RENTRÉE POLITIQUE Macron, la positive incertitude
Les yeux rivés sur 2022, l’exécutif et le gouvernement abordent la reprise en équilibre précaire, misant gros sur les indicateurs économiques encourageants mais redoutant la rechute épidémique.
Dernière rentrée des classes du quinquennat pour Emmanuel Macron. Ce mercredi, le chef de l’Etat préside un Conseil des ministres précédé d’un énième Conseil de défense sanitaire (lire ci-contre). Vent dans le dos sur l’économie, vent de face sur l’épidémie. Une difficile remise en route à huit mois de la présidentielle.
L’économie reprend du poil de la bête
On avait aperçu Bruno Le Maire la semaine dernière sur Instagram en short et tee-shirt, le teint hâlé et l’air volontaire, avant un dernier jogging au Pays basque. On retrouvera le ministre de l’Economie et des Finances ce mercredi à l’hippodrome de Longchamp pour la Rencontre des entrepreneurs de France (REF) du Medef, en costard-cravate et toujours à fond la forme. Comme il l’a fait tout l’été en pointillé, le patron de Bercy devrait marteler que la maison France, plombée par dix-huit mois de Covid, n’a pas raté son rendez-vous avec la «reprise». «L’économie tourne à 99 % de ses capacités par rapport à 2019», claironnait-il déjà jeudi dans SudOuest.
Et c’est d’abord «grâce aux Français qui consomment», a-t-il tenu à souligner lundi sur France 2 : «On a eu les premiers chiffres de consommation des quinze premiers jours d’août: + 15 %. Y compris dans les restaurants, les factures de carte bleue ont augmenté de 5% dans la semaine du 9 au 15 août.» Sous-entendu : alors qu’une minorité d’anti-pass sanitaire continuent à manifester tous les samedis, les Français ont majoritairement adopté le précieux sésame à QR code, désormais obligatoire dans les bars et restos, et reconsomment comme avant. De fait, l’inflation est restée très contenue (+ 1,2 % en juillet), malgré les hausses des tarifs de l’énergie et des prix de l’alimentation. Mais cet optimisme devra toutefois être confirmé par les prochains chiffres de l’Insee qui notait, fin juillet, que la consommation était restée au deuxième trimestre «nettement en deçà de son niveau d’avant-crise».
Autre nouvelle encourageante mise en avant par Le Maire : le chômage est en baisse, avec 8 % de demandeurs d’emploi au deuxième trimestre selon le dernier décompte de l’Insee (lire encadré page 4) : «On a retrouvé le niveau de chômage d’avant-crise, ce qui est déjà un ex
ploit», souligne le ministre de l’Economie, remerciant au passage les entrep rises d’avoir «embauché massivement» après avoir recouru largement au chômage partiel. Résultat, malgré certaines ombres persistantes – comme la pénurie de composants électroniques venus d’Asie qui affecte l’industrie automobile–, le gouvernement a déjà relevé sa prévision de croissance avec un PIB attendu à + 6 % pour 2021, contre + 5 % initialement. Ce qui fait dire à Le Maire dans Sud-Ouest que «sauf accident sanitaire, nous pourrions retrouver plus vite que prévu notre niveau d’activité d’avant-crise, fin 2021 et non pas début 2022». Pour le ministre, cette reprise avant l’heure est bien sûr à mettre au compte de l’action du gouvernement, qui a mis le turbo sur la vaccination et instauré le pass sanitaire. Tout en gardant
grand ouvert le robinet des aides aux entreprises : depuis le début de la crise, plus de 80 milliards d’euros ont été engagés par la puissance publique pour financer chômage partiel, exonérations de cotisations sociales, et autres fonds ciblés. Chiffre auquel il faut rajouter les 140 milliards de prêts bancaires garantis par l’Etat. Ce «quoi qu’il en coûte» a forcément accru la dette publique : 118,2 % selon l’Insee à la fin du premier trimestre 2021. Quant au déficit public, il devrait tutoyer les 9% du PIB. Celui du seul Etat (hors Sécu et collectivités locales) pourrait dépasser les 220 milliards d’euros fin 2021, contre 173 milliards prévus dans la loi de finances initiale.
Déjà annoncée par le gouvernement, la fin des aides exceptionnelles aux entreprises se profile donc pour la rentrée : une réunion est prévue lundi à Bercy avec les représentants du patronat pour passer en revue les rares secteurs, comme l’événementiel, qui continueront à bénéficier d’une perfusion publique. Mais qui paiera, au bout du compte, la facture du Covid ? Toute hausse de fiscalité a déjà été exclue par l’exécutif qui mise sur un retour d’ascenseur des patrons pour doper le pouvoir d’achat de leurs salariés : «J’attends des chefs d’entreprise qu’ils embauchent, qu’ils embauchent…» a martelé Le Maire, qui semble s’être timidement converti à un néo-keynésianisme de circonstance: «Il y a un deuxième sujet, c’est la meilleure rémunération de ceux qui ont les rémunérations les plus faibles, a-t-il dit lundi à Bayonne. Ça peut passer par les salaires, par les primes, l’intéressement, la participation, l’actionnariat salarié…» Les yeux rivés sur 2022, l’exécutif mise sur le succès de sa campagne de vaccination pour contrecarrer une nouvelle vague épidémique qui pourrait doucher ses espoirs de sortie de crise.
La situation sanitaire inquiète
Au premier regard, la situation sanitaire pourrait prêter à l’optimisme. L’incidence est en baisse depuis six jours. De 247 cas de Covid en sept jours pour 100000 habitants au 12 août, elle est passée à 220 le 20. La baisse est réelle, mais les chiffres restent bien au-dessus du seuil d’alerte fixé à 50. Si tout va bien, la dynamique hospitalière devrait suivre la même tendance, avec un décalage d’une dizaine de jours. «Ce que nous dit l’Institut Pasteur, [c’est que] nous pourrions avoir atteint le pic de réanimation dans quelques jours et ensuite on pourrait avoir une stabilisation des entrées et des sorties en réanimation ; c’est-àdire qu’on évite la saturation des hôpitaux et ensuite on pourrait espérer une baisse», expliquait lundi le ministre de la Santé, Olivier Véran. La quatrième vague serait donc presque terminée ? Pas sûr…
Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur et membre du Conseil scientifique, qualifiait la situation, mardi matin sur France Inter, d’«équilibre à surveiller». Un «équilibre» précaire : 2 215 patients sont actuellement en réanimation, avec une grande disparité sur le territoire. Des patients sont transférés depuis les Bouches-du-Rhône vers l’Alsace en raison de la saturation des hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille. Les établissements marseillais accueillent 67 patients en réanimation à cause du Covid. Il sera difficile, selon l’AP-HM, de pousser les murs en raison des congés des soignants et des difficultés à recruter notamment des infirmiers. Les urgences sont en «réelle situation de crise», avec des pics d’activité record de près de 600 patients sur vingt-quatre heures, alerte l’institution.
Au moins trois éléments vont venir perturber – et potentiellement aggraver – «l’équilibre» actuel. Tout d’abord, les retours de congés ont entraîné un flux de population depuis les départements où le virus circule le plus (le sud de la France) vers ceux où il circule le moins. Ensuite, cette fin de vacances s’accompagne du passage à l’automne, saison propice aux contaminations en intérieur. Enfin, la rentrée scolaire et professionnelle va modifier les contacts sociaux. «Il faut être extrêmement vigilant», reconnaissait d’ailleurs Véran lundi. Les enfants de moins de 12 ans ne pouvant pas se faire vacciner avant 2022, le virus va circuler en milieu scolaire. «L’école est la situation la plus complexe qui nous attend cet automne, alerte Fontanet. Selon les modélisations de l’Institut Pasteur, la moitié des nouvelles infections auront lieu chez les enfants puisqu’ils sont non vaccinés.»
Si les plus jeunes sont toujours moins à risque de formes graves, environ un enfant sur 1 000 doit passer par la case hospitalisation
Au moins trois éléments vont venir perturber «l’équilibre» actuel : les retours de congé, le passage à l’automne et la rentrée scolaire.
lors de l’infection, selon l’épidémiologiste. De plus, Santé publique France estime que sur 1 million de mineurs positifs au coronavirus, 38 présenteront des «syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques» quatre à cinq semaines après leur infection. Cette réaction inflammatoire aiguë nécessite une hospitalisation, parfois en réanimation, et peut être fatale. Par ailleurs, avec un variant delta hypercontagieux, l’infection entre enfants pourra toucher les adultes non vaccinés. A date, 11 % des plus de 50 ans n’ont toujours pas reçu de dose du vaccin. Et si l’exécutif vise toujours les 50 millions de primo-vaccinés fin août, les disparités régionales restent très fortes. Ainsi, à Marseille, Jean-Luc Jouve, président de la commission médicale de l’AP-HM «a des inquiétudes très fortes». Il mentionne notamment la surreprésentation en réanimation des habitants des quartiers les plus défavorisés. Ce qui s’explique par «une couverture vaccinale assez misérable, proche de 30%», dont la responsabilité est en partie portée par les vidéos sceptiques de Didier Raoult et d’autres membres de son institut sur la vaccination.
Outre-mer, où le taux de vaccination est lui aussi très bas, la situation est parfois dramatique. La Polynésie française déplore 54 morts en trois jours et plus de 150 en trois semaines (pour 280 000 habitants). La Direction générale de la santé considère que l’incidence, qui a dépassé les 2 800 cas pour 100 000 habitants, n’est plus calculable. En Guadeloupe, l’incidence est repassée sous les 2 000 et seulement 20 % de la population est vaccinée. La vaccination illustre à elle seule les difficultés d’approche de la situation actuelle pour un exécutif, tiraillé entre bons signaux et données moins réjouissantes. Les Français sont de plus en plus protégés contre les formes graves mais plusieurs données pointent vers une baisse de l’efficacité de la protection des vaccins contre les infections plus bénignes dès les premiers mois après les injections, ce qui remettrait en cause la possibilité d’arrêter la pandémie grâce à l’immunité collective seule.
Alors qu’aux Etats-Unis, le gouvernement envisage de généraliser la troisième dose, en France, la Haute Autorité de santé (HAS) préconise seulement une piqûre de rappel chez les personnes de 65 ans et plus (lire page 11). Et tout ceci pourrait être encore chamboulé si un nouveau variant venait à émerger. A l’avenir, selon Arnaud Fontanet, on se dirige vers «une succession d’épisodes» de Covid pendant lesquels il faudra «jouer un peu plus sur les mesures de contrôle». Le Sars-CoV-2 aura donc son mot à dire pendant la présidentielle. •