El Watan (Algeria)

LE SILENCE COUPABLE DU… NARCO-ÉTAT

- MOHAND AZIRI

La maison brûle, nos majestueux dirigeants regardent ailleurs. Des têtes, de grosses têtes bien mazoutées, de la toute-puissante Armée nationale populaire (ANP), digne héritière de la glorieuse ALN, sont décapitées, empalées, soigneusem­ent accrochées à la grille de la jeune – mais déjà grabataire – République. Mais pas de réaction officielle. Même pas un murmure et/ou une oscillatio­n de sourcils.

Une partie du haut commandeme­nt de l’armée : cinq générauxma­jors et pas des moindres, parmi eux d’ex-chefs de Région, un directeur des finances au ministère de la Défense, un ex-patron de la Gendarmeri­e nationale, un colonel de la sécurité de l’armée tombent, embastillé­s, car présumés impliqués dans l’affaire de la cocaïne : nos Bokassa se murent dans le silence. Un silence coupable que rien ne justifie, si ce n’est l’ampleur des dégâts occasionné­s par l’affaire des 701 kg de coke, parce qu’elle révèle la maffiocrat­ie au pouvoir ayant propulsé l’«Algérie des martyrs» au rang de narco-Etat. Un narco-Etat avec ses gangs et ses cartels, miné par la corruption et l’incurie, devenant une menace potentiell­e pour l’équilibre et la stabilité de la région.

Ni la justice militaire (le parquet du tribunal de Blida), qui a

Par Mohand Aziri

ordonné l’arrestatio­n, ni le parquet d’Alger, qui enquête sur l’affaire «El Bouchi», n’ont jugé utile de «communique­r» sur ce scandale à fragmentat­ion. La loi, pourtant, autorise et incite les procureurs à éclairer l’opinion. Cependant, les «moi, petit juge» (célèbre réplique du juge de l’affaire Sonatrach I) ne peuvent pas et/ ou n’osent pas. Vite refermée, la parenthèse Zeghmati Belkacem, ancien procureur général d’Alger qui annonça en conférence de presse le lancement d’un mandat d’arrêt internatio­nal contre Khelil Chakib, a décidément refroidi les plus ombrageux parmi nos magistrats réputés «vent debout» contre les turpitudes des puissants. Face au silence assourdiss­ant des pouvoirs publics, l’«informatio­n» rapportée par Ennahar et par des webmédias, amputée de source, devient pourtant quasi officielle. Le silence des autorités valant confirmati­on des faits énoncés.

Ni le ministère de la Justice, ni le MDN, ni la primature, encore moins la Présidence – de loin, mais de loin seulement perçue comme «bien vacant» – aucune autorité, aucune institutio­n, aucun pouvoir régalien ne veut, décidément, assumer ces décisions et cette chasse aux «généraux» dont les tenants et les aboutissan­ts échappent à la loi de la gravité. Lutte contre la corruption ? Guerre des clans ? Guerre de succession ? Pression et/ou agenda étrangers ? Aucune grille d’analyse sérieuseme­nt étayée ne résistera au flou entourant cette fin de règne annoncée déjà sous le signe du chaos. Un chaos auquel appelle pieusement cette nouvelle (info ou intox) de l’arrestatio­n du quarteron de généraux. En effet, jamais l’Algérie n’a collé d’aussi près à sa réputation de pays ravagé par sa junte militaire (et sécuritair­e). Preuve en est cette sulfureuse affaire mettant en scène des protagonis­tes de la version nord-africaine de «l’armée mexicaine» – les protecteur­s prétoriens de la nation algérienne devenus, par le crime et la terreur, ses bourreaux – et des politiques et hommes d’affaires. Sous le regard passif d’une galerie comptant une quarantain­e de millions de spectateur­s.

«Vous voulez que je fasse la révolution tout seul !» haranguait le candidat Bouteflika en septembre 1999. «Parlez-moi des généraux ! Parlez-moi de la clique des 15, des 20, peut-être des 30 (généraux)…», disait-il en guise de promesse (vaine) d’un lavement à l’esprit de sel. «Comment vous faire confiance (…) sachant que comme dans les arènes de Rome, lorsque je serai face au fauve, vous m’applaudire­z moi si j’en sors vainqueur, sinon c’est le fauve que vous applaudire­z.» Prémonitio­n ?!

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