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L’affaire de la cocaïne prend des proportions inattendues. De hauts gradés de l’armée et de l’appareil sécuritaire sont congédiés, tantdis que certains sont carrément mis sous mandat de dépôt, à l’instar des cinq généraux-majors. Que pensez-vous de la gestion de ce dossier, compte tenu des standards démocratiques en la matière ?
Votre question est pertinente. Il faut se rappeler qu’une réforme du code de la justice militaire a été promulguée en juillet dernier. Les dispositions de ce code donnent des prérogatives très grandes au ministre de la Défense nationale dans la nomination des magistrats et des assesseurs dans les tribunaux militaires. Il est le décideur final dans la nomination et l’affectation de ceux qui rendront la justice militaire. Ce pouvoir donne au ministre le droit de transformer les juridictions militaires en un département du ministère de la Défense. On ne peut plus espérer une indépendance des juges, seule garante d’une justice protectrice et indépendante. Il faut signaler que cette réforme a été adoptée après l’affaire de la cocaïne. N’y a- t-il pas un lien entre les deux ? Est-ce que cette réforme n’a pas pour objectif de permettre au ministère de la Défense nationale de gérer ce dossier ?
Est-ce que cette affaire pourrait être traitée conformément au droit au regard du contexte politique actuel ?
Il y a plutôt des risques d’une gestion infrajuridique, un écartèlement entre la raison d’Etat, la raison militaire et des raisons politiques… La vérité se fera peut-être un jour. Mais il me semble qu’il n’y a pas de précédent dans l’histoire, où une affaire de trafic de drogue a suscité autant de bouleversements dans le personnel politique et militaire. Ce film qui se déroule sous nos yeux ressemble, par certains aspects, à un véritable coup d’Etat.
La communication officielle est quasiment inexistante. La transparence n’étant pas au rendez-vous, ne croyez-vous pas que l’action risque d’être entachée de manque de crédibilité ?
Ce dossier aurait dû faire l’objet d’une communication officielle qui s’arrêterait au juste milieu entre le secret judiciaire et le droit de l’opinion à l’information et aussi la nécessité de défense et de sauvegarde de la moralité des structures de l’Etat.
Une communication officielle est le meilleur rempart contre une rumeur qui engendre les suspicions les plus destructrices. Mais il faut dire que l’absence de transparence me semble naturelle, car toute affaire judiciaire est couverte par le secret de l’instruction. Il y a dans ce cas d’espèce le sacro-saint secret-défense.
L’opinion s’interroge sur les tenants et les aboutissants de cette affaire et se demande s’il ne s’agit pas aussi de règlements de comptes...
L’opinion est désillusionnée et tout est matière à suspicion. Peutêtre est-ce aussi une sorte d’opération mains propres destinée à un début de propagande pour le 5e mandat. Le Président s’engagera ou plutôt on l’engagera pour continuer son oeuvre purificatrice. On oubliera que ces sanctions tardives touchent ceux qui sont là depuis plus de deux décennies.
Quand on regarde le niveau d’implication présumée de hauts gradés de l’armée et des appareils sécuritaires, quelles peuvent être les conséquences de cette affaire sur le plan international ?
Naturellement, cette affaire fera date.
Les répercussions seront graves et le pays risque de rejoindre la liste des Etats non respectables, relégués au bas de la communauté des nations. C’est regrettable, car au plan international, l’Algérie s’est forgée, au fil du temps, l’image d’un pays respectable et aujourd’hui elle sera classée dans la liste des Etats voyous. C’est un manque total de crédibilité.
Mais beaucoup pensent que l’implication présumée de ces officiers est une opération destinée à la consommation externe et non pour rassurer les Algériens quant à la lutte contre la corruption. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas du tout d’accord. L’image de l’Algérie est vraiment ternie et ce n’est pas en affichant une implication à ce niveau que l’on va réhabiliter le pays.
Cette histoire déclassera le pays beaucoup plus que toutes les affaires de corruption qui ont ruiné le crédit moral du régime.
Les sommets de l’Etat sont touchés et, à différentes latitudes, atteignent même l’appareil judiciaire. Nous vivons une crise de la moralité de l’Etat.
La situation est tragique. Je ne sais quel poète arabe disait que les nations ne peuvent survivre à la disparition de leur morale. Hélas, le processus de destruction de la morale est en train de laminer le pays.