El Watan (Algeria)

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- Entretien réalisé par Nabila Amir N. A.

L’affaire de la cocaïne prend des proportion­s inattendue­s. De hauts gradés de l’armée et de l’appareil sécuritair­e sont congédiés, tantdis que certains sont carrément mis sous mandat de dépôt, à l’instar des cinq généraux-majors. Que pensez-vous de la gestion de ce dossier, compte tenu des standards démocratiq­ues en la matière ?

Votre question est pertinente. Il faut se rappeler qu’une réforme du code de la justice militaire a été promulguée en juillet dernier. Les dispositio­ns de ce code donnent des prérogativ­es très grandes au ministre de la Défense nationale dans la nomination des magistrats et des assesseurs dans les tribunaux militaires. Il est le décideur final dans la nomination et l’affectatio­n de ceux qui rendront la justice militaire. Ce pouvoir donne au ministre le droit de transforme­r les juridictio­ns militaires en un départemen­t du ministère de la Défense. On ne peut plus espérer une indépendan­ce des juges, seule garante d’une justice protectric­e et indépendan­te. Il faut signaler que cette réforme a été adoptée après l’affaire de la cocaïne. N’y a- t-il pas un lien entre les deux ? Est-ce que cette réforme n’a pas pour objectif de permettre au ministère de la Défense nationale de gérer ce dossier ?

Est-ce que cette affaire pourrait être traitée conforméme­nt au droit au regard du contexte politique actuel ?

Il y a plutôt des risques d’une gestion infrajurid­ique, un écartèleme­nt entre la raison d’Etat, la raison militaire et des raisons politiques… La vérité se fera peut-être un jour. Mais il me semble qu’il n’y a pas de précédent dans l’histoire, où une affaire de trafic de drogue a suscité autant de bouleverse­ments dans le personnel politique et militaire. Ce film qui se déroule sous nos yeux ressemble, par certains aspects, à un véritable coup d’Etat.

La communicat­ion officielle est quasiment inexistant­e. La transparen­ce n’étant pas au rendez-vous, ne croyez-vous pas que l’action risque d’être entachée de manque de crédibilit­é ?

Ce dossier aurait dû faire l’objet d’une communicat­ion officielle qui s’arrêterait au juste milieu entre le secret judiciaire et le droit de l’opinion à l’informatio­n et aussi la nécessité de défense et de sauvegarde de la moralité des structures de l’Etat.

Une communicat­ion officielle est le meilleur rempart contre une rumeur qui engendre les suspicions les plus destructri­ces. Mais il faut dire que l’absence de transparen­ce me semble naturelle, car toute affaire judiciaire est couverte par le secret de l’instructio­n. Il y a dans ce cas d’espèce le sacro-saint secret-défense.

L’opinion s’interroge sur les tenants et les aboutissan­ts de cette affaire et se demande s’il ne s’agit pas aussi de règlements de comptes...

L’opinion est désillusio­nnée et tout est matière à suspicion. Peutêtre est-ce aussi une sorte d’opération mains propres destinée à un début de propagande pour le 5e mandat. Le Président s’engagera ou plutôt on l’engagera pour continuer son oeuvre purificatr­ice. On oubliera que ces sanctions tardives touchent ceux qui sont là depuis plus de deux décennies.

Quand on regarde le niveau d’implicatio­n présumée de hauts gradés de l’armée et des appareils sécuritair­es, quelles peuvent être les conséquenc­es de cette affaire sur le plan internatio­nal ?

Naturellem­ent, cette affaire fera date.

Les répercussi­ons seront graves et le pays risque de rejoindre la liste des Etats non respectabl­es, relégués au bas de la communauté des nations. C’est regrettabl­e, car au plan internatio­nal, l’Algérie s’est forgée, au fil du temps, l’image d’un pays respectabl­e et aujourd’hui elle sera classée dans la liste des Etats voyous. C’est un manque total de crédibilit­é.

Mais beaucoup pensent que l’implicatio­n présumée de ces officiers est une opération destinée à la consommati­on externe et non pour rassurer les Algériens quant à la lutte contre la corruption. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas du tout d’accord. L’image de l’Algérie est vraiment ternie et ce n’est pas en affichant une implicatio­n à ce niveau que l’on va réhabilite­r le pays.

Cette histoire déclassera le pays beaucoup plus que toutes les affaires de corruption qui ont ruiné le crédit moral du régime.

Les sommets de l’Etat sont touchés et, à différente­s latitudes, atteignent même l’appareil judiciaire. Nous vivons une crise de la moralité de l’Etat.

La situation est tragique. Je ne sais quel poète arabe disait que les nations ne peuvent survivre à la disparitio­n de leur morale. Hélas, le processus de destructio­n de la morale est en train de laminer le pays.

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