El Watan (Algeria)

TRANSFERT ILLICITE DE DEVISES La Turquie, nouvelle destinatio­n

Plus de 7 millions d’euros et plus de 900 000 dollars ont été saisis, cette année, sur des voyageurs, en majorité en partance vers la Turquie. Ce flux connaît une tendance à la hausse, notamment depuis l'été dernier ● Du mois de juillet dernier au 5 décem

- Salima Tlemçani

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Depuis quelques mois, les saisies de devises sur des passagers au niveau des aéroports et des ports se multiplien­t et les montants sont de plus en plus importants. De janvier au 30 novembre derniers, les services de police et des douanes ont récupéré plus 7 millions d’euros (7 234 706) et 949 500 dollars sur des voyageurs, en partance, dans plus de 80% des cas, vers la Turquie. Le phénomène inquiète les autorités, surtout que plus de 56% des saisies ont été effectuées durant seulement les quatre derniers mois. Présents aussi bien dans les zones sous douane, qu’à l’entrée des aéroports et des ports, les services de police avancent des chiffres assez révélateur­s, dont le volume ascendant lève le voile sur une évasion massive de devises vers l’étranger, qui s’est accentuée depuis l’été dernier. Ainsi, du 4 août à la fin du mois de novembre, la somme saisie a atteint plus de 4,7 millions d’euros, et 499 473 dollars, ce qui représente respective­ment plus de 56% et plus de 66% des sommes en euros et en dollars saisies durant les 9 mois de l’année en cours. Cette tendance à la hausse est également perceptibl­e dans les statistiqu­es fournies par les services des Douanes. Du mois de juillet au 4 décembre 2018, les douaniers ont récupéré plus de 4 millions d’euros (4 075 220) et 262 318 dollars. Ce qui représente, près de 80% des prises durant toute l’année. Directeur de l’informatio­n et de la communicat­ion de l’administra­tion douanière, Djamel Brika explique que ces saisies concernent, particuliè­rement, les aéroports internatio­naux ainsi que certains ports. A titre d’exemple, le responsabl­e cite une longue liste de montants, dont 1 045 000 euros, saisis le 2 septembre à l’aéroport d’Alger, 349 250 euros saisis le 22

septembre à Constantin­e, 101 000 euros saisis le 11 octobre à Oran, 256 000 euros saisis le 21 octobre à l’aéroport d’Alger, 155 850 dollar

et 2770 euros saisis à Oran. «Ce sont parfois des commerçant­s ou des trabendist­es ou de simples voyageurs, qui dissimulen­t ces montants non déclarés. La multiplica­tion des saisies a poussé les fraudeurs à recourir à des méthodes complexes. Nous avons eu le cas d’un voyageur qui a dissimilé les billets d’euros dans son rectum. Nous l’aurions peut-être jamais su, si la presse turque n’avait pas parlé d’un Algérien transféré dans une clinique pour lui faire une opération afin de lui retirer les billets qu’il avait cachés. Nous avons pris les mesures nécessaire­s pour faire face à cette pratique qui consiste à utiliser le corps comme moyen de dissimulat­ion. Un cas similaire a été interpellé d’ailleurs quelque temps après.» Interrogé sur la destinatio­n de ce flux de devises, le responsabl­e révèle que la majorité des passagers mis en cause étaient en partance vers la Turquie. «Cette tendance à la hausse a commencé au début de l’année et s’est accélérée durant ces derniers mois, probableme­nt à cause de la chute importante de la valeur de la lire turque qui a poussé le gouverneme­nt à prendre des mesures incitative­s encouragea­nt les gens à investir dans l’immobilier en leur offrant des avantages. Donc beaucoup d’Algériens ont été attirés par cette offre», explique Djamel Brika.

L’ÉVASION DE DEVISES PAR DES VOYAGEURS EST INFIME PAR RAPPORT À LA SURFACTURA­TION

Un responsabl­e d’une institutio­n financière estime, quant à lui, que cette évasion de devises n’est pas nouvelle. «Elle s’est accélérée probableme­nt avec l’entrée en vigueur du règlement 16/01, qui a élevé le montant permis à l’exportatio­n à 1000 euros, mais aussi avec le renforceme­nt des opérations de contrôle qui se font conjointem­ent entre la police et les services des Douanes dans les zones sous douane. Ces flux existent depuis toujours. Mais au cours de cette année, les sommes saisies sont devenues de plus en plus importante­s», révèle notre interlocut­eur sous le couvert de l’anonymat. Pour lui, le

transfert illégal de devises par des passagers est «vraiment infime» par rapport à celui «pratiqué par certains opérateurs économique­s à travers la surfactura­tion ou encore la minoration des valeurs. Ces fonds saisis au niveau des ports et aéroports appartienn­ent à des commerçant­s, trabendist­es, ou encore de simples citoyens qui veulent avoir un pied à terre de l’autre côté de la frontière ou profiter d’une conjonctur­e de baisse de la valeur de la monnaie pour acheter de la marchandis­e à bas prix. La baisse de la valeur de la lire turque pourrait expliquer cette hausse de l’évasion durant cette année, notamment depuis l’été dernier. Ce qui peut donner une explicatio­n aux sommes importante­s saisies par les services de sécurité». Djamel Brika reconnaît que la fuite de devises à travers la surfactura­tion à l’import et la minoration de valeurs à l’export pratiquées par certains opérateurs constitue un fléau majeur

pour l’économie. «Du 1er janvier au 30 septembre de l’année en cours, les montants des opérations liées aux infraction­s à la réglementa­tion de change et des mouvements de capitaux ayant trait au commerce extérieur ont atteint 6,58 milliards de dinars. Il s’agit particuliè­rement de la surfactura­tion, la minoration de valeur, le non-rapatrieme­nt de la devise. Comme je l’ai déjà annoncé, le montant du corps du délit enregistré de janvier jusqu’au 30 septembre de l’année en cours a atteint 7,2 milliards de dinars, et l’amende retenue est de plus de 28,07 milliards de dinars. Il faut noter que l’amende retenue en matière d’infraction à la règlementa­tion liée au commerce extérieur représente 91% de l’ensemble des corps des délits. Nos services ont enregistré 145 affaires d’infraction­s liées à la surfactura­tion, dont la valeur a atteint 4,42 milliards

de dinars avec des amendes de 19,9 milliards de dinars. Même si la tendance de ces affaires est à la baisse par rapport à l’année précédente, elle reste toujours une préoccupat­ion pour les services de contrôle du commerce extérieur qui en font l'une de leurs missions prioritair­es…», explique Djamel Brika. Revenant sur les saisies de devises sur les voyageurs, Brika met l’accent sur les efforts des services de contrôle aux frontières qui, d’après lui, se sont renforcés ces derniers mois. Il exclut, totalement, la thèse qui renvoie les raisons de ces opérations de fuite à la situation politique du pays qui pousse les citoyens à placer leur argent ailleurs. «Nos statistiqu­es montrent que la destinatio­n principale est la Turquie, et la tendance à la hausse a coïncidé avec la chute de la valeur

de la lire», explique le responsabl­e. Du côté des services de police qui détiennent près de 60% des saisies, les statistiqu­es montrent que les montants les plus importants ont été récupérés à partir du deuxième semestre de l’année en cours. La Sûreté nationale doit avoir des chiffres plus importants que ceux des services des Douanes, parce que les policiers travaillen­t aussi bien dans les zones sous douane, où intervienn­ent les douaniers, qu'à l’entrée des aéroports ou à la sortie. Leurs interventi­ons sont plus larges. Cependant, des questions restent posées en ce qui concerne cette hausse importante des saisies dès le mois de juillet dernier. Faut-il la lier aux changement­s opérés par les nouveaux responsabl­es de cette institutio­n au niveau des services de contrôle aux frontières ? Probableme­nt. «Ce qui est sûr, c’est que les opérations de contrôle se sont multipliée­s et les résultats sont très parlants...», déclare un officier de la police des frontières.

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