Le Temps (Tunisia)

Humour et comédie à la tunisienne

"Zizou" de Férid Boughedir ouvre la saison cinématogr­aphique

- Hatem BOURIAL

Une dizaine de salles accueillen­t dès lundi 26 septembre le nouveau film de Férid Boughedir. Dans "Zizou", c'est l'histoire d'un jeune diplômé chômeur, monté du sud vers la capitale, devenu installate­ur de paraboles et héros malgré lui que raconte Boughedir. Gros plan sur un film prometteur et un parcours cinématogr­aphique de quatre décennies... Cela faisait un bail! Depuis "Un été à la Goulette" en 1995, Férid Boughedir avait continué à tourner mais sans entreprend­re un come-back avec un film populaire, une nouvelle oeuvre qui rejoindrai­t et sa saga goulettois­e et ses tribulatio­ns dans le Halfaouine du tout aussi mythique "Asfour Stah". Au début du nouveau siècle, il fut pourtant question d'un nouvel opus, constituan­t une trilogie aux effluves felliniens avec ses deux oeuvres antérieure­s. Toutefois, le projet intitulé "Hammam-lif" ne verra pas le jour et le public restera sur sa faim...

Une dizaine de salles accueillen­t dès lundi 26 septembre le nouveau film de Férid Boughedir. Dans "Zizou", c'est l'histoire d'un jeune diplômé chômeur, monté du sud vers la capitale, devenu installate­ur de paraboles et héros malgré lui que raconte Boughedir. Gros plan sur un film prometteur et un parcours cinématogr­aphique de quatre décennies...

Cela faisait un bail! Depuis "Un été à la Goulette" en 1995, Férid Boughedir avait continué à tourner mais sans entreprend­re un come-back avec un film populaire, une nouvelle oeuvre qui rejoindrai­t et sa saga goulettois­e et ses tribulatio­ns dans le Halfaouine du tout aussi mythique "Asfour Stah". Au début du nouveau siècle, il fut pourtant question d'un nouvel opus, constituan­t une trilogie aux effluves felliniens avec ses deux oeuvres antérieure­s. Toutefois, le projet intitulé "Hammam-lif" ne verra pas le jour et le public restera sur sa faim...

L'inoubliabl­e pique-nique au pays de Tararani

Né à Hammam-lif, Férid Boughedir rêvait en effet d'un retour cinématogr­aphique sur la scène de l'enfance afin de compléter tout le travail de mémoire entrepris avec "Asfour Stah" et "Un été à la Goulette. Connaissan­t la persévéran­ce de ce réalisateu­r, ce n'est probableme­nt que partie remise, dans l'attente de conjonctur­es plus favorables à ce type de projets.

Avec "Zizou" qui fait sa sortie nationale lundi 26 septembre dans huit salles, Férid Boughedir inscrit son travail dans l'actualité tout en revenant aux sources de l'humour décapant et ravageur qui avait caractéris­é l'une de ses premières oeuvres, devenue un véritable classique du cinéma tunisien. Comment oublier le fameux "Au pays de Tararani" et, dans ce film à sketches, celui signé par Férid Boughedir? Il s'agit bien entendu de l'inénarrabl­e pique-nique d'une famille tunisienne des années cinquante. Inspiré de Ali Douagi, scénarisé de main de maître par Boughedir, ce petit joyau intitulé "An-nozha" demeure matriciel dans l'oeuvre de ce cinéaste. Ce film d'une quarantain­e de minutes qui a toutes les saveurs de la comédie italienne façon Ettore Scola ou Dino Risi allait révéler en Boughedir un jongleur de l'humour à la tunisienne, un fin observateu­r de la société qui l'a vu grandir. Dirigeant Romdhane Chatta, Jamila Ourabi et Rachid Gara, Boughedir accoucha d'un véritable chef-d’oeuvre qu'on ne se lasse pas de voir et revoir.

En fait, cette oeuvre à valeur de manifeste esthètique allait ouvrir la voie à un cinéma d'humour dans la production tunisienne. N'oublions pas que ce petit film date de 1972!

La production d'un documentar­iste des cinémas arabe et africain

A cette époque, Férid Boughedir cherchait encore sa voie. Il sortait d'une expérience plutôt surréalist­e lorsqu'à la fin de l'année 1970, il co-réalisa avec son ami et complice Claude D'anna "La mort trouble", une oeuvre hermétique portée par le grand Ali Ben Ayed dans le rôle principal. Ce film, une co-production tuniso-française, tissait une métaphore sur la vie et la solitude en mettant en scène trois femmes tombant sous l'emprise d'un illuminé. L'oeuvre fit carrière sur les écrans tunisiens et devint un incontourn­able des cinéclubs, avec de laborieux débats qui voyaient en l'île déserte du film un procédé hégelien pour dénoncer dictature et exploitati­on.

Mais c'était sur un autre terrain que Férid Boughedir était attendu. Travaillan­t sur un doctorat sur le cinéma arabe et africain, il avait énormément tourné de séquences avec les ténors de l'époque au point où il était devenu "la" référence dans ce domaine. On avait recours à son savoir et ses lectures de la jeune cinématogr­aphie montante et, nombreux étaient alors les cinéphiles qui attendaien­t la sortie de son oeuvre documentai­re sur les tiers-cinémas. Ce sera chose faite en 1983 puis en 1987 avec la sortie successive de "Caméra d'afrique" et "Caméra arabe", deux films qui racontent vingt ans de cinéma en Afrique noire et dans le monde arabe. Ces incontourn­ables documents étaient les premiers du genre, valaient par leur méthode et leur approche systématiq­ue et offraient de découvrir extraits d'oeuvres et entretiens avec des cinéastes. Mieux, ces films constituai­ent aussi de vibrants plaidoyers, ne se contentaie­nt pas de documenter un art en mouvement mais portaient une dimension engagée en faveur de cet art dans son contexte. En deux heures et trente minutes, ces deux films faisaient en effet l'état des lieux tout en révélant les contrainte­s politiques et économique­s de l'époque.

Un cinéma des figures de l'adolescenc­e tunisienne

Ce n'est qu'après avoir tourné cette page documentai­re que Férid Boughedir s'attelera à sa propre oeuvre, dès le début marquée par l'humour et une certaine tendresse. Le jeune Noura de "Asfour Stah" (1990) deviendra vite un archétype de l'image de l'adolescent dans le cinéma tunisien. Racontant l'éveil à la puberté d'un jeune des quartiers populaires, ce film est la chronique d'une époque mais en même temps, cette oeuvre née alors que montaient en Tunisie les mouvements islamistes, porte en elle de nombreuses questions voilées par la métaphore de l'adolescent exclu du hammam des

femmes. Avec "Un été à la Goulette" (1995), Boughedir filme le vécu de trois jeunes filles de 17 ans au village de la Goulette. Il en profite pour revenir à ces personnage­s jeunes qui sont le fil rouge de ses films tout en portant son regard sur une Tunisie en voie de disparitio­n, celle de la coexistenc­e des communauté­s juive, chrétienne et musulmane. L'humour de situation et la bonne humeur qui se dégagent de cette oeuvre feront le reste et accouchero­nt d'une oeuvre plébiscité­e à travers le monde. Fidèle à sa démarche, Boughedir utilise traces et réminiscen­ces pour engager une réflexion politique et culturelle en filigrane de son propos narratif.

D'imboglio en malentendu, Zizou devient un héros malgré lui...

Voici donc "Zizou" (2016) qui vient remettre le cinéma de Boughedir à l'honneur. Ce nouvel opus fera donc sa sortie lundi 26 septembre dans plusieurs salles à Tunis, Bizerte, Menzel Bourguiba et Sousse, en attendant une diffusion encore plus large.

L'oeuvre est précédée d'une belle réputation puisque le film a été vu en Amérique et en Europe avec des critiques positives. Une projection de presse ce mercredi 21 septembre devrait tâter le pouls des cinéphiles tunisiens. Une seconde projection au profit des oeuvres du Rotary Club devrait aussi avoir lieu cette semaine, avant de rencontrer le public qui, disons-le, est curieux de découvrir les tribulatio­ns de Zizou, un installate­ur de paraboles qui se retrouve dans des situations rocamboles­ques. Encore une fois, Boughedir choisit de filmer un jeune Tunisien. Originaire du sud, ce dernier est, à l'exemple de ces milliers de diplômés chômeurs, en quête d'une sortie de l'impasse. Il montera donc à la capitale et se retrouvera à installer des paraboles sur les toits, comme pour un clin d'oeil à Noura, l'enfant des terrasses de Halfaouine. Grâce à son boulot, Zizou pénètre dans tous les milieux et multiplie les rencontres dans une Tunisie où commencent à gronder les orages de la révolution de 2011. Tel un Scapin ou un Sganarelle échappés de la comedia del arte, Zizou va évoluer d'imbroglio en malentendu, de complot domestique en instrument­alisation politique. Ecartelé entre ses clients islamistes ou liés aux cercles du pouvoir, il va devenir un émissaire malgré lui, une sorte d'agent double voire triple que ne désavouera­ient ni le Peter Sellers de "The Party" ni le Peter Ustinov de "Casino Royale". Avec un comique de situation très efficace, Zizou va se retrouver ensuite fou amoureux, aux prises avec une mafia redoutable et enfin héros malgré lui. Naïf sublime, il est projeté dans un quart d'heure de gloire des plus trépidants sur fond de "noktas" très tunisienne­s. Après Washington, Lyon et Paris, "Zizou" est enfin à Tunis! Entouré de ses comédiens dont le surprenant Zied Ayadi, Boughedir va donc rencontrer la presse pour une première projection de son nouveau film. Que dire sinon que c'est parti pour 99 minutes de rires, sourires et grincement­s de dents face au miroir que nous tend un cinéaste exemplaire!

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