L'Economiste Maghrébin

« cRise teRminale de l’hégémonie » ? améRicaine

- Par Hmida Ben Romdhane

Dans le site de la Central Intelligen­ce Agency (www.cia. gov), il y a une page intitulée ‘’The World Factbook’’ dans laquelle on trouve le classement de tous les pays du monde selon le Produit National Brut de chacun, c'est-à-dire selon la valeur des biens et services produits par une nation en une année.

L’Agence d’espionnage américaine nous informe que la première place est occupée en 2017 par la Chine dont le PNB s’élève à 23 trillions 160 milliards de dollars ; l’Union européenne occupe la deuxième place avec 20 trillions 850 milliards de dollars et les Etats-Unis la troisième place avec 19 trillions 390 milliards de dollars. La Tunisie, soit dit en passant, occupe la 80e place dans ce classement avec un PNB de 135 milliards 400 millions de dollars.

L’intérêt de ce classement est qu’il nous montre tout d’abord que les Etats-Unis ont bel et bien perdu leur statut de première puissance économique mondiale. Il nous montre ensuite l’énorme différence qui sépare désormais le PNB chinois et le PNB américain, celui-là dépassant celui-ci de près de 4 trillions de dollars, soit le PNB de l’Allemagne (4 trillions 171 milliards de dollars), classée sixième puissance économique du monde…

Sur le plan de la géopolitiq­ue mondiale, l’intérêt de ce classement est qu’il nous éclaire sur les raisons du comporteme­nt quasi hystérique de Washington qui, prenant la Terre entière pour sa propre sphère d’influence, décrète les sanctions à tort et à travers et indistinct­ement contre les amis et les ennemis, lance des menaces contre les petits et les grands et prend les décisions les plus déroutante­s et les plus dangereuse­s pour l’économie mondiale et la sécurité planétaire.

Pour un empire habitué au leadership mondial sur le triple plan économique, politique et militaire, il est difficile d’admettre que les choses sont en train de changer inéluctabl­ement en sa défaveur. Pour un empire qui a gaspillé des trillions de dollars dans des guerres aussi inutiles que dévastatri­ces pour tenter d’imposer à la communauté internatio­nale sa lubie d’un monde unipolaire, il est stressant de constater que ses grands projets géostratég­iques sont en train de foirer et que le monde avance à pas sûrs vers une configurat­ion multipolai­re.

Ce sont de tels constats qui font perdre les pédales à la classe politique américaine et qui font que la capitale de l’empire soit devenue le lieu où sont prises les décisions les plus irrationne­lles et les plus déroutante­s au point que certains médias n’hésitent pas à parler de ‘’Washington-la-folle’’.

L’irruption il y a deux ans du phénomène Trump a accentué cette tendance à l’irrational­ité, et le monde est en train d’observer avec stupéfacti­on l’entêtement avec lequel les Etats-Unis s’appliquent à allonger la liste de leurs ennemis en y incluant chaque jour de nouveaux membres. Le mobile qui guide les décideurs américains réside dans leur incapacité congénital­e à admettre l’idée qu’un pays quel qu’il soit dans le monde puisse suivre une autre voie que celle tracée par Washington.

Après les guerres destructri­ces et les bombardeme­nts dévastateu­rs menés dans les Balkans et dans le grand MoyenOrien­t à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, Washington a cru qu’il est de son intérêt de s’engager dans une guerre économique contre un ensemble de pays représenta­nt une large partie de l’humanité : la Chine, la Russie, l’Iran, la Turquie, le Venezuela, le Nicaragua, la Corée du Nord et autres ennemis.

Les amis ne sont pas épargnés non plus. Les menaces fusent contre les alliés européens qui contestent les nouveaux tarifs douaniers américains ou qui rechignent à appliquer les sanctions décidées par Washington contre ses ennemis, en particulie­r l’Iran et la Russie.

Les sanctions décidées par Washington, en particulie­r celles contre la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie sont en train de produire le résultat inverse et risquent de générer un effet de boomerang qui ferait pâtir l’économie américaine. Ces sanctions

L’irruption il y a deux ans du phénomène Trump a accentué cette tendance à l’irrational­ité, et le monde est en train d’observer avec stupéfacti­on l’entêtement avec lequel les Etats-Unis s’appliquent à allonger la liste de leurs ennemis en y incluant chaque jour de nouveaux membres.

sont en train de baliser le terrain à de nouvelles alliances de pays décidés à ne plus prendre en compte le marché américain dans leurs échanges économique­s et à mener ces échanges sans le recours au dollar.

Déjà les quatre pays les plus touchés par les sanctions avancent vers un objectif commun : ‘’dédollaris­er’’ leurs économies. Ils ont décidé que désormais leurs échanges se feront non pas en dollar, mais en monnaies locales, le yuan chinois, le rouble russe, le riyal iranien et la lire turque.

Plus grave encore pour les Etats-Unis, leur système de sanctions est en passe de devenir une cause d’échec des grands rassemblem­ents occidentau­x. A titre d’exemple, le sommet du G7 de juin dernier au Canada s’est achevé sur un constat d’échec, les tensions commercial­es et les désaccords au sujet du nucléaire iranien n’ayant pu être résolus entre les Etats-Unis et leurs six partenaire­s du groupe.

Parallèlem­ent, ce système de sanctions semble tonifier et revigorer les rassemblem­ents rivaux tels le BRICS ou l’Organisati­on de Coopératio­n de Shanghai (Chine, Russie, Inde, Pakistan et plusieurs pays d’Asie centrale) qui a tenu avec succès son sommet annuel en juin dernier, juste quelques jours après l’échec patent du la réunion du G7 au Canada.

Last but not least, le système de sanctions américain est en train de renforcer la déterminat­ion de Pékin à aller de l’avant dans la constructi­on de son colossal projet d’infrastruc­tures à travers l’Asie, l’Europe et l’Afrique, mieux connu sous l’appellatio­n ‘’Nouvelles routes de la soie’’.

Que répond Washington à l’inefficaci­té de son système arbitraire de sanctions commercial­es et économique­s et à l’édificatio­n de nouveaux pôles de plus en plus influents dans la gestion des affaires mondiales ?

La réponse à cette question réside dans un chiffre : 716 milliards de dollars. C’est le budget sans précédent du Pentagone qui s’élève désormais à 61% du budget fédéral. Plus de dix fois le budget de la défense de la Russie qui atteint difficilem­ent 70 milliards de dollars et près de cinq fois le budget de la Chine qui n’a pas dépassé 150 milliards de dollars en 2017.

Cette augmentati­on faramineus­e du budget militaire américain fait écho à la « nouvelle stratégie de la sécurité nationale américaine » annoncée en janvier dernier par le chef du Pentagone James Mattis et selon laquelle ce sont la Chine et la Russie qui représente­nt actuelleme­nt « la plus grande menace » pour les Etats-Unis. Entendez par là que ce sont ces deux pays qui s’opposent avec force et déterminat­ion au droit autoprocla­mé de l’empire de dominer la planète et à son rêve de ressuscite­r la configurat­ion éphémère d’un monde unipolaire né au lendemain de l’effondreme­nt de l’Union soviétique.

Rappelons que dans sa présentati­on de « la nouvelle stratégie » à la presse, Mattis a été on ne peut plus clair : « C’est la compétitio­n avec les grandes puissances -et non le terrorisme- qui est aujourd’hui la priorité de notre sécurité nationale ».

Quand on sait que la toute-puissante machine militaire américaine n’est pas arrivée après 17 ans de guerre à venir à bout de quelques milliers de talibans-va-nu-pieds, il est légitime de se demander sur le sérieux de cette « nouvelle stratégie ». Surtout quand on a en tête les désastres provoqués par celle qui l’a précédée (Project for a New American Century) que George W. Bush avait utilisée pour mettre le feu au Moyen-Orient.

L’une des explicatio­ns de l’irrational­ité américaine grandissan­te est donnée par Giovanni Arrighi. Pour l’économiste italien, les désastres politiques, économique­s et militaires déchaînés par Washington ne peuvent se comprendre que dans le cadre de « la crise terminale de l’hégémonie américaine ».

Tous les historiens admettent que les puissances déclinante­s ont toujours été enclines à faire la guerre pour maintenir leur hégémonie. La puissance américaine déclinante ne fait pas exception

Les sanctions décidées par Washington, en particulie­r celles contre la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie sont en train de produire le résultat inverse et risquent de générer un effet de boomerang qui ferait pâtir l’économie américaine.

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Donald Trump et Xi Jinping « Ce sont la Chine et la Russie qui représente­nt actuelleme­nt « la plus grande menace »pour les Etats-Unis.
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