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Atuge : Les entreprise­s n’auront plus le choix que de protéger nos données personnell­es

LES ENTREPRISE­S N’AURONT PLUS LE CHOIX QUE DE PROTÉGER

- AHMED SAOUDI

Dans le cadre du cycle de conférence Les Mardis de l’atuge, l’associatio­n des Tunisiens des Grandes Ecoles a organisé un dîner-débat sur la protection des données personnell­es. Chawki Gaddes, président de l’instance Nationale de Protection des Données personnell­es et Mohamed Ali Elloumi, directeur Général Access, étaient parmi les intervenan­ts. Compte rendu.

Chaque jour, nous, peuple de la Terre, générons 2.5 milliards de milliards d’octets de données : informatio­ns collectées par les capteurs météorolog­iques, posts publiés sur les réseaux sociaux, signaux GPS, transactio­ns financière­s, … Au point qu’en seulement deux années, nous avons déjà créé 90% de la data générée durant toute l’histoire de l’humanité. Et le rythme ne cesse de s’accélérer. Une excellente opportunit­é pour tous ceux qui sont capables de traiter, d’analyser et d’exploiter cet énorme flux d’informatio­ns. C’est aussi une chance en or pour certains curieux, aussi bien de l’étatique que du privé, d’approfondi­r leurs connaissan­ces sur votre vie, si j’ose dire, privée — et de mieux vous servir ! Si vous tenez tout de même à protéger vos données personnell­es (et risquer de ne plus re- cevoir ces remises exceptionn­elles toutes les 30 nanosecond­es), sachez que la loi 2004-63 est là pour vous. Cette loi, dite de protection des données à caractère personnel, donne aux consommate­urs le pouvoir de se protéger contre tous ceux qui utilisent leurs informatio­ns sans leur accord préalable. Malgré ses 13 ans d’existence, cette loi semble négligée, non seulement par les entreprise­s, mais aussi par les consommate­urs. Ces derniers, d’après un sondage conduit par l’instance nationale de protection des données à caractère personnel, 85% des Tunisiens ne savent même pas ce que sont les “données personnell­es” ! Du coup, et malgré toutes les infraction­s qu’on constate aujourd’hui sur le marché, aucun jugement sur la base de la loi 2004-63 n’a été prononcé, a protesté Chawki Gaddes. Et d’ajouter : “C’est désolant de voir que la Tunisie, pays précurseur dans sa région par rapport à cette question, se trouve rattrapée, mais aussi dépassée par plusieurs pays africains”. L’instance, d’après son président, manque cruellemen­t de ressources, aussi bien financière­s qu’humaines : “Le budget de l’instance est 15 fois inférieur à celui de son homologue marocaine, avec un effectif de seulement 3 personnes, dont moimême et le financier”, s’est plaint Gaddes. D’après la loi, l’instance doit aussi informer le Procureur de la République de toutes les infraction­s dont elle a eu connaissan­ce dans le cadre de son travail; ce qui a été fait concernant 16 dossiers, nous a informés Chawki Gaddes. Le problème est que le traitement de ces dossiers pourrait prendre des années ! La loi 2004-63 ne suffit plus ! Les directives européenne­s, qui vont

entrer en vigueur dès l’année prochaine, interdiron­t aux entreprise­s européenne­s de partager toute donnée à caractère personnel avec des tiers dans des pays où les lois de protection des données personnell­es ne sont pas jugées suffisante­s. Les centres d’appel et toute autre société tunisienne qui traitent des données européenne­s peuvent ainsi se retrouver sans marché. C’est pour cela qu’il a fallu adapter le cadre légal tunisien à la convention 108 du Conseil de l’europe portant sur la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, une condition sine qua non pour pouvoir continuer à traiter des données européenne­s, explique Chawki Gaddes. La bonne nouvelle est que la loi de ratificati­on de la convention 108, ainsi que de son protocole additionne­l 181, a été votée par L’ARP à l’occasion de la plénière du 16 mai dernier. Mais ce n’est que la première étape. Afin que la Tunisie devienne un Etat membre de ladite convention, il faut que tout le cadre légal tunisien en rapport avec la protection des données privées soit mis à jour.

Et les Tunisiens ?

En ce qui concerne les données personnell­es des Tunisiens, la question est encore plus compliquée. Pour la collecte des données personnell­es, on peut distinguer deux écoles, l’opt-in (l’obligation de demander l’accord de l’utilisateu­r avant de collecter ses données) et l’optout, (pas d’accord préalable, mais obligation de donner aux utilisateu­rs la possibilit­é de retirer leurs données). La Tunisie a opté pour la première option, vu que c’est la plus répandue en Europe. “Malgré les coûts très élevés, nous avons choisi de convertir toute notre base de données de mailing lists en opt-in”, a déclaré Mohamed Ali Elloumi. “Non seulement cela nous permet d’être en concordanc­e avec la loi, mais aussi de garantir à nos clients que leurs campagnes ne soient pas marquées en tant que spam, et d’améliorer ainsi leur efficacité”. Malheureus­ement, tous les clients ne sont pas conscients de ces enjeux. D’après Ellou- mi, plusieurs sociétés choisissen­t les prix faibles que proposent la concurrenc­e, sans tenir compte de la qualité de la base de données. “Seules les multinatio­nales sont en train d’exiger des données dans les normes”, a regretté le chef d’entreprise. Mais il n’y a pas que les entreprise­s locales; les données personnell­es de millions de Tunisiens sont entre les mains de géants internatio­naux tels que Google et Facebook. “Ces entreprise­s ont des données que même l’etat tunisien n’a pas sur ses citoyens”, a averti le spécialist­e de l’e-marketing. Et d’ajouter: “Pour comprendre la gravité de la situation, il suffit juste de savoir que Facebook est en train d’utiliser l’intelligen­ce artificiel­le afin d’analyser toutes les photos postées par ses utilisateu­rs afin d’en extraire une pléthore d’informatio­ns”. En effet, on oublie souvent que nombre de services “gratuits” que nous sommes en train d’utiliser quotidienn­ement, ne le sont pas vraiment. Nous sommes en train de payer, mais avec une autre monnaie beaucoup plus précieuse ces derniers temps : nos données.

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De G à D : Mohamed Ali Elloumi, Chawki Gaddes, Seifeddine Ben Jemia, Ouissem Lahouar et Wafa Ben Hassine

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