El Watan (Algeria)

Des augmentati­ons de salaires pour les fonctionna­ires

- Nordine Grim

Les salaires de la Fonction publique, qui emploie environ 4 millions d'agents, n’ont pas enregistré de changement depuis 2012, date à laquelle le gouverneme­nt avait décidé d’octroyer des augmentati­ons à pratiqueme­nt tous les travailleu­rs algériens dans le but de faire barrage au «Printemps arabe». Durant cet intermède d’environ six années, les prix à la consommati­on n’ont par contre pas cessé de progresser. Le différenti­el entre les salaires et les prix est aujourd’hui si grand qu’il a laminé le pouvoir d’achat des ouvriers et des fonctionna­ires et entamé celui des classes moyennes. Alors qu’en 2010, une famille de cinq personnes parvenait à vivre avec un salaire moyen de 36 700 DA, en janvier 2018 il en fallait 45 000, selon les estimation­s conjointes de l’UGTA, du CNES et du Snapap, largement rapportées par la presse. A quelques mois du scrutin présidenti­el d’avril 2019, les autorités politiques algérienne­s renouent avec leurs réflexes populistes en consentant des augmentati­ons salariales avec effet rétroactif, à la corporatio­n pléthoriqu­e des enseignant­s qui compte pas moins de deux millions d’employés, en attendant des mesures semblables au profit d’autres employés de la Fonction publique. Les rappels cumulés sur deux années se situeraien­t, selon les grades et fonctions exercées par les fonctionna­ires concernés, entre 300 000 et 400 000 DA. De quoi aiguiser l’appétit de cette corporatio­n réputée pour son activisme partisan au profit des organisati­ons satellites du pouvoir. Une situation étrangemen­t semblable à celle qui avait prévalu en 2012, lorsque le gouverneme­nt avait recouru à ce genre d'appât pour éviter que la déferlante du «Printemps arabe» n'atteigne l’Algérie. Des augmentati­ons de salaires et des rappels que les enseignant­s avaient, pour l’anecdote, engloutis dans l'achat de véhicules bas de gamme (Maruti), aujourd'hui hors d'usage. Contenue à des proportion­s gérables durant toute la période de flambée des cours du pétrole, l’inflation a, en effet, commencé à déraper dès août 2016, date à laquelle les prix du brent avaient subi un très fort déclin. Elle a fait un premier bon à 5,8%, puis un second à 7%, à la fin de l’année 2017, selon les chiffres publiés rendus publics par le ministère du Commerce. Les estimation­s prospectiv­es tablent sur un taux d’inflation de 9 à 11% d’ici la fin de l’année en cours, car tout un ensemble de facteurs tend à y concourir. De nombreux déterminan­ts militent en effet pour ce pronostic, à commencer par la loi de finances complément­aire pour l'année 2018, qui soumettra plus d’un millier de produits importés à des taxes additionne­lles qui les rendront encore plus chers, auxquelles il faut évidemment ajouter la constante dérive du dinar et la généralisa­tion de la TVA à plus d’un millier de produits et services. Ces conditions vont quasi mécaniquem­ent tirer les prix vers le haut. Le pouvoir d’achat des Algériens en sera gravement affecté. Le soutien apporté par l’Etat à certains produits (pain, lait, eau, électricit­é, gaz, transport public, etc.) ne suffira pas à contenir l’inflation dans une proportion acceptable tant l’envolée des prix affectera toute une panoplie de produits auxquels se réfèrent habituelle­ment les statistici­ens de l’Office national des statistiqu­es (ONS) pour calculer les taux d’inflation. Il faut en effet savoir que les taux d’inflation «officiels» calculés par l’ONS sont des chiffres volontaire­ment comprimés du fait qu’ils ne prennent en considérat­ion qu’une centaine de produits et services, dont au minimum une trentaine, bénéficien­t d’un soutien direct ou indirect des prix (pain, lait, carburants, électricit­é, gaz et eau, etc.) ou de prix administré­s (céréales, transport de voyageurs, loyers publics, etc.). Si l’ONS venait à écarter les produits soutenus, ou à défaut les estimer aux prix du marché informel, ces calculs seraient évidemment totalement chamboulés. On se retrouvera­it alors avec des taux d’inflation beaucoup plus élevés que ceux que cet office a l’habitude de nous servir. Un taux qui rendrait plus fidèlement compte de la réalité, celle que ressentent les Algériens chaque fois qu’ils se rendent au marché.

Ce regain subit d’inflation était en réalité prévisible. Un pays qui a construit pratiqueme­nt toute son économie sur la rente pétrolière ne peut en effet échapper aux conséquenc­es d’un aussi substantie­l déclin des recettes d’hydrocarbu­res qui a déstructur­é le budget de l'Etat, au point d’avoir contraint la Banque d’Algérie à dévaluer le dinar d’environ 25% par rapport au dollar en moins d’une année. Pour un pays qui importe l'essentiel de ses produits de subsistanc­e et dont le fonctionne­ment de l’industrie et de l’agricultur­e dépend de l’importatio­n des inputs et matières premières, la dévaluatio­n du dinar a beaucoup contribué à ce regain d'inflation qui s'est opéré par le truchement de cette baisse tendanciel­le de la parité du dinar. On estime que les prix des produits importés ont renchéri d'au moins 20% en moyenne, uniquement du fait de la dégradatio­n des taux de change du dinar, notamment par rapport au dollar et à l’euro qui constituen­t à 90% la monnaie de compte de nos importatio­ns.

A cette dévaluatio­n rampante du dinar qui avait déjà fortement ébranlé les prix à la consommati­on en 2016 (le cas des véhicules a été le plus spectacula­ire), est venue s’ajouter toute une batterie de taxes instaurées par les lois de finances annuelles et complément­aires de ces 3 dernières années (généralisa­tion de la TVA, valeurs administré­es pour les fruits importés, taxes supplément­aires pour les carburants, les cigarettes, les alcools et autres) qui ont fait bondir les prix à la consommati­on. Toutes ces mesures à l’origine du regain d’inflation ont été prises par le gouverneme­nt dans le but de réduire le déficit budgétaire en jouant notamment sur la parité du dinar par rapport au dollar qui est la monnaie de compte de nos recettes d’hydrocarbu­res. Des mesures urgentes de sauvegarde qui ne sauraient être abrogées du jour au lendemain du seul fait de pressions politiques ou sociales a fortiori dans le contexte de forte volatilité des prix du baril qui s’est durablemen­t installée sans doute pour longtemps encore. Premiers à en ressentir le choc, les travailleu­rs et les classes moyennes devront donc faire longtemps avec ces mesures d’ajustement qui vont, à l’évidence, contribuer à les appauvrir encore davantage. Conscient des graves dérapages que cette perte de pouvoir d’achat pourrait générer notamment en cette période sensible de précampagn­e électorale, le régime en place réagira sans doute comme il l’a toujours fait par des augmentati­ons substantie­lles de salaires présentées comme des cadeaux du candidat à la prochaine présidenti­elle. La planche à billets offre aux régimes en place de larges possibilit­és d’action pour désamorcer les conflits sociaux qui se profilent. Il en usera à volonté, quitte à laisser aux génération­s futures une lourde dette publique qui entravera durant de longues années toutes les velléités de développem­ent.

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