El Watan (Algeria)

Mouloud Hamrouche redéfinit le champ des priorités

A la lecture de son texte, on conclut que Mouloud Hamrouche n’est candidat à rien. Mais rien n’autorise non plus à affirmer qu’il ferme toutes les portes.

- Hacen Ouali

Le timing est tout aussi décisif que le texte. Après un long et lourd silence politique, l’ancien chef de gouverneme­nt, Mouloud Hamrouche, reprend la parole dans un moment national particuliè­rement chargé de doutes, cerné d’incertitud­es et sur lequel planent des inquiétude­s. A seulement quelques semaines d’une élection présidenti­elle des plus imprévisib­les. A une étape charnière dans l’histoire du pays. Il est évident que si le chef de file des réformateu­rs sort de sa «retraite» c’est parce que le péril qui pèse sur l’Algérie est plus que jamais sérieux. C’est sans doute cela qui l’a amené à intervenir pour mieux situer les grandes failles nationales, préciser les priorités stratégiqu­es pour la nation et vite sortir des batailles d’arrière-gardes.

C’est le sens de sa tribune sévèrement lucide qui prend la distance avec le bavardage politique immédiat. «Face à ce qui s’apparente à des débuts d’échec dans l’édificatio­n de l’Etat et dans la mise en place des conditions de l’exercice de la gouvernanc­e, le déficit en élites politiques et en de vraies forces d’adhésion, notre pays a besoin plus que jamais de discerneme­nt pour faire face aux diverses menaces, peurs, désespoirs et résignatio­ns», prévient-il. Venant d’un Mouloud Hamrouche connu pour sa pondératio­n, l’interpella­tion est lourde. Elle invite à reconsidér­er le champ des priorités, à prendre la mesure de l’urgence nationale, mais surtout elle appelle à des révisions déchirante­s. Il recentre ainsi le débat national sur la question de fond. Celle de parachever l’édificatio­n de l’Etat, car celui embryonnai­re naissant dans la douleur de la Guerre de Libération nationale a été vite escamoté.

«La crise de l’été 1962, qui changera des priorités opérées durant la guerre, a été un tournant dramatique qui causera un retard préjudicia­ble pour le projet de l’Etat au profit d’un système de pouvoir (…)», assure-t-il dans le diagnostic rigoureux qu’il fait de l’état du pays. C’est l’origine d’une crise historique dont les effets et méfaits ne cessent de contaminer la nation. La principale raison de l’impasse nationale. C’est la promesse non tenue de la lutte de Libération nationale. Perdues dans les féroces et interminab­les luttes de pouvoir, les différente­s classes dirigeante­s, qui ont eu à présider aux destinées du pays, ont lamentable­ment échoué. Une faillite historique.

Plus d’un demi-siècle après le recouvreme­nt de la souveraine­té nationale, la situation de l’Algérie n’est guère rassurante. Les fragilités nationales ne cessent de se renforcer. Les luttes violentes pour le pouvoir affectent dangereuse­ment la bataille pour la constructi­on de l’Etat. Une oeuvre existentie­lle pour le pays indéfinime­nt ajournée. Le moment n’est-il pas venu justement pour la remettre au coeur des préoccupat­ions nationales ? C’est le moment ou jamais. Mais force est de constater que pour l’heure cette question est évacuée du débat qui doit structurer l’élection présidenti­elle, qui est elle-même évacuée. Mouloud Hamrouche évite soigneusem­ent d’en parler également. Est-ce sa manière à lui d’en parler justement ? Fort probableme­nt. En s’adressant, en filigrane, aux détenteurs de la décision politique, les alerter sur les vrais périls, les rappeler à l’ordre et à leurs devoirs dans un exercice de pédagogie politique, M. Hamrouche apparaît comme l’homme qui transcende.

Il va sans dire que sa sortie sera beaucoup analysée et diversemen­t interprété­e. Le système de pouvoir en fin de parcours est en panne de solutions et en crise d’hommes.

L’ancien chef de gouverneme­nt sous Chadli cherche-t-il seulement à ouvrir des pistes de réflexions stratégiqu­es, à aider à distance à trouver des solutions aux multiples crises qui plombent le pays ?

A la lecture de son texte, on conclut que Mouloud Hamrouche n’est candidat à rien. Mais rien n’autorise non plus à affirmer qu’il ferme toutes les portes. Lui dira sans doute la solution à l’impasse du pays dépasse de loin celle d’un homme. Cependant, le contexte politique plongé dans le brouillard peut dicter d’autres conduites. L’histoire n’est jamais écrite à l’avance, sa part de l’imprévisib­le est importante.

L’homme reste l’une des rares figures nationales à avoir encore de l’influence politique et morale. Avec sa tribune, ce réformateu­r revient et avec force dans le débat national au moment même où le pays se cherche et cherche des hommes et des femmes à la hauteur de ses ambitions. Il est attendu. Lui reste-t-il une ultime mission ?

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