Libération

Howard Hugues par Clifford Irving : ermite et légendes

Les journalist­es bonimenteu­rs (4/6) Retour sur des affaires de reporters de presse en bisbille avec le réel. Aujourd’hui, celui qui a voulu arnaquer le célèbre aviateur.

- Demain Tommasso Debenedett­i Quentin Girard

Il est probableme­nt l’un des Américains les plus fascinants du XXe siècle. Le milliardai­re Howard Hughes, aviateur émérite battant plusieurs records du monde (incarné par Di Caprio dans Aviator), producteur de films (les Anges de l’Enfer, Scarface), aimant toucher à tout et aimant à femmes, il a marqué de son empreinte les Etats-Unis. Ce play-boy aux comporteme­nts excentriqu­es était allé jusqu’à modifier la date de son anniversai­re, pour naître un 24 décembre. Il passa aussi les dernières années de sa vie cloîtré dans des villas ou des hôtels, par peur des maladies et de la mafia, par folie surtout, refusant de rencontrer quiconque, renforçant une légende déjà établie.

Alors, quand le journalist­e d’investigat­ion Clifford Irving contacta McGraw-Hill en 1970, pour dire qu’il avait eu des entretiens exclusifs avec le milliardai­re afin d’écrire son autobiogra­phie, la maison d’édition crut flairer le bon coup. L’ermite richissime qui témoigne enfin: en voilà une bonne histoire. Irving négocia une grosse somme pour lui et l’aviateur, plus de 750000 dollars. Sauf que l’argent alla dans la poche de l’auteur. Le filou, dès le départ, avait prévu de tout garder pour lui et de falsifier des documents pour imiter la signature de Hughes. Il était persuadé que le milliardai­re, qui n’avait pas parlé à la presse depuis 1958, ne sortirait jamais de son silence pour dénoncer la fraude. Sans doute avait-il été inspiré par le succès d’un de ses premiers ouvrages, Fake ! sur la vie du peintre faussaire Elmyr de Hory (qui fut adapté au cinéma par Orson Welles, autre expert en falsificat­ion). La biographie parut et fut considérée comme bonne et crédible. Le crime était presque parfait. C’était sans compter sur l’aviateur. Pour la dernière fois de sa vie, il organisa une conférence téléphoniq­ue pour révéler la supercheri­e, annoncer qu’il n’avait jamais accordé d’entretiens et porter plainte.

Irving plaida coupable, remboursa l’avance perçue et fut condamné à 17 mois de prison. Evidemment, comme toujours aux Etats-Unis, il publia ensuite un livre sur cette histoire, The Hoax (en 1981), qui fut adapté au cinéma en 2006 avec Richard Gere pour jouer son personnage (ce qui est quand même chic). Mais le long métrage déplut au journalist­e qui dénonça le «hoax d’un hoax». On n’en sort plus.

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