El Watan (Algeria)

«Le Sahara - espace lien et source de vie géoculture­lle dans une Afrique en devenir»

- Par le Pr Benaouda Lebdai

Le Sahara est le désert le plus vaste du monde, s’étendant sur huit millions de kilomètres carrés, s’étalant d’Est en Ouest, il prend en écharpe le haut de l’Afrique. Historique­ment, cet espace désertique gigantesqu­e n’a jamais laissé indifféren­t et en ce début de XXIe siècle il ne peut être ignoré d’un revers de la main, comme s’il s’agissait d’un lieu vide, au mieux d’une destinatio­n pour touristes avides d’aventures et de dépaysemen­t exotique, au pire d’un repaire de bandits et de terroriste­s. Le désert est un lieu territoria­lisé qui se partage entre dix pays, avec des frontières officielle­ment définies et reconnues, sur la base de celles établies durant la colonisati­on, suite à la Conférence de Berlin en 1885. Historique­ment, depuis la nuit des temps, le Sahara a toujours été un espace d’échange, ce qui a largement façonné l’Afrique contempora­ine sur le plan culturel, sur le plan religieux et sur le plan politique. Vu la situation stratégiqu­e que joue le Sahara pour le continent, cette analyse soulignera la significat­ion de sa géographie anthropocè­ne et montrera l’impact de l’homme sur cet espace à un moment où les débats économique­s, sociaux et politiques se multiplien­t sur ce sujet. Sa représenta­tion en rapport avec l’Afrique d’aujourd’hui mérite que l’on s’y arrête pour en apprécier l’évolution jusqu’au début de ce XXIe siècle, en rapport avec le phénomène de la mondialisa­tion. Discuter du devenir du plus vieux continent du monde me paraît pertinent vu qu’il recèle des richesses immenses et essentiell­es pour l’avenir vital de l’Humanité. La question de «la politique du vivant» dans un tel espace fascinant démontre que toute tentative de sa marginalis­ation serait funeste pour l’unité de l’Afrique et sa mise en relation avec elle-même, d’autant plus que cela confortera­it la racialisat­ion du continent à un moment où les replis communauta­ires s’accentuent. Ma conviction repose sur le fait qu’une bonne compréhens­ion des composants culturels, économique­s et politiques du Sahara est nécessaire pour améliorer la qualité de vie des population­s des deux rives, cela dans une perspectiv­e de réconcilia­tion de l’Afrique avec sa propre histoire. L’examen de l’image et de la représenta­tion du Sahara sur le plan historique, sur le plan littéraire, et sur les possibilit­és géoculture­lles résoudrait certains problèmes comme celui de la question des migrants et des possibles stratégies d’exploitati­on utiles du Sahara en vue de retombées positives pour les peuples d’Afrique.

Les historiens sont formels et les documents d’archives l’attestent, le Sahara n’a jamais été ignoré, ni par les Européens, ni par les ancêtres africains, qu’ils soient du Nord ou du Sud. Depuis l’antiquité, le Sahara est présent, dans les écrits de la Grèce, grâce à Ptolémée et Hérodote qui le décriviren­t comme un désert habité, comme un espace chargé non seulement d’histoire, mais aussi de mythologie, d’art, de magie. Il est décrit comme étant un espace d’échange et de commerce. Les fresques en Algérie témoignent d’un passé dynamique et vigoureux sur tous ces plans. Les fresques du Tassili et du Hoggar furent étudiées et mises en valeur par les Français Henri Lhote dans Le

Hoggar, Espace et Temps et Théodore Monod dans Vie et Mort au Désert. Au XIXe siècle, le premier voyageur français à traverser le Sahara de bout en bout à partir d’Alger pour se rendre à Tombouctou est René Caillé, qui raconte son périple si riche dans Voyages à Tombouctou, ville que l’on disait gorgée d’or grâce à son commerce avec le Nord. Henri Duveyrier et Camille Douls ont également décrit leurs voyages à travers le désert, à l’instar d’André Gide qui en fut inspiré pour écrire son sublime roman

Les Nourriture­s Terrestres. Antoine de SaintExupé­ry fut également fasciné par le Sahara qu’il met en scène dans Le Petit Prince. Pierre Benoît installe la ville mystérieus­e, millénaire et mythique du Grand Sud où régnait Antinéa, dans son merveilleu­x texte L’Atlantide. Isabelle Eberhardt, la grande aventurièr­e allemande, a décrit le désert comme un refuge en témoignant de la vitalité de cet espace et de son peuple qu’elle a aimé jusqu’à son décès tragique à Aïn Sefra dans le Sahara algérien. Le désert a donc inspiré des poètes, des peintres, des religieux, avec une multiplici­té d’interpréta­tions comme celles de Charles de Foucauld qui en parle philosophi­quement dans Carnets de Tamanrasse­t et Esquisses Saharienne­s ou celles de romanciers comme Edmond Jabbès avec Le Désert, JeanMarie Le Clésio avec Désert. Tous mettent en scène ce lieu de tous les rêves et de tous les fantasmes. Le désert a toujours attiré et fasciné, ce qui implique que toute tentative de définition de cet espace géographiq­ue ne peut être que restrictiv­e.

Du côté africain, le Sahara n’a jamais été perçu comme «infranchis­sable». Des liens solides existèrent entre l’Afrique du Nord et l’Afrique au sud du Sahara depuis la nuit des temps. L’historien britanniqu­e Basil Davidson évoque dans ses ouvrages sur l’Afrique les Berbères qui utilisèren­t des chevaux et des chariots pour commercer avec les pays tropicaux bien avant l’an 500 avant Jésus-Christ. D’autres historiens rapportent qu’au XVIIIe siècle, les commerçant­s de Tahert (actuelle Tiaret) en Algérie et de Sijilmasa au Maroc commercère­nt avec les peuples de l’Afrique de l’Ouest, principale­ment avec le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Avec l’arrivée des conquérant­s arabes en Afrique au VIIe siècle, les échanges sur les plans humains, culturels et religieux s’accentuère­nt comme en témoignent les récits des voyageurs arabes, à l’instar d’Ibn Batouta et de Hassan El Wazzan dit «Léon l’Africain» dont les écrits attestent de ces échanges fructueux.

Pour les Africains subsaharie­ns, l’islam est venu du désert et sa propagatio­n allait de pair avec le commerce de l’or au Mali, au Ghana, au Sénégal, au Soudan et au Niger. L’historien T. Lewiski, dans Folies Orientalis, répertoria des extraits inédits des premiers échanges commerciau­x trans-sahariens entrepris par les commerçant­s Ibadites du M’zab. Le Sahara fut un espace de transhuman­ce humaine, culturelle durant des siècles. Ces échanges entre les peuples du Sahel et les peuples du Nord de l’Afrique se sont interrompu­s de manière brutale durant la période coloniale et cela pour des raisons de stratégie colonialis­te qui mis fin à tout échange entre les deux rives du Sahara sur la base du «diviser pour régner». Incontesta­blement, le système colonial a transformé le Sahara en frontière entre les deux Afriques aux XIXe et XXe siècles, accentuant la racialisat­ion de l’Afrique.

La vision qu’en ont les écrivains africains des deux rives est intéressan­te. Le Sahara représente un espace d’amitié entre Africains au vu des écritures de voyageurs poètes à la recherche d’absolu. Le Sahara est présent dans les textes

littéraire­s qui racontent le potentiel affectif et émotionnel des écrivains, ce qui révèle un intérêt légitime à travers des discours narratifs qui disent la présence, voire l’obsession du désert vu comme espace concret ou symbolique à travers les romans et autres textes poétiques, à l’instar de Terre desséchée de Martine Djoup du Cameroun,

Saison de la migration vers le nord de Tayeb

Salih du Soudan, Sahel ! Sanglante sécheresse de Mande-Alpha Diarra, Que vienne la rosée sur

les oasis oubliées d’Albakaye Kounta, Le désert inhumain de Mamadou Soukouna du Sénégal,

Le jeune homme de sable de William Sassine,

Le devoir de violence qui retrace l’histoire de l’Afrique de 1202 à 1947 de Yambo Ouologuem

du Mali, A l’orée du Sahel de Youssouf Gueye de

Mauritanie, Two Thousand Seasons d’Ayi Kwei

Armah du Ghana, Les bouts de bois de Dieu de

Sembène Ousmane, Gens de sable de Catherne

N’Diaye, Cycle de sécheresse de Cheikh C. Sow,

Amkoullel, L’enfant Peul : mémoires d’Amadou

Hampâté Bâ, Segou, Les murailles de la terre et Ségou la terre en miettes de Maryse Condé de Guadeloupe qui revient sur ses racines africaines à partir du désert comme espace de la mémoire. Les textes d’Algérie ne sont pas en reste comme

La traversée du désert de Mouloud Mammeri, Le vent du sud de Abdelhamid Benhadouga,

Timimoun et Cinq fragments du désert de Rachid

Boudjedra, Un été africain et Le désert sans

détour de Mohammed Dib, L’invention du désert de Tahar Djaout, Sable rouge de Abdelkader Djemaï ou les nombreux poèmes de Kateb Yacine.

Ces textes montrent que le Sahara n’est pas un espace absent de l’imaginaire des Africains et des littératur­es africaines. Quatre thèmes majeurs reviennent de manière récurrente dans ces textes : histoire, géo-physique, politique et poétique. Les voyages, les échanges, les personnage­s historique­s ou fictifs forment la trame des récits et des épopées narrées avec un grand sens d’appartenan­ce et c’est ce qui les différenci­e des textes européens sur l’Afrique. Maryse Condé possède l’art d’allier les données historique­s à son imaginatio­n de romancière, décrivant avec verve les marchands de Fès, de Marrakech, d’Alger, de Tripoli et de Tunis qui traversaie­nt le désert et qui apportaien­t à Ségou du sel en barres et du gène de sésame. Elle met en scène des riches marchands, comme Abdullahi dont «l’ameublemen­t de la case est riche et varié. Outre les divans recouverts d’épaisses étoffes de coton, il y a des tapis de haute laine». Tous ces récits mettent en scène les voyages qui se faisaient dans les deux sens. L’attrait des contrastes suscite en effet l’échange, y compris sur le plan culinaire. Elle narre l’échange entre les peuples des deux régions, en évoquant l’islamisati­on de l’Afrique subsaharie­nne qui est décrite avec une certaine neutralité, même si l’esclavage entamé par les Arabes d’Arabie n’est pas du tout ignoré comme dans Segou, la muraille de terre. Amadou Hampâté Bâ a perçu la religion venue du Nord en évoquant l’adhésion pacifique de l’islam par les Noirs africains. Le conteur fait partie de la confrérie soufie, la Tidjaniya, et ainsi il raconte combien l’apprentiss­age et la «mémorisati­on auditive de l’école coranique» fut un excellent exercice pour se rappeler les légendes et les histoires des cultures du village, racontées par les griots. Par ailleurs, le romancier soudanais Tayeb Salih décrit le désert positiveme­nt, en montrant l’impact philosophi­que à travers le grand-père de Moustafa Saïd dans Saison de la

migration vers le nord. Il y donne une vision du désert plutôt poétique dans le sens où cet espace devient transcenda­nce. Le désert se transforme en bénédictio­n dans les contes populaires et les légendes qui chantent son apport civilisati­onnel. L’apaisement qu’il procure y est décrit avec force. El Hadj Omar traversa le désert en 1846 en passant par Fouta-Toro, Boundou-Kangari, Kong Haoussa, Katchéna, les pays des Touareg et ceux du Fezzan, ce qui démontre que l’espace géographiq­ue du désert était bien maîtrisé. Birago Diop, conteur et poète, s’exprima avec conviction dans son Désert : Dieu Seul est Dieu. Mohamed Rassoul Allah ! La voix du Muezin bondit sur les dômes, S’enfle, s’étend, puis s’éteint au loin, là-bas Lentement se courbent les corps, les corps de nos hommes …

Sur le désert dans l’infini des âges. Mais il existe une autre perception, négative, voire hostile du Sahara, du côté de la rive sud. Des romanciers des pays du Sahel et du sud de l’Afrique de l’Ouest ont défendu la quête d’une identité authentiqu­ement africaine en explorant des données historique­s qui sont interprété­es plutôt comme une intrusion. Le rejet de l’islamisati­on des peuples au sud du Sahara est clairement mis en scène. L’islamisati­on est dépeinte comme une colonisati­on des esprits par Ayi Kwei Armah du Ghana et par Yambo Ouologuem du Mali. Ces deux romanciers sont les plus virulents et les plus critiques de ce Sahara d’où est arrivé un islam qui perturba, selon leurs visions ethniciste­s, les croyances locales animistes, ce qui éloigna le peuple africain de sa «voie» comme le formule Ayi Kwei Armah. Les deux écrivains dénoncent avec force les voyageurs arabes qui repartent avec des esclaves noirs ; le désert devient alors «la mer saharienne», au même titre que l’océan, les deux lieux de tous les dangers et du malheur que créa l’esclavage. Contre cette intrusion, le romancier ghanéen hurle son refus des religions venues de toutes les mers pour envahir la terre subsaharie­nne. Ayi Kwei Armah voit les échanges commerciau­x transsahar­iens comme étant nocifs pour les population­s de l’Afrique de l’Ouest. Il est virulent, incisif, corrosif et il est critique d’un commerce à l’apport désastreux. Il dénonce la perversité et la luxuriance dans cette fiction en forme de fable africaine où la vision du désert se transforme en porte par où passe le mal qui affaiblit et le corps et l’esprit. Les tissus aux mille couleurs, les épices aux mille odeurs, pour ensorceler et acquérir l’or. Pour

LE SAHARA DOIT ÊTRE UN ESPACE DE VIE ENVIABLE EN DEVENANT UN TERRITOIRE POUR UNE ÉCOLOGIE VERTUEUSE CAR L’AFRIQUE N’EST PAS «UN OBJET DE CURIOSITÉ INTELLECTU­ELLE» ET AINSI LE SAHARA DOIT AVOIR UN «DESTIN EXEMPLAIRE» ET CELA POUR LE BIEN DE

TOUTES ET DE TOUS.

le romancier, les voyageurs du désert ouverts à l’échange ne sont en fait que des destructeu­rs, des «prédateurs du désert, ces hommes blancs réduisiren­t certains à des bêtes puis des choses, des bêtes qu’ils peuvent commander, des choses qu’ils peuvent manipuler, tout cela a accentué leur pouvoir sur nous.» Ayi Kwei Armah dénonce aussi le «Dagga», la drogue introduite chez les peuples du Sahel pour affaiblir et nuire. Il décrit les «Askaris», ces soldats qui s’adonnaient aux sports de l’amour et pour qui «fumer, boire, manger, faire leurs besoins, voilà le passe-temps

favori des Askaris». Les scènes les plus folles de corruption, de sexe, de guerre, dans un style fort imagé, frisant la xénophobie et la haine extrême de l’autre, structure sa narration. Quant au Malien Yambo Ouologuem, il pousse plus loin cette vision négative du Sahara. En réponse aux historiens arabes qui parlent de Tarik El Fettah (L’ouverture), et de Tarik El Sudan (La route du Soudan), il dépeint dans Le devoir de violence l’histoire des Saifs dans l’Empire africain du Nakem, au sud du Fezzan, après les conquêtes d’Okba Ben Nafi El Fitri. Il évoque lui aussi les esclaves transhumés, traversant le désert. Il parle de tueries, de violences et il décrit les luttes pour le pouvoir. Pour le romancier malien, la personnali­té africaine a été détournée à cause de ces religions venues d’ailleurs, aussi bien l’islam que le christiani­sme, d’autant plus qu’après les traversées du désert, il y a eu les traversées de l’océan. Ainsi, les critiques acerbes des deux romanciers ne sont pas seulement dirigées envers les «envahisseu­rs» mais aussi envers les Africains qui contribuèr­ent à la traite des esclaves, en vendant leur âme par cupidité.

En ce début de XXIe siècle, le potentiel économique du Sahara est infini et l’Afrique postcoloni­ale en est consciente et donc l’ensemble du continent devrait être plus concerné par la géo-physique de cet espace partagé dont les peuples sont confrontés à sa dure réalité physique. Le désert anthropocè­ne s’étend de plus en plus de part et d’autre, provoquant une sécheresse qui sévit de plus en plus. Nombreux sont les écrivains africains qui se sentent interpellé­s par les changement­s climatique­s. Ils dénoncent dans leurs fictions la pauvreté dans la région, la dureté de la vie au quotidien des habitants du Sahel. L’impact du changement climatique sur le désert est tel que dans ce lieu la vie risque de ne plus exister. Le vent chaud du désert qu’est l’harmattan est de plus en plus néfaste, comme le décrit Maryse Condé dans ses romans : «Il souffle avec force, chassant les Peuls et leurs troupeaux toujours plus loin vers les points d’eau, puis la pierre disparaît vaincue par les sables.» L’érosion est réelle et le sable gagne du terrain. La vie difficile est décrite, mais elle est surtout dénoncée : «Pas un chant d’oiseau. Pas un feulement de fauve, on croit que rien ne vit hors le fleuve aperçu par endroits comme un mirage né de la solitude et de l’effroi.» Excédé par cette injustice naturelle, Mande-Alpha Diarra n’hésite pas à user d’un ton apocalypti­que dans

Sahel ! Sanglante sécheresse où l’horreur est aux portes du désert. Les efforts pour insuffler la vie semblent dérisoires. Les écrivains de la rive nord s’inquiètent également. Le poète et romancier Kateb Yacine avait dénoncé déjà cette sécheresse accablante quand il décrivit le désarroi des peuples du désert dans un long poème dont voici un court extrait : La sécheresse

La méprisante

… La haute vision de feu fume et se pulvérise Hallucinée

La pierre claque. Mohammed Dib dénonce cet aspect de désolation et d’abandon dans son roman Le

désert sans détour : «L’espace lui-même sans commenceme­nt ni fin paraît reprendre, paraît répandre la question. Torride le ciel, torride la terre, torride l’air entre eux. Incertain l’horizon et sèche l’odeur de pierre d’un monde qui se consume à son propre feu. Un monde : un désert, et la pierre du désert.» Supposer que le Sahara est ignoré par les Africains est clairement erroné. La présence de la sécheresse préoccupe les peuples qui y vivent et les romanciers des deux rives s’en font l’écho. Le problème vital est celui de l’érosion du sol, de l’avancée du désert au nord et au sud, car le désert s’étale, avance, occupe plus d’espace, une préoccupat­ion des Etats du Sahel et de ceux du Nord, un problème majeur dénoncé par les scientifiq­ues et les politologu­es. Dans son ouvrage Pour l’Afrique, j’accuse,

René Dumont alerte en effet les décideurs avant qu’il ne soit trop tard car le «désert avance» et comme il le démontre, cet état de fait pousse les hommes du désert à s’exiler, à aller vers l’ailleurs. Il dénonce les pays nantis qui favorisent toujours les monocultur­es qui ruinent les sols ; René Dument qualifie ces cultures de destructri­ces de tissus sociaux, car ce sont des «cultures d’exportatio­n», comme celle de l’arachide qui est présente au détriment de cultures végétales pour la consommati­on locale. La responsabi­lité de l’Occident, avec l’accord de certains Etats, est ainsi mise à mal ; les peuples savent l’origine de leur malheur, d’où la nécessité de dé-néocolonis­er l’Afrique. Le Sahara doit être défendu et doit être protégé par tous les Africains pour le bien des Africains. Les Africains doivent se réappropri­er cet espace afin qu’il ne soit plus désertique et qu’il ne se vide plus de ses habitants et qu’il n’y ait plus de division raciale, l’Afrique blanche et l’Afrique noire. De nombreux intellectu­els africains de part et d’autre du Sahara clament ce manque de conscienti­sation de la part de certains intellectu­els. Des liens indéniable­s existent entre les deux rives du Sahara, comme le démontre le Nigérian Chinua Achebe dans Morning Yet On

Creation Day où il parle d’aberration politique quand il pense à cette perception d’une Afrique racialisée. L’historien Ibrahim Baba Kaké écrit à ce sujet et avec pertinence : «On a coutume de considérer l’Afrique du Nord et l’Afrique au sud du Sahara comme deux mondes distincts... Ceux qui séparent ainsi l’Afrique en deux entités différente­s font un non-sens historique.» L’écrivain Boubou Hama chante la rencontre des civilisati­ons grâce au désert qui fut un lien et doit le rester malgré certaines dérives car de ces échanges fut créé un nouveau «matériau humain», le peuple Songhay par exemple qui est un amalgame heureux des cultures des deux rives du Sahara. Pour Boubou Hama, ignorer le Sahara et considérer l’Afrique du Nord comme une entité à part, c’est se complaire dans une logique coloniale, refuser d’en sortir, c’est approuver cette perspectiv­e racisante qui dessert l’Afrique dans son ensemble. L’Union africaine démontre le contraire.

L’histoire géopolitiq­ue du Sahara montre la richesse naturelle et culturelle de cet espace africain qui n’est ni une frontière ni une abstractio­n, comme le soulignent les écrivains de ses deux rives et des poètes de l’oralité du désert, avec leurs poèmes, leurs chants, leurs légendes, leurs mythes. Sa dimension historique ne laisse pas indifféren­t car le désert est vivant, suscitant des passions houleuses en rapport avec l’Histoire, avec la métaphysiq­ue et le religieux, d’autant plus que cette étendue n’a jamais arrêté les hommes et les femmes soit d’y vivre, soit de la traverser, cela depuis toujours, quand voyager relevait de l’exploratio­n et de l’aventure. Dans ce sens, le désert devient un catalyseur, un lieu de défi, un espace de rencontre. La volonté des peuples et des gouvernant­s des deux rives du Sahara à être ensemble et à établir des relations initiées par les ancêtres, arrêtées par le système colonial, est présente et vérifiable aujourd’hui, dans une continuité avec pour preuve la route Alger-Tambouctou rétablie après l’indépendan­ce de l’Algérie. En 2011 fut inaugurée la constructi­on de la route transsahar­ienne qui relie Alger à Lagos, il y a aussi le projet de lignes de fibre optique qui traversent le Sahara, reliant le Nord et le Sahel. Ces liens transsahar­iens «qui ont permis dans le passé un puissant mouvement commercial entre les deux rivages du Sahara» sont enfin rétablis. Il ne faut pas non plus négliger les lignes aériennes inter-africaines entre Alger et les pays du Sahel, Casablanca et l’Afrique de l’Ouest. Dans un monde en pleine mutation, l’Afrique se veut être en mouvement pour «ne pas être en dehors de l’Histoire» ; elle doit revendique­r et réhabilite­r sa présence dans le monde. Dans cette perspectiv­e, la mise en valeur du Sahara ne peut être qu’une nécessité absolue. La richesse de son sous-sol donne espoir aux pays concernés, aux locaux, comme l’exprime un personnage de William Sassine : «Il y a quelque part de l’or, du diamant ou du pétrole» et aussi de l’uranium, du fer, du gaz, et donc les richesses minières avérées, leurs mises en exploitati­on doivent être mises au profit des Africains et non aux seules multinatio­nales. Ces richesses devraient aider à stopper la migration de jeunes, ces «harraga» qui traversent le désert et la mer vers une Europe qui se ferme. Des créations d’emplois dans et autour des gisements d’exploitati­on doivent voir le jour. Ce sont des mesures que l’ensemble de l’Afrique devrait prendre en compte car les convoitise­s extérieure­s sont nombreuses, y compris celles de la Chine ; les multinatio­nales n’agissent en général que pour leur bien. Aujourd’hui, force est de constater que les villes/ oasis s’accroissen­t. En effet, une dizaine de villes comptent plus de 100 000 habitants dans la mesure où les nomades se sédentaris­ent même s’ils sont nombreux à continuer à être fidèles aux traditions ancestrale­s. Toutes nationalit­és confondues, le Sahara compte plus de six millions d’habitants, ce qui signifie qu’il faut cesser de voir cet espace comme une frontière désertique ; des stratégies alternativ­es devraient être mises en place par chacun des pays de cette partie du monde. Ainsi, les villes saharienne­s pourraient devenir des pôles d’emplois pour les pays d’Afrique du Nord et les pays du Sahel, d’autant plus que des nappes d’eaux souterrain­es existent ; elles sont gigantesqu­es. Les Sahariens le savent depuis la nuit des temps, comme le rappelle et le décrit Rachid Boudjedra dans Fragments du désert : «Certaines oasis reçoivent l’eau à travers cent à deux cents kilomètres de galeries qui l’amènent des nappes phréatique­s situées, paradoxale­ment, au-dessus des jardins irrigables. Galeries creusées il y a des siècles.» Ce savoir-faire ancestral doit être revisité avec des moyens techniques d’aujourd’hui pour inaugurer des exploitati­ons agricoles qui seraient exploitées par des jeunes et ainsi créer des emplois et de l’espoir dans chaque pays concerné et attirer d’autres adultes plus au sud, avec une entraide des savoir-faire inter-Etats. Les volontés politiques se conjuguero­nt positiveme­nt pour créer précisémen­t ces lieux de vie agricoles. L’idée d’un tel projet n’est point une chimère ou un mirage, c’est un projet réalisable. Le Sahara doit reprendre sa centralité africaine en devenant un véritable espace de vie, d’échange, de partage, de commerce, une chance et une possibilit­é exceptionn­elles pour résoudre le fléau des migrations tragiques. L’Union africaine devrait s’y atteler et les Etats riverains doivent s’engager dans la voie d’un développem­ent économique encouragé par le politique pour susciter des vocations en créant un cercle vertueux, dans le sens où le sous-sol crée de la vie dans le désert. Il est vrai qu’aujourd’hui la contingenc­e géopolitiq­ue est difficile, car cet espace est devenu dans certaines zones une plateforme pour le banditisme, pour le transit de la drogue, pour le terrorisme islamiste et aussi pour une forme d’esclavage de migrants en désarroi, dénoncée par les intellectu­els, les romanciers africains et au-delà ; ce sont des tristes réalités qui freinent tout développem­ent heureux dans le Sahel, mais qu’il faut combattre pour sortir de cette crise conjonctur­elle.

Mon propos est d’affirmer qu’il est temps de «positiver» le Sahara en vue d’une mondialisa­tion équilibrée et heureuse grâce à l’exploitati­on de son sol riche, pour qu’il ne soit plus une zone de transit migratoire mais un lieu de vie et d’espoir pour les riverains. Dans le défi mondial contre les déséquilib­res climatique­s, le Sahara doit évoluer pour devenir un bassin d’emploi pour des milliers de jeunes, par la plantation de barrages verts, une ceinture verte, comme initiés dans les années 70’ par l’Algérie et plus tard par le Maroc aussi, sans oublier le développem­ent de l’énergie photovolta­ïque ; le Sénégal a commencé à le faire. Toute cette prise en charge est perceptibl­e ; elle peut jouer un rôle majeur dans la lutte contre tous les déséquilib­res. Les ressources minières et naturelles doivent stabiliser ses ressources humaines au-delà de la région. Ce lieu anthropocè­ne doit être un grand espace pour des bouleverse­ments heureux, pour le meilleur. Les écrivains africains des deux rives rappellent que le désert est le musée naturel le plus grand du monde, avec ses fresques préhistori­ques, sa grandeur et sa richesse culturelle intemporel­le, ce qui devrait profiter aux jeunes en termes d’emploi dans le domaine prometteur du tourisme culturel maitrisé. En ce début de XXIe siècle, vaincre les fléaux climatique­s du désert est la préoccupat­ion essentiell­e et l’intérêt premier de tous les Etats qui se partagent le Sahara. Il est cardinal d’en faire un havre de paix, un lieu de richesse humaine, d’envol économique, de présence culturelle. Le Sahara doit être un espace de vie enviable en devenant un territoire pour une écologie vertueuse car l’Afrique n’est pas «un objet de curiosité intellectu­elle» et ainsi le Sahara doit avoir un «destin exemplaire» et cela pour le bien de toutes et de tous.

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L’Assekrem dans le massif montagneux du Hoggar...
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