POURQUOI LA TUNISIE POST-BEN ALI PEINE À DÉCOLLER
La nouvelle Tunisie peine à réaliser les objectifs socioéconomiques de sa révolution, huit ans après la chute de la dictature. Un sentiment de fierté, teinté d’un fond d’amertume, notamment dans les zones marginalisées et parmi les couches déshéritées.
La nouvelle
Tunisie peine a réaliser les objectifs socioéconomiques de sa révolution, huit ans après la chute de la dictature. Un sentiment de fierté teinté d’un fond d’amertume, notamment dans les zones marginalisées et parmi les couches déshéritées.
Il suffit de constater la multiplication des fermetures de routes, sit-in et autres tentatives de suicide, pour conclure à l’insatisfaction d’une large frange de la population des résultats de la chute de la dictature en Tunisie. Toutefois, «aujourd’hui, au moins, ils peuvent descendre dans la rue et élever la voix pour attirer l’attention sur leurs revendications. Auparavant, la peur de l’oppression les faisait se taire. C’est un acquis inestimable», souligne l’avocat et militant des droits de l’homme, Anouar Kousri.
La Tunisie a certes fait un grand pas vers la démocratie, en réussissant trois scrutins incontestés, en 2011, 2014 et 2018 (municipales), mais la transition socioéconomique peine à se concrétiser sur le terrain. La croissance économique est restée figée autour de 1%, à l’exception de 2018, qui a avoisiné les 3%. Mais 2018 a connu une hausse vertigineuse des prix avec une inflation officielle de 7,5% et réelle de 20%, selon les experts de l’UGTT. Le chômage frappe encore de plein fouet la population, notamment les jeunes diplômés qui représentent le tiers des 680 000 chômeurs (15% de la population en âge de travailler).
Le peuple et le pouvoir, en Tunisie, sont conscients que la révolution a un goût d’inachevé, notamment chez les plus démunis qui avaient cru que la misère était déjà partie avec le départ de Ben Ali, ce qui est loin de se concrétiser sur le terrain. Le président Béji Caïd Essebsi en était conscient depuis son accession au pouvoir, suite aux élections de novembre et décembre 2014. BCE avait dit, dans sa première interview internationale, publiée sur El Watan le 4 février 2015 : «Pour réussir la démarche démocratique, il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu», en se référant à Saint Thomas d’Aquin. Le président Caïd Essebsi prévoyait déjà, au début de sa présidence, les difficultés rencontrées actuellement, s’il n’y aurait pas de bien-être chez les démunis. Les gouvernements successifs depuis la chute de Ben Ali n’ont pas réalisé les rêves nés de la révolution.
DIFFICULTÉS
Fin décembre dernier, des manifestations ont éclaté dans plusieurs régions de la Tunisie (Kasserine, Thala, Sidi Bouzid, Jebaniana, etc.) pour protester contre la cherté de la vie et la persistance de la pauvreté et du chômage. Ces protestations traduisent l’insatisfaction de la population et l’incapacité des gouvernants, démocratiquement élus, à répandre l’espoir parmi les citoyens. Pis encore, la centrale syndicale UGTT prépare une grève générale, le 17 janvier, soit jeudi prochain, pour réclamer une augmentation des salaires de la Fonction publique, égale à celles accordées aux employés des entreprises publiques, soit entre 60 et 90 euros, étalées sur trois ans. Les propositions gouvernementales se limitent à des augmentations entre 20 et 40 euros, étalées sur deux ans, avec un retour aux négociations le 1er juin 2019 concernant la 3e année.
Les difficultés concernent également les ouvriers des chantiers, qui constituaient la frange la plus marginalisée sous Ben Ali. Ils travaillaient dans des hôpitaux et des administrations sans recevoir les salaires correspondants à leurs tâches. Le processus de régulation de ces 140 000 employés se poursuit depuis 2011. A chaque phase, le gouvernement peine à trouver les fonds adéquats pour les intégrer dans le personnel permanent de l’administration et des entreprises publiques. Par ailleurs, le gouvernement demande à l’UGTT de réserver l’enveloppe supplémentaire, réclamée pour les augmentations des salaires de la Fonction publique, à clôturer ces régularisations et renforcer les mandats trimestriels d’aides aux familles démunies.
La crise socioéconomique touche également les couches les plus démunies et les zones marginalisées de la bande ouest du pays, que la révolution n’a fait que dévoiler à tous les Tunisiens, sans améliorer vraiment leur situation. Les pluies et le froid sévissant ces derniers temps les ont frappées de plein fouet et montré cette Tunisie profonde dépourvue des besoins les plus élémentaires. Mais, «le malheur, c’est qu’on montre les actions sociales et humanitaires à des fins électorales, puisque 2019 connaîtra les élections générales», déplore la députée Ons Hattab, porte-parole de Nidaa Tounes, parti vainqueur des élections de 2014 et qui est passé dernièrement dans l’opposition. La révolution démocratique tunisienne n’a pas encore tenu ses promesses.