« Avec la courbe des taux, un vent de professionnalisme soufflera sur la place financière de Tunis »
C’est quoi une courbe des taux ?
La courbe des taux es tune représentat ion graphique des rendements offerts par les titres obligataires d’un même émetteur selon leurs échéances, de la plus courte à la plus longue. La courbe des taux la plus commune et qui sert de référence à l’ensemble du marché obligataire d’un pays donné, est celle des emprunts de l’Etat.
La forme que prend la courbe des taux des émissions souveraines renseigne sur les anticipations des investisseurs quant aux risques de défaut de l’Etat émetteur ainsi que sur le niveau de l’inflation et des taux d’intérêt futurs.
Les investisseurs exigent des taux plus élevés pour immobiliser leur argent sur une période plus longue. Ce phénomène s’accentue, s’ils s’attendent à une hausse des taux dans le futur qui aura pour effet de réduire la valeur de leur créance. Ceci explique que la courbe des taux est en général « pentue », c’est-à-dire ascendante en fonction des maturités. Cependant, en cas d’anticipation à la baisse des taux futurs, la courbe des taux peut s’inverser et produire des taux courts plus élevés que les taux longs.
Quel est l’état d’avancement dans la mise en place de cette courbe ?
Dans le cadre de la réforme du marché des capitaux, le Ministère des Finances (MdF) et la Banque européenne pour la reconstitution et le développement (BERD) ont lancé un projet de mise en place d’une courbe des taux des bons du Trésor au profit de la place financière tunisienne faisant intervenir 4 institutions : Le Ministère des Finances, la Banque Centrale de Tunisie, le Conseil du Marché Financier et Tunisie Clearing. Ce projet s’appuie sur l’assistance d’un cabinet étranger financée par la BERD.
Les travaux de l’implémentation de la courbe des taux ont débuté en anvier 2017 et ont abouti au 1er août 2017 à une publication d’une version d’essai, afin de familiariser les différents opérateurs à son existence et de recueillir leurs avis et commentaires en vue de son amélioration. Un processus qui devra mener à la publication de la version définitive au cours du mois de décembre 2017.
Quelle est sa valeur ajoutée pour la place de Tunis ?
La courbe des taux va souffler un vent de professionnalisme sur la place de Tunis. D’abord, la courbe des taux est surveillée de près par l’ensemble des agents économiques et donne une perspective qu’ont les marchés sur les évolutions court, moyen et long termes. Cela a un impact sur le financement de l’économie. Elle est donc un indicateur économique fondamental sur la direction des taux d’intérêt et sur la situation économique en général que chaque pays et agent doit surveiller pour orienter ses stratégies (pour les investisseurs) ou les politiques économiques (pour les policymakers). Par exemple, quand il y a une fluctuation des taux d’intérêt, les investisseurs institutionnels vont habituellement échanger une échéance pour une autre afin de dégager des plus-values, ou simplement, éviter des pertes.
Opérationnellement, la courbe des taux va servir de référence à tous les intervenants sur le marché financier tunisien pour la valorisation de leurs portefeuilles en produits de taux en général. L’enjeu de cette courbe s’est accru par la décision des autorités monétaires et financières à imposer la valorisation « mark to market » (MtM) sur les portefeuilles de transaction des
banques et les avoirs des OPCVM en Bons du Trésor à partir de janvier 2018, sachant que cette valorisation se fait actuellement au « coût historique ».
C omme rép ercus sions, nous estimons que ce passage devra avoir un impact sur le fonctionnement du marché des Bons du Trésor aussi bien dans son compartiment primaire que secondaire. Pour le premier, cela permettrait dans l’immédiat d’éviter la surenchère lors des adjudications des Bons du Trésor. En effet, toute hausse arbitraire des taux basée uniquement sur les anticipations des soumissionnaires sur les besoins de l’Etat en trésorerie, se répercuterait par des moins-values sur les titres en stock de trading des détenteurs. Un phénomène qui ne devait pas avoir lieu avec la pratique actuelle de la valorisation au coût amorti. Ce constat devrait se ressentir jusqu’à l’atteinte d’une réelle dynamique sur le marché secondaire. En effet, les Spécialistes en Valeurs du Trésor (SVT) seront poussés vers ce marché afin de se prémunir contre le risque de taux et d’assumer ainsi leur statut et le rôle qui leur est dédié, à savoir l’acheminement du Bon du Trésor vers l’investisseur final et par conséquent, la dynamisation du marché secondaire et l’accroissement de sa liquidité.
Y a-t-il un véritable risque pour les détenteurs du titre du Trésor avec le passage à une valorisation « Mark to market » ?
Pour répondre à cette question, il convient d’analyser à part la situation de chaque catégorie de détenteur:
Pour les OPCVM, ce passage ne peut qu’être bénéfique, car il va engendrer un assainissement du marché.
En effet, les OPCVM sont aujourd’hui en risque en cas de hausse des taux des Bons du Trésor. Dans une telle situation de forte baisse des prix, les clients auraient théoriquement intérêt à racheter leurs parts d’OPCVM et à les réinvestir dans de nouveaux titres au coupon plus élevé.
Par ailleurs, la crainte manifestée des OPCVM de voir les dépôts s’attirer vers les banques à cause du risque, de plus en plus concret, lié aux OPCVM obligataires, n’a pas raison d’être. En effet, même si une prise de conscience sur les risques pris par les clients d’OPCVM est utile, nous ne pensons pas qu’il y aura un mouvement massif entre banques et OPCVM pour plusieurs raisons : d’abord, ce sont les banques qui sont les promoteurs des OPCVM touchant des commissions importantes via ce secteur. Ensuite, nous estimons que les banques tunisiennes ne sont pas disposées à payer le taux long sur des emprunts à durée indéterminée comme le font les OPCVM.
L’a ppa rit ion d’une p lus for te transparence sur les risques des produits de taux devra plutôt re-segmenter la clientèle d’OPCVM entre les sicav monétaires peu volatiles et les sicav obligataires plus risquées, mais plus performantes. Ceci pourrait se transformer en une opportunité pour les OPCVM de mieux cibler les clients et d’attirer des fonds.
Dans l’avenir, la courbe va favoriser la liquidité ; ainsi, les gestionnaires d’OPCVM vont se concentrer beaucoup plus sur les mouvements de taux et ils auront plus d’opportunités et de valeur ajoutée dans leur travail en essayant, notamment, de faire plus tourner leurs titres et grignoter des points. Ceci sera bénéfique aussi bien au marché et qu’aux investisseurs.
En termes de revenus pour l’activité, nous pensons que la hausse des volumes et l’attrait sur les titres feront plus que compenser les possibles réa l l o c a t i o n s ver s l e s O PC VM monétaires, aux frais de gestion plus faibles.
Notons que la décision de ne pas revaloriser au prix du marché le stock existant à fin 2017 permet d’éviter aux OPCVM le problème d’une variation de valeur le 1er janvier 2018 et les dégâts éventuels afférents. Cela doit aussi stabiliser fortement les valeurs liquidatives, le temps que les actifs tournent ou expirent. Le changement sera donc souple et progressif.
Pour les banques, le changement n’est pas une nouveauté. Certaines banques suivent déjà leurs portefeuilles de transaction en MtM, même s’il s’agit d’une valorisation hors comptabilité.
Elles ont d’ailleurs la possibilité de transférer leurs titres en portefeuille d’investissement avant le passage officiel. Il n’y a donc pas de contrainte forte pour elles et ça sera leur choix de conserver des Bons en portefeuille de transaction et de subir une variation de valeur au 1er janvier.
Le passage en MtM va plutôt leur permettre de développer leurs activités de market-makers et du coup, booster leurs revenus de trading. De toutes façons, le portefeuille de trading n’a pas vocation à être porté ; il est appelé à tourner et si une valorisation le défavorise à un moment, l’effet temps et la patience ramèneront les valorisations au pair à l’échéance.
Le portefeuille d’investissement dans lequel les banques mettent la plupart de leurs titres ayant vocation à être conservés ne sera pas impacté par la nouvelle méthode de valorisation.
Pour les clients détenteurs finaux de titres, la situation est presque la même. En améliorant la liquidité, la valorisation au prix du marché va les mettre dans une meilleure situation : soit ils gardent leurs titres jusqu’à l’échéance comme ils le font maintenant en ne s’occupant guère de la valeur de marché, soit ils auront la possibilité de les vendre plus facilement du fait de la meilleure liquidité.
En résumé, tout changement suscite des craintes. Mais le professionnalisme des acteurs de la place et le dispositif réglementaire instauré par les autorités sont très rassurants pour le démarrage de ce projet. Et nous ne voyons aucune raison pour que le marché tunisien ne rejoigne pas le club des économies émergentes dotées d’un marché obligataire dynamique et profond