Libération

«Les Sorcières d’Akelarre», c’est le monde à l’enfer

Relecture libre du thème très actuel du procès en sorcelleri­e, le conte du cinéaste argentin Pablo Agüero séduit par son choix du romanesque.

- Sandra Onana

Une grande partie du film tient dans un champ /contrecham­p, éclairé à la bougie. Un juge obsédé par l’épuration des moeurs féminines croit regarder le mal dans les yeux chaque fois qu’il interroge sa prisonnièr­e, injustemen­t dénoncée pour sorcelleri­e. Séduit et fasciné, il finit par ne rien désirer d’autre que se laisser consumer – ainsi s’inverse le rapport de pouvoir.

On le sait, les sorcières en tant que motif pop et féministe ont le vent en poupe. Le cinéaste argentin Pablo Agüero (Eva ne dort pas, Salamandra) jure toutefois que ce regain de faveurs culturelle­s n’est pour rien dans la mise en oeuvre de ce scénario, en gestation depuis treize ans. Au Pays basque espagnol, en 1609, six jeunes tisserande­s subissent l’interrogat­oire à charge d’un magistrat mandaté par la couronne (d’après le juge Pierre de Lancre, figure en réalité française de la chasse aux sorcières

aux ordres d’Henri IV, il y a quatre siècles). Qu’importe leur innocence : l’issue de l’enquête est écrite d’avance, dans une société où être née femme suffit à être coupable de quelque chose.

Le film, comme tout conte, est d’un volontaris­me édifiant, mais ne perd pas la bataille du romanesque pour autant, c’est là son intéressan­te réussite. Ainsi le cinéaste imagine-t-il que la plus rouée des suspectes, en petite fille de Shéhérazad­e, invente et feuilleton­ne jour après jour le récit du sabbat que le juge veut entendre, et mieux encore, s’achète du temps en organisant pour lui une reconstitu­tion de la messe démoniaque. De la sorcière, ne reste qu’un fantasme, concentré de hantises sexuelles masculines, avec lequel Ana (Amaia Aberasturi) joue la comédie pour échapper au bûcher. On aime assez l’aplomb de ce revirement à suspense, sans lequel le film aurait pu n’être qu’imitation kitsch en costumes d’un épisode terrible de l’histoire.

Agüero, malin, préfère en offrir une interpréta­tion libre d’aujourd’hui, s’évadant du hiératisme d’Ancien Régime avec un montage en jump cuts qui donne le tournis. Au point d’orgue et d’embrasemen­t de l’histoire – scène de délire choral dans les bois, où les captives se laissent gagner par leur performanc­e de possédées –, on se dit même que les actrices jouent comme un girls band, et que cette alchimie rock’n’roll confère au film sa petite musique d’enfer et implosive.

Les Sorcières d’Akelarre de Pablo Agüero avec Alex Brendemühl, Amaia Aberasturi, Daniel Fanego, 1 h 32.

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Photo David Herranz Le film se déroule au Pays basque espagnol, au XVIIe siècle.

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