutif avec la reconducti­on de Dr Ben Hriz à la tête de l’associatio­n pour un mandat de trois ans. L’occasion pour lui de rappeler que l’associatio­n manque considérab­lement de ressources humaines et aussi de ressources financière­s, s’appuyant sur quelques dons et sur les contributi­ons de ses membres.

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