Le Temps (Tunisia)

Destin d’une femme et d’un pays encore debout!

- Faouzia DHIFALLAH

Lecture: «Femme tzigane, femmes de toutes les patries», de Rassoul Mohamed Rassoul

La première parution du roman Femme tzigane de l’écrivain et critique irakien Rassoul Mohamed Rassoul, est aux éditions Madâd, à Dubai, en avril 2018. Le roman se compose de vingt chapitres, répartis sur 140 pages qui soulèvent les questions de la patrie, de la famille, du corps et de la langue. Son héroïne, Asma Youssef, est un personnage fictif, née handicapée, ayant un bras amputé qui ne l’a pourtant pas empêchée de défier la douleur de l’amputation et d’inviter le lecteur à partager avec elle sa vie.

Expériment­er la danse ou la vie avec un seul bras !

Femme tzigane est un roman qui fait vibrer de douleur, un texte qui crée la joie et la satisfacti­on à partir de la douleur et du manque. Un roman qui appelle chaque ‘’femme tzigane’’ à danser, à habiter son corps et à écrire son impuissanc­e. ‘’Femme tzigane’’est bel et bien le nom qu’attribue l’écrivain au personnage féminin central qui joue un double rôle : cette femme est l’héroïne et la narratrice à la fois. Elle se raconte dans un récit où les histoires s’entremêlen­t, et où elle domine narrativem­ent toutes les autres voix parce qu’elle veut ‘’s’écrire’’. Par moments, elle se permet même de dialoguer avec l’écrivain.

Qui est le narrateur du récit ?

Le fait qu’asma Youssef soit la narratrice de sa propre histoire signifie qu’elle cherche à être simultaném­ent le sujet et l’objet de son récit. Et ce, pour raconter son existence et décrire son être. Aussi bizarre que cela puisse paraître, Asma Youssef manie l’‘’écriture dansante’’ d’un corps souffrant, accompagné­e d’une confession jouissive relative à son chagrin. En effet, elle chante au rythme d’une mélodie mélancoliq­ue, sa douleur, son exil et son drame corporel et mental, qui l’emportent en dehors des limites du récit. Ce roman maintient le lecteur en haleine pour qu’il ne soit pas ennuyé, car l’absence qui est un thème central du roman, façonne le présent du personnage et raconte au détail près le déroulemen­t du vécu, que ce soit sur un ton gai ou triste. Mais comment se fait-il qu’avec un seul bras, Asma puisse écrire la joie ? Le destin n’est-t-il pas intervenu pour que ce bras ne soit pas amputé afin de participer aux jeux et au dépassemen­t du malaise de la vie? Comment le corps reconnaît-il ses capacités ? Comment ce bras mutilé peut-il traduire des textes écrits dans différente­s langues ? Une main tremblante peut-elle taper sur un clavier pour écrire ? Toutefois sa rédaction marque à merveille les lecteurs et les journalist­es ? Là, la création naît de l’impuissanc­e, et le corps danse malgré le cumul des peines.

Le roman de l’absence: comment rendre compte de l’absence ?

Réellement, toutes les joies ne s’équivalent pas, mais la plus touchante est rendue par l’imaginatio­n fantaisist­e de Rassoul Mohamed Rassoul en puisant dans la mémoire de son personnage Asma Youssef. Cette dernière s’évertue à écrire son histoire à elle-même parfois en recourant au monologue dans lequel elle adresse la parole à plusieurs mères et à son père, médecin décédé à la frontière du Kuweit quand il était en train de soigner des soldats vaincus lors de la guerre du Golfe. Rassoul Mohamed Rassoul écrit et met en valeur l’histoire de Asma Youssef en se référant à sa mémoire douloureus­e, notamment à celle de l’immigratio­n. Dès le début du roman, l’écrivain cherche à mettre en exergue ‘’l’absence’’ comme sujet primordial du roman. Il se retir du schéma narratif pour faire parler Asma dans le but de divulguer le non-dit, de dévoiler le refoulé et de permettre à la langue de révéler les pulsions et la volonté contrariée. L’absence relative au corps, à la patrie et à la langue est ainsi traduite et le roman de célébrer l’absence, voire de se constituer en substitut de cette absence.

Femme tzigane, ou la volonté gratifiée

Asma Youssef a plusieurs mères. Sa mère biologique, Naima Chakroune, est décédée après lui avoir donné naissance. Plus tard, Tahera, sa seconde mère et nourricièr­e qui lui apprendra à marcher, mourra à son tour. La troisième mère Miry s’éteint après lui avoir inculqué la vie en communauté, et contribué à forger sa personnali­té socialemen­t et culturelle­ment pour lui éviter de ne pas se sentir comme une femme handicapée ravalée à un ’’second degré’’ parmi ses semblables. Depuis son enfance et en dépit des difficulté­s, Asma apprend à s’accomoder physiqueme­nt et mentalemen­t de son handicap. Il lui arrive d’entendre la voix de sa volonté lui dire : «Je vais défier mon impuissanc­e physique, je suis la fille des sacrifices, la fille des miracles, j’en suis capable malgré les obstacles ». Du coup, la jeune fille se dit : «Défie ton handicap aux toilettes !». Elle surmonte également l’épreuve de son viol commis pendant son voyage clandestin vers l’europe : elle tue son violeur de ses propres mains pour retrouver sa virginité. L’impuissanc­e de Asma n’est pas due héréditair­ement à la fragilité de sa mère comme le disent les médecins. Son infirmité renvoie à celle de l’irak, à l’histoire de son pays martyrisé. Le handicap de Asma est, en fait, le signe d’une paralysie générale qui, à un certain moment, atteint Al-bassora comme le symbole d’une gloire millénaire. D’ailleurs le registre de l’état civil de ce pays déborde de noms de personnes vivant avec un seul bras ou même défigurées physiqueme­nt et démolies psychiquem­ent. C’est pour cela que l’impuissanc­e de Asma ne peut pas être le seul sujet à déplorer en Irak, mais un indice sur la réalité de ce pays dénaturée par les guerres successive­s.

Un pays enfoncé dans l’absence, des génération­s sans patrie

Asma Youssef est une femme dont toutes les patries se sont déchirées, le pays de la naissance, celui de la résidence réelle, le pays de ‘’l’immigratio­n culturelle’’. Elle déclare l’écroulemen­t des patries depuis Al-bassora et Bagdad, jusqu’à Tanger au Maroc. Elle vit comme une immigrée, violée aux frontières de Tanger. Puis, de retour à Casablanca, elle fait la connaissan­ce d’une belle amie marocaine, ‘’Manel’’, qui lui trouve un travail en qualité de traductric­e dans le secteur privé. Elle passe sa vie dans plusieurs pays, effectue des allers-retours entre le réel et la mémoire, entre le souvenir de son viol et l’espoir de réaliser son rêve ailleurs. Un jour, après une interview télévisée avec le journalist­e français René, Paris peut probableme­nt lui sourire et lui offrir des opportunit­és inespérées telles que l’amour et la maternité. En définitive, ldans ses deux parties, le roman d’asma est écrit par une tzigane, par une voyageuse forcée, qui symbolise en fait la femme de tous les pays.

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