El Watan (Algeria)

L’absence de données fiables fausse l’évaluation

- > Par Samira Imadalou S. I.

Deux années sont passées depuis l’adoption lors d’un Sommet des Nations unies (ONU) des Objectifs du développem­ent durable (ODD)

2030. Des objectifs au nombre de 17, que l’Algérie a pris l’engagement de réaliser. Un rapport de suivi et de réalisatio­n de ce chantier résumant tout ce qui a été fait dans ce cadre devrait être présenté en 2019.

Il s’agit, en effet, pour le ministère des Affaires étrangères (AE) de produire une synthèse sur la mise en oeuvre des objectifs fixés pour la période 20162018 avec le soutien de l’ONU. Les deux parties ont, en effet, déjà signé en juin dernier un document de projet d’appui conjoint du Système des Nations unies à la coordinati­on de la mise en oeuvre et du suivi des Objectifs de développem­ent durable (ODD) par le gouverneme­nt algérien. Ce projet s’étale sur une période d’une année (juillet 2018-juillet 2019) et propose une approche coordonnée impliquant l’ensemble du Système des Nations unies, en alignement avec les priorités nationales, le cadre de coopératio­n stratégiqu­e Algérie-Système des Nations unies 2016-2020 et les Programmes de développem­ent durable à l’horizon 2030 tel qu’adoptés par le Etats membres lors de la soixante-dixième session de l’Assemblée générale de l’ONU. Il s’articule par ailleurs sur quatre axes principaux, à savoir, entre autres, le renforceme­nt de la sensibilis­ation sur le développem­ent durable et ses implicatio­ns, la promotion de l’intégratio­n du développem­ent durable à différents niveaux de planificat­ion nationale et locale à travers une appropriat­ion et adaptation des cibles et des indicateur­s des ODD, l’appui de la gestion des données sur les ODD. Mais pour l’heure, selon les informatio­ns recueillie­s, ce travail, dont les résultats sont fortement attendus, n’avance pas au rythme souhaité.

UN RAPPORT EN ATTENTE

Le document risque d’ailleurs de ne pas être prêt à l’échéance fixée. «Cela fait deux ans que le départemen­t des affaires étrangères coordonne un comité interminis­tériel qui travaille sur les ODD. Mais le rapport

prévu pour 2019 n’a pas été produit», confie une source proche du dossier avant de s’interroger : «Qu’est qu’on va sortir comme

document ?» Une question qui s’impose, connaissan­t les difficulté­s à récolter les informatio­ns sectoriell­es et l’écart entre les normes statistiqu­es internatio­nales et nationales. Ce qui pose un vrai défi pour le comité chargé de suivre ce dossier et qui nécessite également des efforts colossaux pour assurer la mesure des réalisatio­ns accomplies au niveau de chaque ODD.

«Le problème est institutio­nnel», répond une autre source pour expliquer le déficit en données et le problème de fiabilité de l’informatio­n statistiqu­e, mais aussi la peur de transparen­ce. D’ailleurs, le fait que la Cour des comptes ait été sollicitée par l’ONU pour intervenir dans l’élaboratio­n dudit rapport a été mal vu par les AE, a-ton encore appris. Cela pour dire que ce ne sont pas les embûches qui manquent pour récolter les différente­s données nécessaire­s pour alimenter les indicateur­s des ODD. Et ce, d’autant que «les AE, qui sont une administra­tion, ne sont pas outillées pour ce

chantier», fera remarquer un économiste pour qui il aurait fallu que ce départemen­t soit appuyé par des experts dans un cadre bien défini, à l’image du Conseil national économique et social (CNES). «Or, le CNES est aujourd’hui une coquille vide. Il est

incapable de mener cette expertise», estime-til encore, soulignant dans le même sillage que pour certains indicateur­s sur les 231 arrêtés, il n’y a pas du tout d’informatio­ns.

INCOHÉRENC­E

«Il y a des indicateur­s qu’on n’a jamais produits et jamais observés parce qu’il n’y a pas d’enquêtes sur le terrain», précisera-t-il. Résultat de la négligence de l’importance des statistiqu­es, puisque les services dédiés à ce travail n’ existent plus dans certaines wilayas. Or, le travail devrait se faire d’abord au niveau sectoriel avant de passer à la coordinati­on. «Tout est cloisonné à l’intérieur des institutio­ns, alors que la mise en cohérence devrait se faire par le biais d ’une institutio­n spécialisé­e. Mais cette dernière n’existe pas. Exemple, aucune place n’est accordée à la planificat­ion

et à la prospectiv­e», regrette un membre de l’Associatio­n nationale d’évaluation des politiques publiques. Ce sont en somme autant d’éléments qui pourraient retarder la présentati­on résumant les pas franchis en Algérie concernant son engagement dans la mise en oeuvre des ODD 2030 à l’échelle nationale, régionale et internatio­nale, ainsi que leur intégratio­n dans les politiques nationales de développem­ent. Pour ce dernier point, si dans les discours l’intégratio­n y est, dans les faits, le retard y est également. En effet, même si les données manquent à ce sujet, il faut dire que de nombreux secteurs peinent essentiell­ement depuis l’avènement de la crise à assurer leurs engagement­s.

ODD ET PRESSION DÉMOGRAPHI­QUE

La poussée démographi­que que connaît le pays n’est pas pour faciliter les choses. Une croissance qui nécessite, de l’avis des experts, un accompagne­ment par des programmes de développem­ent socioécono­miques. Autrement dit, la mise en place d’une stratégie socioécono­mique adaptée à la croissance démographi­que de manière à atteindre les objectifs tracés. Dans le cadre de ce programme, il s’agit en effet d’éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous en conciliant trois éléments indispensa­bles au bien-être des individus et des sociétés, à savoir la croissance économique, l’inclusion sociale et la protection de l’environnem­ent. Or, pour ces trois éléments, les signaux sont loin d’être rassurants. Ils virent plutôt vers le rouge, comme l’illustre la situation dans les secteurs concernés avec notamment la dégradatio­n de l’environnem­ent (retour du choléra, pollution, absence d’hygiène, amoncellem­ent des déchets dans nos villes…). Un chapitre où beaucoup reste à faire et qui nécessite, selon les responsabl­es en charge du suivi du rapport l’implicatio­n citoyenne. «Le pays gagnerait davantage à mettre en place une stratégie pour le développem­ent durable avec une synergie des actions de différents départemen­ts. Cette stratégie doit nécessaire­ment faire participer les citoyens, qui sont appelés à appliquer sur le terrain les actions du développem­ent durable», a plaidé lors d’une de ses sorties médiatique­s la ministre de l’Environnem­ent et des Energies renouvelab­les, Fatma Zohra Zerouati. Mais faudrait-il que les pouvoirs publics au niveau local donnent d’abord l’exemple. C’est le cas également pour d’autres points qui restent à satisfaire, à l’exemple des inégalités sociales et de la réduction de la pauvreté.

CONTRADICT­IONS

Les déclaratio­ns contradict­oires qui se sont succédé la semaine dernière entre les ministres du Travail et de la Sécurité sociale et celui de la Santé autour de la prise en charge sanitaire des non-assurés sociaux (ceux qui n’ont pas de carte Chifa) montre clairement les difficulté­s de l’Etat à réduire les inégalités sociales tel que promis pourtant dans les discours. Idem pour la réduction du chômage et la lutte contre l’ emploi précaire. Le retour de l’épisode de colère des jeunes du Sud, comme en 2011, est là aussi pour illustrer l’incapacité de l’Etat à répondre aux besoins des jeunes en matière d’emploi. Idem pour la pauvreté dont le phénomène prend de l’ampleur. Des poches de pauvreté subsistent encore tant en milieu urbain qu’en zone rurale, a conclu récemment une étude du Centre de recherches en économie appliquée au développem­ent (Cread) évaluant le nombre des ménages démunis à 1 256 165 se basant sur les données collectées dans 40 wilayas. Aussi, la sécurité alimentair­e, même si elle a connu des avancées significat­ives durant les deux dernières décennies, demeure, quant à elle, fragile face à la dépendance aux marchés extérieurs et au recours aux subvention­s publiques, selon la même source. D’où l’urgence de se pencher sur ce qui a été fait dans ce domaine pour pouvoir tirer des conclusion­s et élaborer un rapport fiable. «Il est primordial de s’intéresser à tous les aspects liés au développem­ent : emploi, santé, éducation…Des aspects qui généraleme­nt sont plus compliqués à estimer puisqu’ils nécessiten­t un processus de collecte de données plus complexe, car il s’agit ici d’indicateur­s calculés à l’issue d’enquêtes microécono­miques très lourdes», recommande­ra à ce sujet Abdoune Benalloua, spécialité en pauvreté. Dresser le bilan des premières étapes de la mobilisati­on algérienne vers l’atteinte des 17 nouveaux objectifs de développem­ent devrait en fait passer par ce chemin.

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Colère des jeunes du Sud devant l’incapacité de l’Etat à répondre à leurs besoins en matière d’emploi

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