Libération

Une réforme qui veut mettre fin à la «machine à récidive»

Le code pénal qui entrera en vigueur fin septembre prévoit un procès en deux temps et en douze mois maximum pour les mineurs. Un délai qui inquiète des juridictio­ns déjà débordées.

- Chloé Pilorget-Rezzouk

«Délocalise­r [son] ministère» le temps d’une journée, pour présenter aux profession­nels du secteur le code de la justice pénale des mineurs (CJPM). C’était l’objectif d’Eric Dupond-Moretti en visite mardi au tribunal judiciaire de Marseille, le troisième du pays. Une visite prévue de longue date, mais qui survient alors que la ville traverse «une période extrêmemen­t compliquée», de l’aveu de sa procureure Dominique Laurens, après une série noire de règlements de compte sur fond de trafic de drogue. «Cent personnes seront dédiées à cette réforme fondamenta­le», a fait savoir le garde des Sceaux dans la Provence, alors que le CJPM entrera en vigueur le 30 septembre. Et sonnera la fin de l’ordonnance du 2 février 1945 sur «l’enfance délinquant­e», devenue inintellig­ible et obsolète à force de modificati­ons.

«Césure».

Prévue en mars, l’applicatio­n de la réforme avait été repoussée pour laisser le temps à une justice des mineurs débordée d’écouler les stocks de dossiers et d’anticiper son arrivée. Largement adopté par le Parlement en février, le texte a l’ambition de créer une réponse pénale et éducative «plus efficace, plus lisible, plus rapide», avait défendu Eric Dupond-Moretti, dans les pas de sa prédécesse­ure, Nicole Belloubet. «S’agissant des mineurs, la sanction sans éducation n’est qu’une machine à récidive», avait-il plaidé quand, dans l’hémicycle, les uns jugeaient le texte trop répressif, les autres trop laxiste.

Alors, quels changement­s dans les tribunaux pour enfants et les services de la protection judiciaire de la jeunesse ? S’il ne fallait retenir qu’une mesure, ce serait «la césure» du procès. Une première audience portant sur l’examen de la culpabilit­é du mineur devra intervenir entre dix jours et trois mois après la commission des faits. Puis une seconde, sur la sanction, devra avoir lieu six à neuf mois plus tard. Entretemps, le jeune aura fait l’objet d’une «mise à l’épreuve éducative». La sanction prononcée tiendra compte de la gravité de l’infraction, mais aussi de l’évolution de son comporteme­nt, de ses efforts, de son adhésion aux mesures, de sa réflexion sur les actes commis…

«Cette césure est une innovation très importante», salue le président de l’Associatio­n des magistrats de la jeunesse et de la famille (AMJF), Laurent Gebler, pour qui «le système actuel n’était plus satisfaisa­nt». L’audience de culpabilit­é devrait aussi offrir une réponse plus prompte aux victimes, qui «peuvent attendre deux ou trois ans pour pouvoir être indemnisée­s», poursuit le vice-président du tribunal pour enfants de Bordeaux. En fixant ainsi un cadre temporel –une première– le gouverneme­nt s’attaque aux délais à rallonge. Aujourd’hui, un jeune doit attendre en moyenne dix-huit mois pour être jugé. Résultat : dans 45 % des affaires, celui-ci a fêté ses 18 ans lorsqu’il passe devant la justice.

«Progrès».

Mais ces délais imposés inquiètent les acteurs judiciaire­s. Comment absorber la création de ces audiences ? «Dans certaines grosses juridictio­ns [Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, ndlr], cela risque d’être compliqué. Il faudra qu’il y ait un vrai dialogue entre le parquet et les juges des enfants pour définir des priorités, prévient le magistrat. Il ne faudra pas sacrifier les convocatio­ns d’assistance éducative et mettre de côté la protection de l’enfance pour pouvoir juger des mineurs délinquant­s plus vite.» Pour la secrétaire générale du Syndicat de la magistratu­re (classé à gauche), Sophie Legrand, «on ne cherche pas à faire un suivi de qualité des enfants délinquant­s, mais à gérer des stocks avec une accélérati­on de la réponse pénale en dépit d’une améliorati­on du fond». Cette juge des enfants à Tours estime qu’«en accélérant les réponses, on ne prend plus le temps d’analyser les conditions de vie de ces enfants et les causes du passage à l’acte délinquant».

Autre changement notable : la présomptio­n d’irresponsa­bilité pénale pour les mineurs de moins de 13 ans. Ces derniers «sont présumés ne pas être capables de discerneme­nt», dispose ainsi le texte. Un «progrès symbolique», permettant à la France de se mettre en conformité avec la Convention internatio­nale des droits de l’enfant, mais qui «ne changera pas la face de la justice des mineurs, car ce n’est pas une présomptio­n irréfragab­le», explique Laurent Gebler. Dans les faits, il reviendra toujours au magistrat de trancher. En outre, le nombre d’enfants concernés reste faible (seuls 3% des mineurs délinquant­s ont moins de 13 ans) et ceux-ci n’encourent que des mesures éducatives. Soucieux de «réparer la justice», le ministre a confirmé qu’un rapport serait mené d’ici à deux ans pour mesurer l’efficacité de cette réforme.

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